Chapitre 115

Il m'avait fallu un bon dix minutes de douleur intense avant tout s'arrête, aussi subitement que c'eût commencé. J'avais encore des fourmillements dans les membres, mais ce n'était rien, à côté.

Je me mis à genoux, regardant ce qui se passait autour de moi. Derrière le mur de chauvesouris qui me tournait autour, le combat faisait rage entre le monstre et les clones. Le monstre, qui ressemblait toujours à un cheval de cinq mètres de haut, tentait de piétiner le loup et le guépard qui tentait, sans résultat puisqu'il était beaucoup trop grand, de le mordre au cou ou de lui sauter sur le dos. Un peu plus loin, Albert prenait soin de Riley et d'Hadrien. Malgré le coup qu'il s'était pris à la tête, Hadrien était assis, regardant ce qui se passait. Nos regards se croisèrent ensuite, et je me décidai à me lever pour les rejoindre, sans faire de mouvement brusque. J'avais peur que le monstre ne me remarque.

- Ça va, Miö ? Tu vas mieux ? demanda Albert.

- Ouais, je crois que c'était le vieux. Il avait réactivé la puce, mais elle était abimée. Ça me faisait un mal de chien, mais c'est fini.

- Moi aussi, je sens plus rien, dit Riley. Mais pourquoi il l'aurait éteint ?

Je haussai les épaules. Je n'en avais aucune idée.

Un hurlement bestial me fit redresser tous les poils de mon corps. Je tournai la tête pour voir Simmer le loup balancé dans les airs et atterrir durement contre une paroi de la grotte, puis tomber au sol. Il se retransforma en humain et resta allongé là, à bout de force.

- SIM...

Albert se précipita pour cacher la bouche d'Hadrien avant qu'il ne ramène l'attention sur nous. Il avait les larmes aux yeux, mais n'essaya pas de se dégager. Seth était maintenant seul contre le monstre ; il ne tiendra pas longtemps sans aide.

- J'ai une idée ! chuchotai-je pour Albert, les yeux toujours rivés sur le combat. Tu connais Sharknado ?

- Le quoi ? demanda Albert.

- Oh, laisse tomber. Est-ce que tu sais grimper ?

Je pointai du doigt un mur de la grotte. Il était assez incliné pour que ce soit possible de le grimper, en même temps assez raide pour que ce soit difficile.

- Ça ? Ouais, je pourrais, dit Albert. C'est quoi, ton plan ?

- Oh, je vois ce que tu veux dire ! dit Hadrien en écarquillant les yeux.

- Quoi, t'as déjà vu Sharknado ?

- Non, mais j'imagine. Ça a un nom assez révélateur.

Je souris fièrement. J'étais de l'avis de Math, maintenant ; il leur fallait une culture générale sur les films.

- Vas-y. Nous deux, dis-je pour Hadrien, on va faire diversion pendant que tu grimpes. Et Riley, va par-là pour te cacher, OK ?

- Ah, j'ai le meilleur rôle ! dit Riley.

Sans attendre une seconde de plus, il se leva et courut pour se cacher dans la forêt. Ça faisait toujours bizarre de voir Riley courir.

Je fis un signe de tête aux autres, puis me transformai pour me mettre dans l'action. Les autres chauvesouris, qui n'avaient jamais arrêté de me tourner autour, suivirent le mouvement comme si j'étais leur chef. Je me mis à mon tour à tourner autour de la tête du monstre, suivi par toutes les autres chauvesouris. Nous étions tellement nombreux que le monstre ne pouvait plus se concentrer sur quoi que ce soit ; ce n'était plus qu'une masse noire et mouvante devant ses yeux. Il était désorienté, il essayait de mordre les chauvesouris, de les chasser en donnant des coups de sabot dans les airs. À sa taille comparée à la nôtre, c'était comme si nous n'étions qu'une nuée de mouches. Impossible d'en attraper une seule.

Du coin de l'œil, je vis Seth qui s'était éloigné, essayant de reprendre un peu de souffle. Hadrien, qui s'était transformé en serpent et s'approchait sournoisement d'une de ses pattes arrière. Albert, grimper difficilement la paroi de la grotte.

Le monstre était sur le point de se désintéresser de moi, sachant que je ne servais que de distraction. Alors, je plongeai pour le mordre. Les chauvesouris suivirent le mouvement, se mettant à le mordre à leur tour un peu partout. Hadrien en ajouta une couche en le mordant à la cheville.

