Chapitre 30 ✅

Télio

Le vieil homme relâcha Miö et il tomba au sol, inerte, avec une grosse prune sur le front. Son agresseur se releva, enjamba le corps de mon frère et se planta droit devant moi, me regardant avec un petit sourire en coin et des yeux de fou. Je restai totalement figé, incapable de retrouver un peu de bon sens.

Je l'attaque ? Je me sauve ? J'essaie de réveiller Miö ? Toutes ces réponses ?

— Eh bien, mon petit, je sais pas quoi dire ! s'écria le vieux, me faisant sursauter. Tu m'as ramené le voyou de la dernière fois, merci ! Mais t'aurais pu au moins l'assommer avant qu'il tente de me tuer ! Maintenant, sois gentil pour une fois et pose-le sur le lit. Allez, bouge-toi !

N'ayant toujours aucune idée de ce que je devais faire, je me décidai à obéir et allai m'agenouiller près de Miö. Je vis tout de suite qu'il respirait, mais il semblait avoir de la difficulté. Je le secouai vigoureusement.

— Miö, réveille ! murmurai-je.

— Qu'est-ce que tu fais là ! s'écria aussitôt le vieux. Je veux que tu le poses sur le lit !

Il hurla presque les derniers mots. Je pris une grande inspiration, essayant de me donner un peu de courage, et soulevai Miö dans mes bras, tant bien que mal puisqu'il était plus lourd que moi, et l'allongeai sur le lit que m'avait pointé le vieux, un peu plus loin. C'était peut-être mieux d'obéir, pour l'instant...

— C'est fait, dis-je en me redressant vers l'homme. Qu'est-ce que vous allez en faire ?

— La même chose qu'à tous les autres...

Un frisson de peur me parcourut le corps de la tête au pied. Est-ce qu'il comptait le tuer ? Mais un deuxième résonnement me vint, qui m'en fit perdre le souffle...

Tous les autres... Tous les autres ? Ça avait un lien avec le fait qu'il semblait me prendre pour quelqu'un d'autre ?

Je lançai un regard angoissé vers Miö, toujours inconscient. Non, nous n'étions pas jumeaux. Peut-être triplet ? Quadruplet ? Pour sûr, il y en avait d'autres.

Tant pis pour jouer le jeu. Miö était venu pour des réponses, et si je pouvais lui servir à quelque chose, pour une fois, je le ferais. C'était à moi de poser les questions. Ce n'était qu'un vieux, après tout. Il était fort, mais il ne résistera pas longtemps à mes coups de serres au visage.

Je m'approchai lentement de lui, qui était penché sur une table contenant toutes sortes de drôles d'instruments. Je fus aussi silencieux que possible, mais il se retourna tout de même vers moi.

— Qu'est-ce que tu fais encore là, toi ? Allez, file !

Ce n'était pas l'envie qui manquait, mais je restais là, bien planté sur mes pieds.

— Qui êtes-vous ? demandai-je de ma voix la plus menaçante.

Le vieux se raidit, intrigué par ma question, avant d'éclater de rire.

— Je suis ton père, petit simplet. Ton cerveau a encore disjoncté, ou quoi ? Ah, t'as jamais été le plus intelligent du lot, mais parfois, je regrette de ne pas t'avoir noyé dans la rivière et gardé un autre avec moi.

Il est fou.

— OK... heu... et nous étions combien ?

— Ah ! Je sais plus. Quelques dizaines !

Ma mâchoire se décrocha à ce nombre. Des dizaines de jumeaux ? Pauvre femme qui a dû les porter. Étonnant que son ventre n'ait pas éclaté ! Ou bien, avec un peu plus de logique, il n'y avait pas que des jumeaux. Il y avait aussi de simple frères. Ça avait bien plus de sens. Déjà, ça entrait dans la mesure du possible. Ou même, peut-être qu'il avait eu plusieurs femmes.

— Alors, où est ma mère ?

— Elle est morte il y a plus de vingt ans, au tout début de la guerre.

— J'ai quinze ans, dis-je en serrant les poings.

Du moins, en théorie.

— Non, Riley, tu as dix ans. Tu es le dernier parmi tous tes frères, et c'est bien pour ça que je tes gardés avec moi.

— C'est n'importe quoi ! Est-ce que j'ai l'air d'avoir dix ans ?! Et puis, je m'y connais peut-être pas beaucoup, mais je suis assez sûr qu'un bébé ne peut pas naitre sans mère !

— Ah, pauvre demeuré... Bien sûr que c'est possible !

Le vieux pointa un doigt derrière moi et je regardai ; les aquariums. Ils avaient une forme faite pour y abriter un être humain.

Je sentis tout le sang de mon visage quitter les lieux quand je compris enfin. Heureusement pour moi, je m'étais infiltré assez souvent dans le cinéma de Digora pour connaitre tous ces trucs « futuristes » de la science-fiction. J'avais la réponse. Mais j'avais peur qu'elle soit bonne. C'était à la fois possible et impossible.

— Des clones ? murmurai-je.

— Ah, la mémoire te revient. Il était temps. Maintenant, tu vas m'aider ?

L'homme leva ce qu'il avait dans la main ; une seringue. Pleine d'un liquide étrangement bleuâtre.

— Hé, qu'est-ce que vous allez faire avec ça ?!

