Chapitre 113
Aussitôt que Léo et Aël furent partis, nous avions levé le camp. Nous savions que, quand le monstre reviendra à la charge, il n'aurait pas besoin de chercher pour nous trouver. Comme il savait que nous étions dans la tour, il saura où nous serons ensuite, et il valait mieux être le plus loin possible de Digora à ce moment-là. Assez d'innocents étaient morts pour aujourd'hui, il était inutile d'augmenter les nombres.
- On s'arrête ici ? demanda Seth, qui portait Riley dans ses bras. Je suis épuisé.
Simmer hocha la tête. Je me laissai aussitôt tomber assis au sol, fermant les yeux pour passer l'étourdissement qui me prenait. Depuis que Léo était parti, je n'étais plus qu'une loque, bon à rien d'autre qu'à suivre les autres. Et pendant la longue marche que nous avions fait pour nous retrouver ici, au milieu du désert, j'avais réalisé une chose à propos de moi-même ; j'étais du genre masochisme. Je suppose qu'avec dix ans de ma vie à servir de cobaye, ce sont des choses qui arrivent.
Au départ, j'avais détesté Télio. Je ne l'aimai pas particulièrement, du fait qu'il avait eu une vie tranquille et bien posée, alors que les rôles auraient facilement pu être inversés, mais je m'étais mit à le détester vraiment quand j'avais réalisé qu'elle genre de personne il était, dans le fond. Et ensuite... à quel moment je me suis mis à le supporter ? Et, petit à petit, à l'aimer comme un frère ? Je n'en avais aucune idée. Mais c'était ça, dans le fond ; Télio – peut-être indirectement – me faisait souffrir, son arrivée avait transformé ma vie en enfer. Et puis - qu'est-ce qui ne tournait par rond chez moi ? Je n'en avais aucune idée -, j'aimais ça. J'aimais que ma vie soit devenue à ce point compliquée, que chaque jour, je me réveille en me demandant « et maintenant, que va-t-il encore m'arriver ? »
Mais maintenant, Télio est mort. Je m'étais automatiquement tourné vers un autre clone, peut-être dans le but de le remplacer ? J'avais frappé Léo deux fois au visage pour ce qu'il avait fait, pourtant, je ne lui en voulais pas totalement. Je savais que, à cause de la puce, il n'avait su contrôler ce qu'il faisait. Moi-même, j'étais passé à deux doigts de tuer Seth. En fait, j'avais frappé Léo – j'avais même essayé de le tuer avec un oreiller, comment l'oublier ? – dans le seul but que lui se mette à me détester, et qu'il m'attaque. Étrangement, j'en avais besoin. J'avais besoin d'un Télio.
Une main sur mon épaule me sortit brutalement de mes pensées. J'ouvris les yeux pour croiser ceux de Simmer, penché devant moi.
- Hé, tu vas bien, Miö ? T'es vraiment pâle.
- Oui... dis-je lentement en évitant son regard. J'ai hâte que la journée se termine. Elle a été tellement longue...
Simmer répondit d'un petit sourire bienveillant avant de s'assoir à côté de moi, sans plus insister. Les autres clones – le peu qui en restait – s'assirent à nous côté pour compléter le cercle. Seth réveilla Riley qui s'était endormi dans ses bras et s'allongea à côté de lui, la tête sur ses genoux.
- J'ai pas fait un seul pas avec vous, mais je suis épuisé, dit-il, les yeux levés vers le ciel qui commençait à se faire de plus en plus sombre. En revanche, j'ai l'étrange impression que j'aurais dû l'être encore plus. Je crois que je suis en train de guérir.
- Tu parles d'un temps, on va tous mourir, dit Hadrien.
Riley se releva sur un coude pour lui lancer un regard noir.
- Merci, tu m'aides beaucoup.
Albert, assis à côté d'Hadrien, lui fourra une claque derrière la tête. Hadrien n'ajouta rien, semblant enfin se rendre compte du moral que nous avions tous. Moi particulièrement ; je savais qu'Hadrien avait raison. Pour sur, un bon nombre d'entre nous allait en pâtir. C'était quoi, l'idée d'éloigner Aël ? Même s'il avait eu peur la dernière fois, sont venin nous serait d'un très grand atout pour venir à bout du monstre. Hadrien en avait aussi, mais à deux, ç'aurait été mieux. Hadrien était plus du genre pessimiste, il aurait trop peur d'affronter le monstre par lui-même.
Ensuite, il y avait Riley, qui n'était qu'un boulet dans ce genre de situation. Il n'était pas bon pour se battre, j'étais même sûr qu'il n'avait jamais serré les poings une seule fois dans sa vie. Et même s'il l'avait fait, un seul coup l'aurait épuisé. Il nous fallait un endroit où le mettre en sécurité...
Je levai les yeux au ciel. La nuit tombait lentement, une première étoile brillait déjà vers l'ouest. Le soleil n'était pas encore tombé sur l'horizon, mais il était d'un rouge éclatant. C'était peut-être un signe qu'il fera chaud demain. Ou peut-être aussi que le sang allait couler prochainement.
- Je crois qu'on n'a pas eu une bonne idée, dis-je en baissant à nouveau les yeux vers les autres. C'était bien de s'éloigner, mais on aurait dû aller dans la forêt. On aurait pu se mettre devant la grotte à chauvesouris...
- Oh oui, ce serait un avantage pour toi, dit Seth d'un ton dédaigneux. Tu imagines si le monstre en profite pour se transformer lui-même en chauvesouris, on serait perdu !
