Chapitre 19 ✅
À mon réveil, la tempête s'était calmée. Je me levais lentement, sans mouvement brusque pour ne pas déranger la chauvesouris qui était toujours agrippée à mon épaule, et allai à l'entrée de la grotte pour regarder dehors. Une lumière vive filtrait à travers les nuages, pas gris, mais pas vraiment blanc. Ce n'était plus qu'une pluie douce et agréable. Il n'y avait plus aucune trace de l'orage.
Un sourire aux lèvres, je revins sur mes pas pour enfiler mes vêtements. J'attrapai la chauvesouris sur mon épaule et la déposai au sol près de moi pendant que je mis mon jogging et mon sweatshirt, toujours humides. Elle courut de droite à gauche devant moi, et j'étouffai un rire ; une chauvesouris à quatre pattes, c'était assez étrange à voir. Enfin, elle s'envola pour aller rejoindre ses amis, suspendus au plafond de la Batcave.
— Salut, mes jolies, dis-je sans même me retourner.
Quelques-unes me suivirent alors que je quittais la grotte. Je m'arrêtai devant la rivière, me mordant la lèvre. Elle était passée si près me tuer hier, et maintenant, elle semblait si calme...
Je décidai de continuer à la longer vers la gauche ; je ne me perdrais pas tant que je serais près d'elle. Quand je fus assez éloigné de la grotte, les chauvesouris retournèrent dans leur repère, me laissant seul... sauf une. Qui vint se blottir encore une fois contre mon épaule. Un rire m'échappa alors je sentis une aile me chatouiller le cou et j'attrapai la petite bête dans ma main pour la mettre devant moi. Elles se ressemblaient toutes, mais j'étais tout de même assuré que c'était celle-là encore qui avait passé la soirée et le matin contre moi.
— Hé, ma belle, on s'est attaché ?
La chauvesouris répondit d'un cri perçant en étirant ses ailes.
— Si tu restes avec moi, je vais t'appeler Bernadette.
Elle ne sembla pas prendre la menace au sérieux, car elle sauta de ma main et vint se réfugier dans la poche avant de mon sweat. Je la sentais gigoter à la recherche d'une position confortable, ce qui m'arracha encore un rire.
— Très bien, Bernadette ! Tu l'auras voulu !
Un petit cri fit office de réponse. Puis, plus rien ; elle avait dû s'endormir. Je ne la retenais pas, mais si elle voulait me tenir compagnie, je ne dirais pas non !
Je commençai à avoir un creux, mais nous étions trop tôt dans le printemps pour les baies. J'eus tout de même de la chance, au bout d'une heure, quand je trouvais un arbre fruitier. J'attrapai une branche au-dessus de moi pour l'attirer plus près et de manger les minuscules fruits rouges. Elles étaient si petites que, même après dix minutes à grignoter tout ce qui était à portée de main, j'avais encore faim.
Après avoir abandonné la mission de me remplir le ventre, je repris ma marche sur le bord de la rivière. J'étais rarement venu dans cette forêt, mais certainement jamais aussi loin et seul. C'était un tout nouveau paysage pour moi ; du vert et du brun partout et les animaux qui se promenaient autour de moi sans peur. Des écureuils et des oiseaux en quantité industrielle, mais également des serpents, dont un qui avait essayé de me mordre. Finalement, je l'avais poussé d'un coup de pied dans la rivière, sans aucun état d'âme. Bernadette avait lâché un cri moqueur à ce moment-là, me donnant du coup un peu de courage pour continuer.
Au bout d'un moment, les arbres commencèrent à se faire plus espacés et plus petits. Je m'arrêtai de marcher, comprenant que j'étais à la limite de la zone à risque, où la faune et la flore peinaient à survivre. Je sortis Bernadette, qui dormait toujours dans le fond de ma poche, et la posai dans le creux de ma main.
— À partir de maintenant, ma jolie, tu ferais mieux de retourner chez ta famille. La vie n'est pas facile, où je vais.
Bernadette resserra ses ailes autour de son petit corps et ferma les yeux, sans plus de cas. J'allai la porter à un arbre, m'assurant qu'elle était bien accrochée à la branche, puis continuai mon chemin. Je n'avais pas fait dix pas que je sentis une masse se poser sur mon épaule encore une fois. Je soupirai en la reprenant dans ma main. Cette fois, elle battit des ailes pour que je la lâche, et elle retourna se cacher dans le fond de ma poche en criant de mécontentement.