— Je t'ai déjà dit bien assez souvent que tu peux me tutoyer. Je suis ton père, après tout, pas ton professeur ! Et d'ailleurs, avec ça, je vais faire regretter à ce petit morveux d'avoir essayé de me tuer.

L'homme s'avança vers Miö, étendu sur le lit. Je me précipitai aussitôt pour lui barrer le chemin.

— C'est moi qui vous ai balancé dans les escaliers, pas lui ! m'écriai-je. Lui, il a seulement vérifié que vous étiez vivant ! Vous n'allez pas le punir pour ça ?!

— Comme c'est mignon, tu essaies toujours de protéger tes frères chaque fois que j'en trouve un.

De sa main libre, le vieux me poussa sur l'épaule gauche, celle qui me faisait encore mal, et sa force mêlée à la douleur me fit tomber sur les fesses. Le temps que je me relève, il retirait déjà l'aiguille du coude de Miö. Son visage se couvrit presque aussitôt de sueur froide.

— Qu'est-ce que vous lui avez fait ?

— Je t'ai dit de ne pas me vouvoyer !

— Qu'est-ce que tu lui as fait ?! hurlai-je, à bout de nerfs.

— La même chose qu'aux autres ! Et la même chose qu'à toi, si tu ne te calmes pas, Riley.

— Je ne suis pas ce Riley. Je m'appelle Télio !

— Ce que ça peut être dérangeant... tu changes un peu trop souvent de prénom !

— Peut-être parce que, à chaque fois, c'est justement quelqu'un d'autre.

— Ah non, alors, ça voudrait dire que vous êtes au moins une quarantaine.

Je ne répondis rien à ça, bouche bée. Une quarantaine... !

Soudain, Miö se transforma en chauvesouris. Je sursautai de surprise, mais le soulagement vint rapidement ; il allait sauter sur le vieux et lui faire regretter... tout ça. Mais Miö demeurait couché sur le lit, les yeux fermés. Il semblait toujours dormir. Comment était-ce possible ? Il pouvait se métamorphoser dans son sommeil, lui ?

L'homme éclata de rire en s'approchant de Miö. Il prit l'une de ses ailes et l'étira, comme pour voir quelle grandeur elle pouvait avoir.

— Une chauvesouris ! Je l'avais totalement oublié, celui-là... Alors surement que j'en ai oublié d'autres. Je le crois bien, maintenant, que vous êtes plus d'une quarantaine.

— Qu'est-ce que vous... Qu'est-ce que tu lui as fait, à la fin ?!

— J'ai provoqué une transformation. Ça va aussi l'empêcher de reprendre forme humaine pour un bon petit moment. Sois gentil pour une fois, Riley, et va le mettre dans la cage, là.

Il pointa une cage sur le comptoir, tout juste assez grande pour y accueillir un moineau.

— Je ne ferrais rien tant que tu ne m'auras pas tout expliqué !

— Eh bien, qu'est-ce que tu veux savoir que tu ne sais déjà ?

— Si je suis un clone... (le mot passa difficilement dans ma gorge) qui est le premier ? Celui qui... qui s'est fait cloner ?

— Mon fils. Et c'est pourquoi je dis que vous êtes tous mes fils ! s'impatienta le vieux. Il fut l'une des premières victimes de la guerre, en 2039. Il était soldat. Alors, j'ai décidé de faire une petite expérience... qui s'est avérée être une très grande expérience ! Mais elle fut terminée trop tard, et donc j'ai noyé un bon nombre d'entre vous dans la rivière. Vous ne me serviez plus à rien.

— Expliquez-en plus.

— Oh, tu m'ennuies, Riley ! Tu seras de corvée pour le reste de la semaine !

— Ça me va.

— Bien... J'ai essayé, en récupérant l'ADN de mon fils, de faire des clones, mais en mieux ! J'avais mixé son ADN à celui de toutes sortes d'animaux, et voilà le résultat. Très concluant, comme tu peux le voir. Le seul bémol était qu'il fallait attendre qu'ils grandissent et les plus âgés n'avaient que huit ans quand la guerre s'est terminée. J'ai essayé de tous les noyer, mais les plus vieux se sont débrouillé pour s'enfuir, et d'emporter les plus jeunes avec eux. S'il y en avait vraiment quarante, alors, je crois que j'ai réussi à en tuer qu'une dizaine. Ça explique certainement pourquoi j'en retrouve partout ! Maintenant, t'es satisfait ?

Je hochai péniblement la tête ; pour être satisfait, je l'étais. En venant ici, je m'étais attendu à découvrir le nom de mon père ou de ma mère. En fin de compte, j'en avais appris tellement plus... sauf le nom de cet homme.

— Oui, je le suis, parvins-je à dire, la bouche sèche.

— Finalement ! Allez, va mettre le petit dans la cage.

Je hochai encore une fois la tête et me retournai pour prendre Miö dans mes bras, faisant de mon mieux pour ne pas lui tordre une aile au passage. Je m'approchai de la cage, puis lançai un regard vers ce scientifique fou qui me servait apparemment de père, pour ma plus grande horreur.

Maintenant convaincu que j'allais lui obéir, il ne faisait plus du tout attention à moi. Alors, je pris mes jambes à mon cou et quittai la maison à pleine vitesse. Le vieux eu à peine le temps de s'en apercevoir que j'étais déjà loin.

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