Chapitre 120
Tout était terminé, ou à la limite, presque terminé. Il ne restait plus qu'à mettre au clair un dernier point, tout de même assez important, selon moi ; notre liberté.
Je sortis de ma chambre à neuf heures précisément, en pyjama et teeshirt en col V. Les cicatrices sur mes bras et mon cou étaient visibles, elles sautaient pratiquement aux yeux de n'importe qui sous l'éclairage, mais je n'en avais rien à faire. Aujourd'hui, j'étais heureux, et prêt à défoncer la gueule du premier à essayer de me rabaisser, quelle que soit la raison. J'allai à la salle à manger, m'asseyant à côté de Math qui était un des seuls à être déjà réveillé, en dehors de Tom et Simmer, chacun à une extrémité de la table. Je m'appropriai un bol de fraise au centre de la table et y mis un bon paquet de sucre.
- T'es lequel, toi ? dit Math en plissant les yeux.
- Miö. Ça se voit pas ? dis-je en levant mon bras devant lui, pour qu'il voie bien mes cicatrices.
- Si, ça se voit très bien, justement. Qu'est-ce que tu fais en teeshirt ?
- Tu préfèrerais que je sois torse nue ? Il fait un peu froid, quand même.
Math poussa un soupire, avant de se tourner vers son père pour un peu de soutien. Je mangeai mes fraises, ignorant le problème.
- Pourquoi tu te caches plus ? dit-il enfin. J'ai rien contre, c'est juste... soudain.
- J'en ai marre de porter des pulls. C'est trop chaud, et l'été arrive.
- Tu viens tout juste de dire qu'il faisait un peu froid.
- Trop froid pour être torse nu, mais trop chaud pour des pulls !
- OK, OK ! dit Math en levant les mains en l'air comme un criminel. C'est bon, j'ai compris.
Aël et Hadrien arrivèrent pour clore la conversation, s'asseyant en face de nous. Je continuai de manger mes fraises inondées de sucre, Math ses céréales. Hadrien se prit des œufs brouillés et quelques saucisses. Aël, comme toujours, ne mangea rien, se contentant de s'enfoncer dans sa chaise. Ensuite, Albert arriva à son tour, puis Seth. Enfin, Léo et Riley.
- Bon, tout le monde est là, dit Tom en tapant dans ses mains pour ramener l'attention sur lui. C'est aujourd'hui qu'on teste le produit. Vous êtes toujours d'accord pour le faire ?
Simmer hocha la tête. Puisqu'il sera le premier à le tester, ça allait de soi que ce soit à lui de prendre les décisions, concernant le sujet. Même si, peu importe le sujet, il se faisait toujours un plaisir de prendre des décisions.
- Ce sera à midi, devant la tour. Ou devant ce qu'il en reste.
- Qu'est-ce qui va se passer, si ça marche pas ? demanda Seth en même temps de mordre dans une saucisse, les coudes appuyés sur la table. Si ça a des effets secondaires, si ça nous tue ?
- Alors là, il faudra improviser, soupira Tom.
À midi, Tom et une bonne dizaine de gardes nous entrainèrent jusqu'à la tour. Ou ce qu'il en reste, comme il l'avait si bien dit un peu plus tôt. La tour avait achevé de s'effondrer, elle était appuyée contre un autre immeuble plus petit qui, par chance, n'était pas habité. Des blocs de béton et des morceaux de verres jonchaient la place, nous forçant de nous mettre au centre de la rue plutôt que « devant » la tour. C'était le plus près que nous pouvions aller sans nous mettre à escalader sur les débris.
Remi arriva à nous en portant une chaise. Un de ses assistants le suivait avec une trousse contenant, de toute évidence, le fameux produit, accompagné de seringues et autres trucs médicaux. Je regardais d'où ils étaient sortis ; l'immeuble d'à côté, ne faisant pas plus de cinq étages, entièrement fait de brique rouge. Comparée à la tour, celle-ci me semblait minuscule.
