Chapitre 11 ✅

Bien malgré moi, je dus avouer que Jeremy avait eu raison quand, au soir, ma gorge se mit à me faire souffrir. Je commençai par tousser un peu, pour finir une heure plus tard avec les poumons en feu. J'eus ensuite le nez congestionné et une grande fatigue qui me força à plonger sous les couvertures de mon lit. Mon système immunitaire me volait toute mon énergie pour combattre ce parasite.

Saleté de Télio ! Ce qui aurait fait mon bonheur aurait été de lui éternuer à la figure.

J'essayai de dormir, étant la seule chose qui me restait à faire, mais je n'y arrivais pas. Je ne pouvais plus respirer par le nez, et par la bouche me faisait baver sur mon oreiller. Et m'allonger sur le dos était hors de question.

Finalement, j'allai à ma salle de bain personnel, trainant des pieds, et m'attrapai une grosse boule de papier toilette. En me retournant, mon regard tomba sur mon reflet, sur le miroir devant le lavabo, et mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je ne m'étais jamais qualifié de beau, mais j'osais croire que je n'étais pas laid non plus. Maintenant, mon teint était bien vert, j'avais des cernes jaune-violet énormes et mon nez était rouge tomate. Même mes cheveux semblaient plus ternes.

Avec un gémissement, je retournai me coucher, épuisé. Ce trois mètres aller-retour m'avait complètement vidé. Je plaçai ma boule de papier entre mes lèvres et l'oreiller et, maintenant que je ne sentais plus ma bave contre ma joue, m'endormis comme une buche.

*

Je me fis réveiller le lendemain matin par Jeremy, cognant contre la porte comme à son habitude. Il avait encore son masque et ses gants.

— J'avais raison, ou j'avais pas raison ? dit-il dans un rire.

Je répondis d'un grognement et Jeremy m'enfonça sans prévenir un thermomètre dans la bouche.

— Garde-le sous la langue, je reviens tout de suite.

Jeremy sortit de la chambre et je fermai les yeux, toujours aussi épuisé que la veille. Il revint quelques minutes plus tard, portant un plateau qu'il mit sur ma table de chevet.

— 40.5 degré de fièvres. Tu ne fais pas les choses à moitié, comme toujours...

Je ne répondis rien, regardant ce qu'il m'avait apporté. Une pomme, une grappe de raisin, même quelques fraises, et une tasse fumante d'où dépassait une petite corde ; une tisane. J'attrapai une fraise et la grignotai lentement, ayant à peine assez d'énergie pour garder les yeux ouverts.

Jeremy alla à la salle de bain et revint avec une serviette humide qu'il plaqua sur mon front. Il joua ensuite quelques instants dans mes cheveux de son autre main.

— Pour une fois que tu te retrouves ici par toi-même... Je devrais faire une croix sur le calendrier. Tu vois, c'est bien pour ce genre de chose que ceux qui sortent de la ville mettent des combinaisons spéciales. En dehors de la radiation, il y a toute sorte de petites maladies à attraper. Mais t'es fixé ; t'as chopé rien de plus que la grippe. Ç'aurait pu être bien pire.

— Je sais, marmonnai-je.

— Tu parles du nez, rigola Jeremy. Mais vraiment, t'as eu de la chance. Si tu n'étais pas venu directement ici, t'aurais pu déclencher une pandémie. Et cette grippe est bien assez féroce pour tuer les enfants et les ainés. Des adultes aussi en seraient morts, c'est certain. Mais toi, t'inquiète pas ; t'es le gamin le plus fort que j'ai jamais vu.

Je répondis d'un petit sourire las tout en abandonnant dans l'assiette les feuilles de fraise. Je puisais ensuite dans mes plus secrètes réserves d'énergie pour m'assoir dans mon lit et soulever ma tisane.

— Dis-moi, maintenant... dit Jeremy en retirant sa main de mes cheveux. As-tu encore la migraine ?

— Oui...

— Est-ce que tu as mal au cœur ?

— Un peu.

— Alors, prends ça, dit-il en me tendant un comprimé. C'est tout ce que je peux faire pour toi.

— Merci.

J'avalai la pilule et la fis passer avec quelques petites gorgées de tisane. Jeremy remit aussitôt sa main dans mes cheveux.

— Maintenant, il faut que j'y aille, j'ai d'autres patients... Tu m'appelles quand tu veux.

Je hochai mollement la tête, ma serviette humide toujours bien accrochée à mon front,  et Jeremy sortit de la chambre. Je me calai dans mon oreiller, continuant de siroter ma tisane, peinant à rester éveillé. J'étais encore au trois quarts de ma tasse quand la porte s'ouvrit à nouveau.