— Très bien, fais à ta petite tête, murmurai-je.
Je pris une grande inspiration, puis continuai à marcher en direction du désert. Ici, pour je ne savais quelle raison, il ne pleuvait pas. Je regardai derrière moi, une fois passé le dernier arbre. Je voyais l'averse tomber au-dessus de la végétation. Mais où j'étais, cinq mètres plus loin ; rien.
— Tu parles d'un monde bizarre... hein, Bernadette ?
Elle ne répondit rien et je haussai les épaules en poussant un petit soupir. Ç'aurait été cool de pouvoir communiquer avec elle ! Même si j'avais des doutes qu'elle ait assez de matière grise pour comprendre un quelconque langage.
Je marchai interminablement, pratiquement toute la journée, en suivant la rivière. Il faisait chaud à en crever avec ce sweat, mais sans lui, le soleil me taperait directement la peau. C'était long et pénible, mais, au moins, j'avais de l'eau.
Au bout de je ne sais combien d'heures de randonnée, la sécheresse me brulait la gorge. Je sortis Bernadette de ma poche et la déposait doucement près de moi puis me penchai pour boire à la rivière. Une fois ma soif étanchée, je pris de l'eau dans mes mains en coupe et la portai à Bernadette, qui y enfonça le visage tout entier.
— Télio !
Je sursautai en entendant cette voix. Bernadette s'envola de peur, mais se contenta de tourner autour de ma tête en poussant de petits cris. Je me levai et regardai devant moi, de l'autre côté de la rive. C'était Samy, la copine de Télio. Et pourtant, malgré le fait qu'il avait passé la semaine entière dans ma ville, toute son attention était pour Bernadette.
— Heu... je suis pas Télio.
J'observai de plus près la rivière pour me rendre compte que je m'étais arrêté un peu avant les chutes que Télio et Samy m'avaient montré dans mon séjour à leur village. C'était ma destination depuis le début, certes, mais je n'avais même pas réalisé que j'y étais arrivé.
— Alors t'es l'autre type qui était avec lui la dernière fois ? Minho ?
— Presque ça.
— Milo !
— Tu chauffes, dis-je dans un rire. C'est Miö.
— Oh, c'était ce que j'allais dire... Qu'est-ce que tu fais de ce côté-là ?
— J'y étais depuis le début. Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ?
— Je t'ai vu de loin, et je suis venu te rejoindre.
— Merci, alors. Mais du coup... va falloir que je traverse encore, soupirai-je.
— N'aie pas peur, ce n'est vraiment pas profond.
Je hochai la tête, résigné, puis me jetai à l'eau. Elle ne monta qu'à mes épaules, et il me suffisait de marcher pour me rendre de l'autre côté, ce que je fis en une trentaine de secondes. Samy me tendit une main pour m'aider à en sortir pendant que Bernadette poussait des cris en volant autour de nous.
— T'es porteur de bonnes ou de mauvaises nouvelles ? demanda Samy une fois mes deux pieds sur la terre ferme.
— Ça dépend du point de vue. Et qu'est-ce que t'en sais que j'apporte des nouvelles ?
— J'ose espérer que tu sais ce qui se passe avec Télio. Je commence vraiment à m'inquiéter pour lui.
Je lui lançai un regard en coin, l'examinant. Les mains dans les poches, les yeux levés vers Bernadette qui voletait à quelques mètres au-dessus de nos têtes, elle semblait un peu trop sereine pour une fille qui s'inquiétait sincèrement pour son petit ami. On aurait plutôt dit qu'elle posait la question rien que pour la forme.
— Si tu veux savoir, Télio se fait passer pour moi à Digora, alors j'ai décidé de le lui permettre pour quelques jours de plus et de venir ici.
— Il a pris ta place ? s'étonna Samy en se mettant droite devant moi. Et tu le laisses faire ? Vraiment... J'aime bien Télio, mais sur plusieurs points, c'est qu'un enfoiré.
— Justement, je lui prête ma vie par vengeance, dis-je en levant la tête, fière de mon coup. Il verra bien que ce n'est pas parce que je suis de la ville que je l'ai eu facile. Et alors, il viendra de lui-même me rendre ma vie. Et ce sera fini, je retournerai chez moi et lui ici. Enfin, ça, c'est si je ne réussis pas à convaincre le roi qu'il lui faudrait la prison.
