chapitre 18 ✅

Les portes se refermèrent derrière moi dans un claquement assourdissant. Je me retournai aussitôt en les frappant de mes poings, criant et pleurant pour qu'on me laisse entrer. Je savais la présence de ces deux hommes, au sommet de leurs tours, à me regarder sans broncher. Le tonnerre et la pluie se déchainaient au-dessus de ma tête, et ils n'en avaient rien à faire.

J'étais sur le point d'abandonner le secret. Je n'avais plus personne à couvrir, de toute façon. Tout ce que j'avais à faire était de retirer mon sweat et de m'envoler au-dessus du mur pour revenir dans ma ville. Et du même coup, prouver que je suis moi, et Télio partira aussitôt. Mais un détail me sauta aux yeux, alors même que j'essuyai l'eau de mes larmes et de la pluie sur mon visage.

Je ne devrais pas. Pas pour garder le secret de Jeremy, mais plutôt pour Télio. Il voulait ma vie ; pourquoi pas ? Rien que quelques jours de plus, et tout le monde sera content. Lui, il aura la sécurité relative de la cité Digora. Et moi, je serais libre, comme j'en avais si longtemps rêvé. Et surtout... surtout... Télio fera les tests à ma place.

Est-ce que ça arrêtera Remi quand il se rendra compte que ce sera Télio qu'il sera sur le point d'ouvrir à coup de scalpel ? J'espérais qu'il aurait les mêmes pensées que moi, le moment venu ; lui, au moins, il le mérite ! En plus, j'étais sûr qu'il guérissait autant bien que moi. Du coup, ce sera un cobaye idéal. Mais si ce n'était pas le cas... tant mieux. Il n'en souffrira qu'encore plus.

À cette idée, mes pleurs s'étaient transformés en un rire dément. Je n'arrivais plus à arrêter, plié en deux, une main sur mon ventre et l'autre me soutenant au mur. Dans le genre de plan foireux, Télio avait bien choisi le sien. Il allait souffrir, ce salaud !

Je relevai la tête vers les deux gardes dans leurs tours, qui semblaient ne plus rien comprendre à ce qui se passait dans mon crâne. Je souris de toutes mes dents, avant de lâcher, la voix coupée de crise de fou rire :

— C'est bon ! Vous avez gagné ! Je suis Télio. Je vous laisse avec le vrai Miö... Occupez-vous en bien !

Les deux hommes se lancèrent des regards en coin, alors que j'éclatais encore une fois d'un énorme rire. Je n'étais même pas sûr qu'ils m'aient entendu au-dessus des grondements du ciel, mais je n'en avais rien à faire. Me ressaisissant, je me tournai vers la forêt et, juste avant d'y entrer, me retournai une dernière fois vers les gardes, pour un minimum d'effet du salaud que j'étais censé être :

— Et allez tous vous faire voir, bande de crétins !

Je leur levai un doigt d'honneur pour chacun, puis m'enfonçai enfin dans les bois en courant. Je m'arrêtai au bout de deux minutes, incapable d'aller plus loin tellement j'étais hilare. J'avais rarement ri à ce point au cours de ma vie. Non, j'en étais sûr ; je n'avais jamais ri autant.

Quand je parvins à me ressaisir totalement, l'orage semblait encore plus près. Cette fois, je le voyais quant au fait que les éclairs flashaient au même moment que le tonnerre frappait ; il était directement au-dessus de ma tête. Et la pluie acide commençait à se faire douloureuse, également ; elle traversait mes vêtements et irritait ma peau. J'avais mal à la gorge, les poumons en feu, et je savais que ce n'était pas en lien à la course que je venais de faire. Il fallait que je me déniche un abri, le temps que la tempête passe.

Je me remis en route, à la recherche d'un endroit qui ferait l'affaire. Je le trouvai au bout d'une dizaine de minutes, où ma peur des orages commençait à reprendre le dessus sur mes émotions. C'était une large grotte, cachée entre une rivière féroce et le flanc d'une colline. Il fallait que je traverse cette rivière, mais le courant, accentué par l'averse d'une terrible intensité, la rendait vraiment dangereuse. Et il m'était impossible de la survoler, encore pour la pluie ; mes petites ailes n'auraient pas la force de me porter par ce temps. Et mes jambes encore moins ; je ne savais pas nager.

Je regardai désespérément de gauche à droite à la recherche d'une solution et trouvai, loin vers ma droite, quelques grosses pierres qui dépassaient du niveau de l'eau, faisant un genre de pont naturel. Je parcourus la quinzaine de mètres qui m'en séparaient et levai le pied sans le poser. Mon cœur se mit à battre à toute allure en voyant les trois mètres qui me distançaient de l'autre rive, des vagues qui débordaient au-dessus des pierres, du vent qui me poussait dans tous les sens, de la roche glissante. Il me suffirait d'un seul mauvais pas pour déraper, tomber dans la rivière et me noyer, emporté par le courant. Est-ce que cette grotte en valait vraiment la peine ? Je passais un sale quart d'heure sous la tempête, mais ma vie n'était pas en danger, tout de même. Non ?

Alors que j'en venais à cette conclusion, un éclair frappa, si assourdissant que je m'effondrai au sol, plaquant mes mains sur mes oreilles. Quand mon cœur reprit un rythme plus ou moins régulier, je me risquai à ouvrir les yeux et regardais le sapin qui avait été touché. À tout juste une vingtaine de mètres derrière moi !