Le cheval hennit de panique et de douleur, avant de changer de forme et de redevenir humain. Je m'envolai aussitôt, les chauvesouris suivirent le mouvement. Il eut d'abord son apparence d'enfant de huit ans, avant de reprendre en grandeur et en largeur pour atteindre les quatre mètres de haut. OK, il en avait assez de jouer.

Mais Albert avait fini de grimper. À sept mètres, environ, il se laissa tomber dans le vide, juste au-dessus du monstre, et pour la toute première fois, je le vis se transformer en un grand requin blanc. Le monstre s'en aperçut une seconde avant qu'il ne lui tombe dessus et il eut tout juste le temps de se pencher pour que sa tête n'entre pas directement dans sa gueule. Au lieu de ça, Albert lui tomba sur le bras, qu'il avala tout entier avant de l'arracher et de tomber au sol. Albert reprit forme humaine, la bouche barbouillée de sang et un bras énorme à côté de lui.

Il y eut un long moment de silence, alors que tous, même le monstre, étions complètement figé par ce qui venait de se passer. Puis il reprit sa taille de huit ans, tomba sur le cul et se mit à pleurer en se tenant le moignon.

Je me transformai et reculai de plusieurs pas, profondément mal à l'aise. Hadrien en fit de même et vint me rejoindre, se postant un peu derrière moi, comme s'il voulait que je le protège.

- Je crois qu'on y est allé un peu trop loin, murmura-t-il à mon oreille.

- Reculez, dit Simmer.

Je tournai les yeux vers lui, gardant toujours une partit de mon attention au monstre. Simmer était toujours assis contre un mur de la grotte, l'air bien étourdit, une coulisse de sang sur le front. Mais au moins, il était conscient. Il se leva lentement, se retenant contre le mur. Seth lui passa un bras sur ses épaules pour le soutenir.

- Est-ce que tu en as fini d'essayer de nous tuer ?

Le monstre leva des yeux larmoyants vers lui, les lèvres tremblantes et la morve au nez. Du coup, c'était un peu bizarre de l'appeler « le monstre ». Son vrai nom lui allait beaucoup mieux maintenant ; le petit Frodo, projeté dans un monde trop complexe et dangereux pour lui. Il ne vaut pas grand-chose sans son fidèle Sam Gamji.

- Est-ce que vous avez fini d'essayer de me tuer ?! répliqua-t-il d'une petite voix aigüe. J'essaie seulement de survivre, moi, c'est vous qui essayez de me tuer ! Pourquoi, qu'est-ce que je vous aie fait, hein ?! J'existe depuis hier, putain !

- T'as un vocabulaire assez grossier pour un nouveau-né, ne pus-je m'empêcher de répliquer.

- Miö, dit Simmer en m'envoyant un regard noir. Laisse-moi parler. Frodo, dit-il en reportant son attention sur lui, est-ce que tu as seulement conscience du nombre de morts que tu as laissés sur ton chemin ?

- Ouais, eh bien c'était pour vous tuer, répliqua Frodo en lui lançant un regard noir.

J'échangeai un regard avec Hadrien, lui aussi perdu que moi. Il se contredisait complètement.

- Tu as donc essayé de nous tuer en premier, dit Simmer en essayant tant bien que mal de ne pas laisser paraitre son exaspération.

- Oui, pour pas que vous le fassiez en premier ! hurla Frodo.

Sous le coup de la colère, son sang se mit à couler plus vite entre ses doigts. Le peu de couleur restante sur son visage disparut alors qu'il grimaçait faiblement. Il prit une grande inspiration pour retrouver son calme, avant de reprendre :

- Papa m'a dit que vous alliez vouloir me tuer, et que rien n'allait vous arrêter. Que si je voulais vivre, il fallait que je vous tue en premier.

- Frodo, dit Simmer en secouant la tête. Regarde-nous ; nous sommes tous identiques. Et regarde-toi. Pourquoi on aurait voulu te faire du mal sans bonne raison ? Ton père t'a dit ça seulement pour te remonter contre nous. C'est lui qui veut notre mort, et pas le contraire. Il t'a créé dans le seul but de nous tuer. Et tu as bien réussi à tuer l'un d'entre nous, alors prend-le naturel qu'on se défende.

Frodo ne trouva rien à redire à ça, se contentant de fixer Simmer de ses yeux larmoyants. Le silence dura quelques secondes, puis il renifla avant d'ajouter ;

- J'étais d'accord pour faire ce que papa m'avait dit de faire, dit-il enfin, la voix tremblante. Mais... en fait, c'était pas vraiment moi. Pas à cent pour cent.

- Les puces, murmurai-je.

Frodo hocha la tête.