— Tu ne vas pas faire ça ! s'écria Samy, le regard noir.
— Hé, il a commencé le jeu de lui-même, et moi, j'essaie de gagner ! Tout simplement. Peu importe ce qui se passe, ce sera sa faute.
Samy poussa un long soupir, puis secoua la tête, lasse. Elle reprit la marche vers son village et je la suivis, sourire aux lèvres. Bernadette revint encore une fois sur mon épaule, se faufilant sous le col de mon sweat. Je l'attrapai avant qu'elle ne tombe et la mit dans ma poche.
— C'est pas pour te juger, mais qu'est-ce que tu fous avec une chauvesouris ? demanda Samy au bout d'un moment.
— T'avises pas de te moquer de Bernadette, dis-je d'un air supérieur. Et toi, d'ailleurs, justement dans le but de te juger, comment tu fais pour supporter Télio ?
— De la même façon que je te supporte présentement, dit-elle en levant les yeux au ciel. En fait, il suffit de se rappeler de ne jamais prendre au sérieux ce qu'il dit, parce qu'il ment tout le temps, et de rire de ses blagues même quand elles sont de très mauvais gouts. Il arrive aussi qu'il s'emporte facilement... Après ça, il devient amusant. Mais surtout, c'est un peu le fait qu'il n'y a pas beaucoup de choix, dans le village... Nous ne sommes que sept ados, une dizaine d'enfants, trois bébés et une quarantaine d'adultes.
Je gardai le silence un moment, étonné de toute l'information reçue en moins de quinze secondes.
— Dans ce cas, j'ose espérer que je serais plus facile à supporter que lui, dis-je enfin.
— Parce que tu veux vraiment prendre sa place, tout autant qu'il ait pris la tienne ?
Je réfléchis à la question, cherchant un moyen de formuler mes intentions. Je ne voulais pas me faire passer pour Télio, je voulais qu'on sache mon nom à moi...
— En fait, je veux juste un lit pour les prochaines nuits.
— Télio ne dort jamais chez lui, il déteste être avec sa mère...
— Chez sa tante, alors ?
— Rarement.
— Bah, il va où ?
— Avec moi.
Je m'arrêtai de marcher et Samy se retourna vers moi, une lueur émanant de ses yeux.
— Je dormirai chez sa tante.
— Tu ne veux pas coucher avec moi ? dit-elle avec un sourire malicieux.
Je me mordis la lèvre bien fort en secouant la tête, mais le reste de mon corps réagissait malgré moi à la proposition.
— Non, dis-je clairement, autant pour elle que pour moi. J'ai déjà une petite amie, et je n'ai pas l'intention de la trahir.
— Ah, je croyais que c'était la petite amie de Télio, maintenant.
Ma bouche se décrocha en entendant ses mots. J'en fus tellement sous le choc que mon esprit sembla souffrir d'un léger bogue. Quand la raison me revint, je remarquai Samy qui souriait encore plus, mais ce n'était pas de la joie. C'était le rictus cruel de celle qui avait compris avant moi.
— Je suis sûr que Télio n'avait pas pensé à moi quand il a couché avec elle, continua Samy.
Je serrai les poings, sentant la colère monter en moi comme je l'avais rarement ressenti. Imaginer Télio coucher avec Debbie, ma Debbie... Télio me semblait pire de jour en jour !
Et si seulement je n'avais pas eu peur, la dernière fois, si je l'avais fait avec elle, elle aurait tout de suite remarqué que Télio n'était pas moi, rien qu'à voir son corps sans mes innombrables cicatrices.
Si Télio avait été en face de moi, en ce moment, je l'aurais étranglé. Jusqu'à ce qu'il meurt.
Samy s'approcha de moi devant mon manque de réaction, me regardant droit dans les yeux comme si elle voulait s'assurer que ce corps était toujours habité.
— Et si on se vengeait ?
Elle attrapa mon poing entre ses mains, s'avançant encore un peu plus.
— Va te faire foutre, dis-je dans un souffle.
Il faut croire que, pour elle, ça voulait dire oui. Elle s'élança sur moi comme un fauve, plaquant ses lèvres contre les miennes. Et moi, tel un con dont le cœur était en miette, je lui renvoyai le baiser. J'étais trop en colère pour me soucier de mon apparence, à ce moment-là, et en un rien de temps, mon sweat s'était retrouvé loin, Bernadette volant au-dessus de nous sans savoir où se poser.
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