Remi posa la chaise devant nous avant de lever les yeux vers moi. Il haussa les sourcils en remarquant mon teeshirt, mais ne fit aucun commentaire sur le sujet.
- On va attendre que la foule arrive avant de commencer. Ça ne servirait à rien de faire tout ça public s'il n'y a personne pour regarder.
Tom regarda sa montre. Un garde tapa du pied en regardant dans toutes les directions.
Enfin, quelques-uns arrivèrent. Il y avait Debbie, accompagnée de son père. Elle me fit un sourire et un signe de main, à laquelle je répondis. Son père ne dit rien, ce contentant de nous regarder, chacun à tour de rôle. J'enfonçai mes mains dans les poches de mon jean et me tournai vers Albert, qui était près de moi. Je n'avais rien à dire, j'avais seulement besoin de regarder ailleurs. J'aimai autant Debbie que je détestai son père.
Quelques minutes de plus, et le reste des habitants arrivèrent à leurs tours. Tous s'étaient attroupés en cercle autour de nous.
- Bon, on va commencer, dit enfin Tom. Simmer, vient-là.
Simmer s'avança pour s'assoir sur la chaise pendant que Remi préparait la seringue. Pendant ce temps, je scrutai la foule, à la recherche de visage connu. En dehors de Debbie, je ne connaissais les autres que de vue.
- Alors, Simmer, tu ne fais pas d'allergie ? demanda Remi. Tu prends des médicaments ?
Simmer haussa les sourcils, sans comprendre. J'aurais presque pu pouffer de rire. Et enfin, Remi enfonça l'aiguille dans l'épaule de Simmer et appuya lentement sur le bouton pour l'injecter. Son visage se crispa, Remi retira l'aiguille, se pencha vers Simmer pour lui murmurer quelque chose à l'oreille et recula d'un pas pour l'observer.
- On va attendre quinze minutes pour s'assurer que tout va bien.
Simmer hocha la tête, passa la main sur son épaule. Il souffla un bon coup, comme pour évacuer le stress, puis nous leva le pouce avec un petit sourire. Tout allait bien. Mais le produit n'avait pas encore fait son effet.
Le temps passa lentement, dans le silence, alors que tout le monde regardait Simmer avec appréhension. Enfin, quinze minutes passèrent dans un silence presque complet. Simmer était toujours en vie, c'était déjà ça de bon.
Tom s'approcha de Simmer. Simmer lui dit quelque chose, l'air sérieux. Ils parlaient si bas que même moi, je n'entendais pas. Tom hocha la tête, murmura un désolé, lui prit la main et y planta le bout d'un petit couteau, au centre de la paume. Simmer se mordit la lèvre pour éviter de crier de douleur, Tom répéta à nouveau son désolé, puis prit un linge blanc qu'il pressa contre sa main.
- Comment tu te sens ? demanda-t-il en levant enfin les yeux vers lui.
- Un peu bizarre.
- En bien ou en mal ?
- Je sais pas, juste bizarre, dit Simmer en faisant la moue et haussant une épaule.
Tom attendit une minute de plus avant de retirer le linge sur sa main. Je me penchai légèrement pour avoir une meilleure vue, curieux ; la plait était toujours là. Simmer écarquilla les yeux et se leva d'un bon de sa chaise.
- Saloperie, je guéris plus ! s'écria-t-il en se levant et se tournant vers nous, presque en panique.
- Ça va, Simmer, calme-toi ! l'interrompit Tom en le prenant par les épaules. Ça va, c'est qu'une toute petite plait. Essaie de te transformer, maintenant.
Simmer hocha la tête, prit une grande inspiration. Tom recula de quelques pas pour lui faire de la place. Mais Simmer resta toujours Simmer, et sur le coup, il se mit littéralement à bondir en criant des « Aaah, j'y arrive pas ! »
- Simmer, calme-toi ! s'énerva Tom. C'était le but, idiot !
