Chapitre 15 ✅

J'avais les yeux rivés au plafond depuis dix bonnes minutes quand le nouveau docteur fit son apparition. Il posa doucement sa main sur ma joue, me regardant droit dans les yeux.

— Tu vas bien ? demanda-t-il en se penchant un peu au-dessus de moi. Miö ?

— Hmm...

Il secoua lentement la tête, puis s'éloigna vers le fond de la pièce pour faire je ne sais quoi.

Il y a quelques heures, j'avais fait une crise de panique. Ce n'était pas une première ; quand j'étais plus jeune, c'était assez fréquent. Ça devait faire au moins trois ans que ça ne m'était pas arrivé, mais à chaque fois, le seul moyen de me calmer, c'était les anxiolytiques. Jeremy connaissait le dosage dont j'avais besoin, mais le nouveau n'en avait qu'une vague idée. Et pour finir, il m'en avait trop donné. Et maintenant, je me sentais tellement fatigué que je m'endormais, me réveillais et m'endormais à nouveau toutes les deux minutes. L'avantage était que, enfin, je ne ressentais plus ma grippe.

Je penchai la tête vers le docteur. Je n'arrivai pas à comprendre ce qu'il faisait. Il me tournait le dos.

— Hé... Tu ne m'as jamais dit ton nom, marmonnai-je.

Il fallait bien que je connaisse mes ennemis. Même s'il était bien possible que je l'oublie deux minutes plus tard ; ces médicaments me donnaient des trous de mémoire.

— Appelle-moi Remi, dit-il enfin.

— Est-ce que tu vas refaire tous les tests sur moi ?

— C'est pour ça que tu as paniqué ?

Je hochai mollement la tête et fermai les yeux avant même de connaitre la réponse. J'étais tellement fatigué...

— Non, dit Remi alors que je l'entendais faire quelques pas vers moi. Pas tous.

Pas tous. Ces deux mots auraient suffi à déclencher une seconde crise. Heureusement pour moi, j'avais confiance aux médicaments. Et surtout, j'étais trop drogué pour m'en soucier.

— Repose-toi encore un peu. Dans un rien de temps, ta grippe sera partie et tu pourras sortir d'ici.

Ce n'était pas pour le plaisir de lui obéir, mais aussitôt demandé, mes yeux se fermèrent hermétiquement.

*

Quand j'ouvris à nouveau les yeux, la lumière dans ma chambre était éteinte et Remi n'était plus là. Les effets des médicaments semblaient s'être dissipés, et surtout, pour ma plus grande joie, je ne ressentais plus la grippe. Est-ce qu'elle était partie pendant mon sommeil ? Je sortis de mon lit, marchai jusqu'à ma salle de bain et observai mon reflet dans le miroir. J'avais encore le teint très pâle, mais pour le reste, je me sentais bien.

Je m'apprêtai à retourner à ma chambre, mais mon regard dévia vers le fond de la pièce. Le souvenir de Jeremy refit surface, adossé à la baignoire alors qu'il allait de plus en plus mal, jusqu'à ce qu'il s'endorme... du moins, je croyais qu'il dormait.

Je serrai les poings, essayant de me ressaisir, puis sorti en claquant la porte derrière moi. Il fallait que je retrouve Télio.

De retour à ma chambre, je m'habillai d'un jogging et un sweatshirt large pour un maximum de confort, puis quittai la pièce sans même prendre la peine de vérifier si j'étais toujours contagieux ou pas. Si on m'apercevait, je n'avais pas de doute qu'on m'enfermerait à nouveau.

J'allai à l'ascenseur sans croiser personne et descendis au premier étage. Mais quand elles s'ouvrirent, je fis face à face avec Math. Je reculai aussitôt pour le laisser entrer, à la fois surpris et heureux de voir un ami. Sans que je puisse penser à sortir tant que j'en avais le temps, les portes se refermèrent et Math appuya sur le bouton numéro deux. Il allait à la salle de gym.

— Salut ! dis-je quand je pus enfin me reprendre.

Math répondit d'un grognement, les yeux rivé droit devant lui. Son comportement me pinça le cœur ; il était toujours joyeux, le premier à saluer. Qu'est-ce qui lui prenait ?

— Ça va ? demandai-je, un peu inquiet.

— J'ai oublié mon sac de sport dans les vestiaires du gym. Du coup, je vais être en retard sur la piste. Mais qu'importe, tu t'en fous.

— Mais non, pourquoi tu dis ça ?

Math me lança un regard noir, lourd de sens, et les portes s'ouvrirent sur le deuxième étage. Math se précipita hors de l'ascenseur et, sans me laisser démoraliser, je le suivis.

— Hé, Math ! Attends-moi, une seconde...

Il se retourna enfin, alors qu'il n'était plus qu'à quelques mètres du vestiaire des garçons. Je m'approchai de lui, et comme que je m'apprêtai à poser ma question, Math m'enfonça son poing en pleine poire. Le choc me fit tomber à terre et avec un gémissement, je me tâtai le nez. En éloignant ma main, je vis mes doigts couverts de quelques gouttes de sang. Je me mis à genoux et levai des yeux écarquillés vers Math.

— Tu vas me foutre la paix, enfin ?! s'écria-t-il, le poing toujours en l'air.