L'arbre était maintenant en feu, mais il sera rapidement maitrisé avec la pluie. Je pouvais voir sur son tronc le cheminement de l'éclair, arrachant l'écorce de haut en bas.

Je me relevai d'un bon, décidé. Tant pis pour la noyade, je préférais encore ça à me faire frapper par la foudre ! J'étais déjà un mélange assez impressionnant de superhéros, je n'avais pas envie de m'approprier l'origin story de Flash, en plus du reste !

Il était temps pour moi de vérifier si toutes ces heures à faire de la gymnastique en auront valu la peine. Elle m'aura appris à faire des sauts arrière et à marcher sur les mains, mais saura-t-elle m'aider à traverser une rivière ? Je croisais les doigts.

Je pris une grande inspiration, puis me lançai. Je levai les bras, bien droit de chaque côté, puis avançai d'un premier pas sur la pierre. C'était exactement la même chose que traverser une poutre. Mais cette fois, le défi n'était pas de faire toutes sortes d'acrobaties sur mon chemin, mais plutôt de survivre à la fureur des éléments.

J'avais déjà parcouru deux des trois mètres qui me séparaient de la rive. Plus qu'un mètre, un seul... et c'est à ce moment qu'une énorme vague me frappa, me faisant perdre pied et tomber dans la rivière.

Je me débattais de toutes mes forces, m'efforçant désespérément de remonter à la surface. Le courant m'entrainait à toute vitesse, je me cognai contre les pierres et m'écorchai les mains au sang en essayant de m'accrocher. Quand je commençai à manquer de souffle, l'eau au-dessus de ma tête se souleva. J'avalai une grande goulée d'air, avant de tenter de me relever ; le courant me ramena au fond, continuant de m'emporter.

Quand je réussis enfin à m'agripper quelque part, j'avais déjà perdu espoir et je ne compris pas aussitôt ce que ça voulait dire. Mais ensuite, j'usai de mes dernières forces pour m'en servir d'appuis et me propulsai hors de la rivière. Je sautai littéralement comme un saumon remontant le fleuve et parvins à m'accrocher aux plantes sur le rebord de la rive. Avec un ultime effort, je m'arrachai à la puissance du torrent et me laissai tomber de côté sur la terre ferme, toussant et crachant l'eau que j'avais avalée.

À voir ce que ça avait valu... peut-être que j'aurais mieux fait de rester dans la cité, malgré tout.

Après avoir repris mon souffle, je me relevai lentement, épuisé et pestant contre Stanton. Avec tous les entrainements, tous les sports qu'ils nous avaient fait pratiquer... il n'avait jamais jugé utile de nous apprendre à nager ?

Je regardai longuement le décor autour de moi, passant une main dans mes cheveux trempés, et fut ravi de me rendre compte que j'étais au moins du bon côté de la rive. J'avançai en trainant les pieds, peinant à trouver de la force après tous les efforts que je venais de déverser. J'avais dû traverser une cinquantaine de mètres, au minimum, sous la rivière. Et quand j'arrivai enfin à l'entrée de la grotte, je poussai un soupir d'aise, m'y aventurant assez loin pour ne plus ressentir la moindre goutte de pluie. Je retirai mon sweat et mes joggings, les étalant au sol pour tenter de les sécher, puis m'appuyai contre la paroi, trop épuisé pour me soucier de l'inconfort.

D'ici, tout ce que j'éprouvais de la température extérieure était une légère brise. Je fermai les yeux d'épuisement avant de les ouvrir à nouveau en entendant un mouvement. Pendant un instant, la panique me revint ; et si un ours était là ? Mais quand je compris que le bruit venait d'en haut, je me laissai retomber dans un petit rire et levai la tête. Une centaine de chauvesouris avaient trouvé refuge ici, suspendues à la pierre par leurs pattes. Certaines semblaient dormir, d'autres me regardaient avec curiosité. Je sifflai entre mes dents, et comme un signal, l'une d'entre elles s'envola aussitôt vers moi, atterrissant sur mon genou.

Je souris en posant un doigt sur sa tête, la flattant dans le sens de ses poils noirs. Il fallait bien le dire, son nez si étrangement fait. Mais en dehors de ça, c'était un petit animal plein de beauté.

— J'espère que t'es pas là pour me faire caca dessus, ma jolie, murmurai-je dans un rire.

J'arrêtai de la flatter et elle grimpa aussitôt dans ma main, enroulant ses ailes autour de mon pouce. Elle était si minuscule ! Moi, en chauvesouris, je faisais bien cinq fois sa taille. Mes poils étaient roux, et non noir. Mon nez ne donnait pas l'impression d'être tombé tête première dans les instruments médicaux de Jeremy. Cette espèce-là mangeait certainement des insectes, mais moi, je mangeais des fruits.

J'étais de quelle espèce, au juste ?

Tout comme celle qui s'agrippait en ce moment à mon pouce, les chiroptères étaient attirés par moi. J'avais vu plusieurs espèces passer, mais elles avaient toutes en commun d'être petites et d'avoir un nez vraiment laid. Je n'en avais vu aucune qui me ressemblait...

La chauvesouris grimpa sur mon épaule et ce blotti contre mon cou, alors que mes yeux tombaient de fatigue. J'aurais tellement aimé avoir la réponse à mes questions...

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