Simmer s'arrêta de bondir, regarda à nouveau sa main, se tourna pour planter ses yeux dans ceux de Remi.
- Ça va me prendre combien de temps pour guérir ?
- Deux ou trois jours.
- Quoi, rien que pour ça ?!
- Simmer, sérieusement ! Arrête ! dit Tom. Tu ne vas pas en mourir.
Simmer prit une grande inspiration, puis s'approcha vers nous, les yeux toujours fixés sur sa main.
- J'ai été convaincant ? demanda-t-il dans un murmure.
- J'ai presque eu de la peine pour toi, dit Aël.
- Ça a pas marché, je ne sens aucun changement, dit-il, les yeux toujours exorbités par la panique qu'il n'avait fait qu'acter. Tom avait prévu le coup, il a mis du faux sang sur la serviette, dit-il en agitant les doigts.
- Je me disais bien que c'était un peu excessif, dis-je en m'efforçant de ne pas pouffer de rire.
- Allez, au suivant ! dit Remi. Qui veut être le suivant ?
Personne ne se prononça. En dehors de Simmer qui devait prouver la chose, nous savions déjà que, pour les prochains, nous n'aurions droit qu'à de l'eau et du colorant, mais ce n'aurait pas été réaliste d'y aller sans crainte alors que Simmer venait de perdre ses dons d'une façon aussi cruelle – pour entrer dans le jeu – alors Tom ce donna pour mission de nous pointer du doigt pour désigner le suivant. Riley n'eut pas à y passer, puisqu'il n'avait que dix ans, il était malade, et que sa forme animale était un chat – quel danger pouvait présenter un chat, vraiment ?! Quand bien même il savait tout autant que nous que ce n'était que de l'eau et un peu de colorant, il fallait garder la petite touche de réalisme. Et nous nous mîmes tous d'accord pour avoir l'air excessivement épuisés, comme si le produit volait non seulement nos dons, mais nos endurances physiques, espérant peut-être un jour gagner la pitié du peuple. Heureusement pour nous, nous étions tous d'assez bon menteur.
Télio aurait été fier de nous.
Ce fut difficile, mais nous réussîmes à attendre d'être de retour à la maison de Tom pour tous éclater de fou rire dément. Même Tom fut incapable de s'empêcher de rire avec nous.
Math arriva en courant depuis un corridor pour se planter devant nous. En nous voyant tous pliés en deux, il se mit à sourire de toutes ses dents.
- Ça a marché, en dirait ?
- On les a tous roulés dans la farine, dis-je, incapable d'arrêter de rire.
- Vous savez ce que ça veut dire, dit Tom en prenant une mine un peu plus sérieuse. Interdis de vous transformer. En public, précisa-t-il par la suite devant les rires qui s'était subitement arrêté.
- On n'a pas le choix de l'accepter, maintenant, dit Seth dans un soupir théâtral. On aura au moins le jardin ?
- Oui, je vous laisse le jardin, dit Tom avec un petit sourire en coin. Après tout, j'ai eu une petite idée d'avenir qui pourrait peut-être vous plaire. C'est peut-être futile, vu notre condition de fin du monde, mais je veux faire de vous notre première ligne de défense.
- Défense contre qui ? dis-je en pouffant à nouveau de rire. Tous nos potentiels voisins ennemis, on les a déjà ramenés ici !
- Bah justement, vous risquez d'avoir une belle vie tranquille.
Je haussai les sourcils avant de croiser le regard de Simmer, qui avait toujours sa main tachée de faux sang en l'air.
- C'est cool, mais on va vite s'ennuyer.
- Pas si je vous envoie régulièrement en reconnaissance. Hors de la ville. Ou vous pourrez faire ce que vous voulez. Pas besoin de prendre ce « produit » quand vous sortirez.
Là, ça devient intéressant.
Peut-être que mon avenir ne sera pas si ennuyant que ça, finalement.
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