- Laisse-moi terminer, m'énervai-je. On aurait pu mettre Riley dans la grotte et en surveiller l'entrée pour le protéger. Ensuite, dans la forêt, les arbres auraient gêné le monstre et il ne deviendrait pas aussi grand qu'il pourrait.
Je plantai mon regard dans celui de Seth, qui haussa les épaules en détournant le regard.
- OK, c'est peut-être un bon plan, finalement, avoua-t-il à contrecœur. Mais là, c'est trop tard, on a dépassé la forêt depuis longtemps.
- Moi je vote pour son idée, dit Riley. J'aime quand on prend en compte ma sécurité.
Seth tira une mèche de cheveux à Riley pour lui faire regretter son vote, mais il se contenta de grimacer, sans essayer de se dégager.
- T'as une meilleure idée, peut-être ? demanda Simmer.
- Non... dit Seth à regret.
- Je crois aussi que c'est une bonne idée, dit Albert. C'est déjà mieux que de rester à découvert. Il pourrait nous tomber dessus de tous les côtés.
Hadrien hocha la tête, pour dire qu'il était d'accord avec Albert. Seth grogna en levant les yeux au ciel.
- J'en ai marre de marcher ! Quand on sera arrivé, nous serons tous trop épuisés pour nous battre.
- C'est vrai, approuva Simmer d'un hochement de tête. Alors on y va et toi tu restes ici ?
- Non !
- Alors on y va. Dans cinq minutes.
Seth n'ajouta rien, capitulant. Il m'envoya un regard noir auquel je répondis d'un sourire crispé. Peut-être que Seth pourrait être un bon choix pour remplacer Télio.
Alors, après cinq minutes de pauses, nous refîmes le chemin inverse. Malgré les plaintes de Seth, la route n'était pas si longue. Il ne nous fallut que dix minutes pour revenir dans la forêt. Dix de plus encore pour trouver la grotte.
J'allai m'assoir près de la rivière qui passait juste devant, passant mes mains dans l'eau pour me rafraichir un peu. Des chauvesouris sortirent aussitôt de la grotte pour me tourner autour. L'une se posa sur mon épaule en lâchant un petit cri aigu en se blottissant la tête contre mon cou.
- Salut, Bernadette, murmurai-je. Ça fait longtemps.
Riley vint s'assoir près de moi, regardant la chauvesouris sur mon épaule.
- Tu crois qu'elles pourront se battre avec nous ? demanda-t-il.
- Ouais, surement. Elles vont chercher à me protéger.
- Tu ne crois pas qu'elles vont, au contraire, chercher à protéger le monstre ?
Je pinçai les lèvres, n'ayant aucune idée quoi répondre.
- S'il me vole mes chauvesouris, dis-je enfin, je vais lui faire bouffer ses cou...
- Miö ! intervint Simmer. Riley n'a que dix ans.
- Ses couettes, terminai-je dans une grimace.
Simmer hocha la tête, satisfait, puis se mit à faire les cent pas, visiblement nerveux. Riley haussa les épaules, sans rien comprendre, et s'éloigna pour aller s'allonger dans l'herbe.
- Maintenant, il ne reste plus qu'à attendre l'arrivée de la mort... heum, je veux dire du monstre, dit Hadrien. Vous croyez qu'on aurait le temps de dormir un peu, avant ? Et puis... Il est où, au juste, le monstre ? Quelqu'un en aurait une idée ?
- Il est juste derrière toi, dit Albert en le poussant doucement sur l'épaule.
- Ha, ha... Tu imagines ?
Hadrien s'éloigna d'Albert, ennuyé de sa blague. Mais alors qu'il passait devant la grotte pour aller rejoindre Simmer, une ombre bougea derrière lui. Je retins mon souffle en me levant. Hadrien me remarqua et s'arrêta pour se retourner vers moi.
- Quoi, Miö ? Ne me fais pas la même blague deux fois de suite.
Je secouai la tête. Cette fois, ce n'était pas une blague.
- Bouge de là ! dis-je d'une voix aigüe.
Hadrien se retourna. Derrière lui, l'ombre qui bougeait dans la grotte se rapprocha, assez pour atteindre la lumière. C'était un clone de la taille d'un enfant de huit ans, le visage verdâtre et des poches sous les yeux. C'était le monstre, qui s'était caché ici avec les chauvesouris pour récupérer du venin qu'il avait reçu.
Il était assez rétabli, du moins, pour se transformer en un grand cheval à la robe brune. Il se leva sur ses pattes arrière et donna un coup de sabot sur la tête Hadrien, qui s'effondra sous le choc.
- Hadrien ! s'écria Simmer.
Hadrien était toujours en vie. Étendu à plat ventre, il se mit à ramper pour essayer de s'éloigner, les larmes aux yeux. Le cheval s'élança pour l'écraser sous ses sabots, mais Seth, version guépard, s'élança sur son dos. Je me précipitai vers Hadrien pour l'éloigner de là, mais je n'avais pas fait deux pas qu'une douleur aigüe me traversa le crâne, ensuite le corps entier. Je tombai à quatre pattes, les dents serrées sous la douleur, alors que Bernadette criait à mon oreille en battant des ailes.
La puce. C'était forcément ça. Le vieux l'avait réactivé.
Autour de moi, les autres se battaient, Seth et Simmer attaquaient directement le monstre, Albert avait ramené Hadrien loin du combat, au côté de Riley. À voir comment il était recroquevillé, les mains au-dessus de la tête, il souffrait de la même manière que moi.
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