Je me protégeai le visage derrière mes bras, mais quand j'eus le courage de relever la tête, il n'était plus là.

Télio. C'était forcément lui.

Je pris une grande inspiration, me préparant à me défendre contre mon propre meilleur ami, puis allai dans le vestiaire. Math était là, assis sur un banc au milieu de la pièce, fouillant dans son sac posé à côté de lui. Quand il se rendit compte de ma présence, il s'arrêta aussitôt pour se lever d'un bond et serrer les poings. Je lui présentai mes paumes en signe de soumission et m'appuyai contre la porte.

— Écoute-moi, Math, je te jure... je sais pas ce qui s'est passé pour que tu sois comme ça... mais c'est pas ma faute...

— Pas ta faute ? me coupa-t-il, le visage virant au rouge sous la colère. C'est pas ta faute si j'ai une face de rat ? Pas ta faute si ton pied s'est enfoncé dans mes côtes, et pas ta faute si me voir souffrir te faisait éclater de rire ?

Ma bouche s'ouvrit en grand sans qu'aucun son ne sorte, sous le choc. Je savais que Télio était débile, mais à ce point-là ?

— C'était pas moi, je te jure... c'est mon jumeau...

— Miö, s'te plait, arrête de dire n'importe quoi ! Tu es fils unique !

— Non...

Je secouai la tête, ne sachant plus quoi dire pour ma cause. Tout le monde croyait que Cynthia était ma vraie mère et que j'étais son seul enfant. Alors lui dire que c'était un mensonge, pour arranger tous les autres mensonges qu'avait fait Télio, c'était plutôt précaire.

— Pousse-toi, je veux sortir, maintenant.

— Laisse-moi juste une chance de m'expliquer !

— J'en ai rien à faire, de tes explications ! Dégage de ma vue, ou je te jure...

Math leva les poings et je fis un pas de côté, le cœur battant. Qu'est-ce que Télio avait fait ? Il gambadait dans ma ville en se faisant passer pour moi depuis près d'une semaine ; qui sait combien de trucs interdits il avait faits à mon nom ?

Math avait quitté le vestiaire depuis longtemps et quand je me risquai à sortir à mon tour, il n'était plus nulle part. J'allai à l'ascenseur encore une fois pour descendre au premier. Au moins, j'avais une destination, qui se trouvait être à côté : la piste de course. Je commençai déjà à ressentir de la fatigue ; j'étais maintenant fixé, je n'étais pas totalement rétabli de ma grippe. Espérant seulement que je ne contaminerai personne sur mon chemin...

En peu de temps, j'étais arrivé sur le terrain, au pied de la tour. Je me tenais à l'ombre des gradins, regardant qui était là. Je voyais Math qui s'échauffait un peu plus loin alors que Debbie et Saphie couraient déjà sur la piste. Zack n'était pas là et personne ne semblait s'en soucier. Et bien sûr, Télio aussi n'était pas présent. Je n'avais pas de doute à croire qu'il avait battu mon propre record, je savais qu'il était plus rapide que moi. Mais j'aurais aimé qu'il soit ici pour lui foutre la raclée qu'il mérite en public. Et bien faire comprendre aux autres que lui, ce n'était pas moi.

— Miö !

Je levai les yeux, surpris, vers Stanton l'entraineur qui venait vers moi. Je fus soulagé de voir qu'il ne semblait pas avoir envie - pour l'instant - de me défoncer le portrait.

Au loin, Math, qui m'avait remarqué grâce à Stanton, s'élança aussitôt sur la piste. Probablement pour mettre le plus de distance possible entre nous.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? Je croyais que tu passais la journée chez Cynthia.

— Oh, euh, oui, j'y allais, dis-je en hochant la tête. J'étais dans le coin et je voulais dire salut...

Je regardai à nouveau vers la piste. Debbie et Saphie trottaient côte à côte, économisant de l'énergie pour se donner à fond vers la fin, et Math loin derrière, enfermé dans sa solitude. Qu'est-ce que je pouvais faire pour lui ? Et les filles ? Je passais rarement de temps avec Saphie, mais elle était tout de même une amie. Et Debbie, surtout, j'aurais voulu courir jusqu'à elle et la prendre dans mes bras ; ça faisait une éternité que je ne lui avais pas parlé. Mais je savais maintenant où était Télio et l'urgence était de le faire partir d'ici avec un bon coup de pied aux fesses.

— Salut, dit alors Stanton, me regardant d'un air suspicieux.

Je répondis d'un sourire et tournai les talons, mais Stanton posa sa main sur mon épaule pour m'arrêter.

— Est-ce que tu vas bien, ces temps-ci ? demanda-t-il derrière moi. J'ai remarqué que tu te comportais un peu bizarrement.

Je me retournai vers lui, les yeux au sol. J'avais honte de Télio, et tout le monde croyait que Télio était moi. Double honte.

— J'ai un petit problème à régler. Ça ira mieux après.

Je me dégageai de la main de Stanton sur mon épaule et reparti en direction de mon appartement. J'aurais pu me transformer pour arriver plus vite, mais je préférais marcher, faire fonctionner mes jambes depuis le temps que j'étais enfermé dans ma chambre du sixième. Je voulais être en forme, au moins un peu, quand j'affronterai Télio.

Le moment était venu qu'il foute le camp une bonne fois pour toutes...

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