- Elle est désactivée. Mais si elle avait été activée, j'aurais été incapable de m'arrêter, même avec un bras en moins. (Il prit une inspiration, grimaça de douleur en serrant son moignon, puis releva les yeux pour nous dévisager, chacun à tour de rôle.) Vous devriez me tuer, pendant que vous en avez l'occasion.

- Non, dit aussitôt Simmer. On peut te ramener à Digora avec nous, le docteur pourra retirer ta puce et soigner ton, enfin, ce qui était ton bras.

Bien sûr que non. Personne ne le laissera entrer, après la (ou les) dizaine de morts qu'il avait semés, rien que pour nous faire sortir de la tour. Sous contrôle de la puce ou non. C'est déjà limite s'ils nous supportent, nous. Alors lui en plus... Simmer a complètement perdu la tête, s'il croit avoir une chance de le ramener à Digora.

- Heum... Simmer...

Simmer leva des yeux noirs vers moi, l'air de dire : « la ferme, Miö ! » je l'ouvris tout de même, car il fallait bien trouver une solution et c'était inutile de lancer des idées impossibles en l'air. Mais avant qu'un seul mot ne sorte de ma bouche, Frodo s'était laissé tomber par en arrière, évanoui. Le sang continuait toujours de sortir de sa plaie, formant une petite marre autour de lui.

- Il est mort ? demanda Hadrien. Pitié, dites qu'il est mort.

- Évanoui, je crois, dit Seth.

Il lâcha le bras de Simmer pour s'approcher de lui et, précautionneusement, lui donna un petit coup de pied sur la jambe. Frodo ne réagit pas, complètement dans les vapes.

- J'arrive toujours pas à croire que je lui ai arraché le bras, marmonna Albert dans son coin. Avec ma bouche.

- Le danger est écarté ? demanda Riley en sortant enfin de sa cachette.

- Ouais, je crois bien, dit Simmer.

- Alors, on fait quoi de lui ? On peut pas le ramener à Digora, dis-je en lançant un regard insistant vers Simmer. D'aucune manière.

- Je sais, soupira Simmer. Mais on peut pas le laisser mourir non plus.

- Pourquoi pas ? dit Hadrien. Sans parler des litres de sang qu'il perd, il ne vivra pas longtemps. Rien qu'à la vitesse qu'il grandit, il sera déjà un sénior dans trois jours d'ici. Vraiment, ça servirait à rien de le sauver. C'est pas pour faire mon sadique – même si, je sais, je suis probablement le plus sadique ici -, mais on devrait le tuer. Pour abréger ses souffrances, je veux dire.

- Hadrien..., s'énerva Simmer.

- Hé, t'es peut-être vieux et barbu, mais j'ai droit de parler, moi aussi ! Qui vote pour mon idée ?

Je levai la main en premier. Parce que, je le sais, j'étais bien plus sadique qu'Hadrien – lui, il était juste pessimiste. Seth leva aussi la main, créant l'égalité.

- Lève la main, Riley, dit Hadrien.

Riley dansa d'un pied à l'autre, ne sachant plus où se mettre.

- On ne peut pas décider de la vie d'un être humain ! dit Simmer en serrant les poings.

- Il a tué Arthur, répliqua Seth en faisant face à Simmer.

- Il était sous l'influence de la puce.

- Il a dit que s'il avait voulu s'arrêter, il n'aurait pas pu, à cause de la puce. Il n'a jamais dit qu'il avait essayé d'arrêter. Mais merde, Simmer, ça sert à rien de le sauver ! Il est perdu, tu le vois bien. Je crois même qu'il est déjà une cause perdue. Le sang ne s'arrête jamais de couler...

Il avait raison. La flaque de sang était si grande, maintenant, qu'elle enveloppait presque le corps de Frodo, sur tout le côté droit, de la tête au pied. Normalement, même pour une blessure aussi grave, un clone comme nous, avec notre rapidité de guérison, une mince couche de peau serait apparue pour stopper le sang depuis longtemps. Donc ; soit il était déjà mort, soit il n'avait pas notre capacité de guérison. D'une façon comme d'un autre, Seth avait raison. Frodo était une cause perdue.

Je m'approchai de lui, m'agenouillai du côté gauche, où le sol n'était pas barbouillé de sang, et posai deux doigts contre son cou. Il y avait un pouls, mais il était si faible, à peine un battement aux dix secondes. Et ça diminuait.

Je secouai la tête en levant les yeux vers Simmer. Avec un médecin et un peu de volonté, nous aurions surement pu le sauver. Mais nous n'avions ni l'un ni l'autre.

- C'est fini, Simmer. Il est mort.

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