Je levais les yeux, étonné ; Jeremy pouvait bien se montrer attentionné quand ça lui chantait, mais pas au point de me rendre visite toutes les dix minutes. Mais je me rendis vite compte que ce n'était pas le docteur ; c'était Télio.

— Salut ! s'écria-t-il en refermant derrière lui. T'as chopé un truc, on dirait...

— T'as pas l'air déçu, dis-je dans un grognement. Qu'est-ce que tu fais là ?

— Bah, je te cherchais, et visiblement, je t'ai trouvé, dit-il en riant.

— Tu devrais pas être ici, je suis contagieux.

— Pas si je l'ai déjà attrapé, cette grippe. J'avais dix ans, je crois... on peut pas la choper deux fois.

— Dommage.

— À moins que tu veuilles vraiment que je m'en aille ? dit Télio en perdant son sourire.

Je baissai les yeux tout en prenant une petite gorgée de ma tisane. Télio contourna mon lit pour aller s'assoir dans le fauteuil.

— Ça fait des heures que je te cherche, dit-il en attrapant un raisin dans mon assiette. J'ai découvert l'une de tes planques de vêtements, et je me suis promené un peu partout à pied. Mais ce n'était pas vraiment pratique de dire : « vous savez pas où je pourrais trouver Miö ? » alors que, juste avant, la même personne me lançait : « Salut, Miö ! »

— Tu te caches plus ?

— Bah non. Tout le monde pense que je suis toi ! Et ne le prend pas mal, mais ça tombe bien que tu sois malade, ça me laisse le champ libre ! Je me suis fait demander par quelqu'un où j'étais passé toute la semaine. Et par un autre si j'avais fait quelque chose avec mes cheveux. Je savais plus trop quoi répondre, mais il faut avouer que c'est vraiment cool ! Avant, je savais pas que tu existais, et je croyais que si j'étais aperçu, on comprendrait tout de suite que je ne suis pas d'ici, tu vois ? Maintenant, plus de risque !

Télio lança le raisin dans sa bouche et fit aussitôt la grimace en le recrachant dans sa main.

— Eurk, c'est sucré ! s'écria-t-il en le remettant dans l'assiette. Je sais pas comment tu fais...

Je ne répondis rien, continuant de boire ma tisane. Je jouais les indifférents, mais j'attendais seulement de trouver la meilleure réplique.

— Les hiboux sont carnivores, dit Télio qui grimaçait encore.

— Parce que les fruits, c'est pas chouette ?

— T'as tout compris !

— Bon, tu me cherchais pourquoi, au juste ?

— Te dire coucou, voir si tu vas bien... Et j'ai bien fait, puisque tu ne vas pas bien du tout...

— T'es fixé, pars maintenant. Sors de ma ville !

— Pourquoi tant de méchanceté ? s'étonna Télio.

— Premièrement parce que les autres avaient raison ; vous êtes dangereux et plein de maladies. Deuxièmement, je veux pas que tu te fasses passer pour moi !

Télio éclata de rire, et pendant qu'il ne regardait pas, j'appuyai sur la cloche pour appeler Jeremy.

— J'ai pas de maladie, moi, sinon je le saurais ! Vois, je suis en pleine forme ! Et puis, pour me faire passer pour toi... je fais pas exprès ! Mais aussi bien en profiter. Surtout que t'es coincé ici pour un moment.

— T'as pas intérêt !

— Essaie de m'en empêcher !

— Ils se rendront compte assez vite que tu n'es pas moi. Le roi te mettra en prison. Tu veux vraiment être séparé de ta mère malade ?

Télio pencha la tête sur le côté, ne semblant pas comprendre où je voulais en venir.

— Qu'est-ce que je t'ai dit, à propos de ma mère ?

— Qu'elle a le cancer ! m'énervai-je.

— Ah bon. Nah, elle a juste la grippe. C'est peut-être elle qui te l'a donnée, d'ailleurs. Elle va s'en sortir, j'en doute pas.

— Mais... pourquoi tu m'as dit qu'elle avait le cancer ?!

— Je sais pas... je suis un peu mytho, il parait que c'est mon pire défaut, dit-il dans un rire.

— T'es encore plus con de ce que je pensais !

Télio haussa les épaules, sans faire plus de cas.

— T'as menti sur d'autres trucs ?

— Surement, je sais plus...

Au même moment, Jeremy entra dans la pièce, cognant quelques coups contre la porte au passage, comme à chaque fois. Il fit deux pas dans la chambre, puis se figea quand il vit Télio. Ses yeux s'agrandirent alors qu'ils allaient à toute vitesse entre Télio et moi.

— Ouah, il te ressemble vraiment, murmura-t-il, impressionné.

— Tu peux le faire sortir ? demandai-je en baissant la tête vers ma tisane que je serrais toujours entre mes mains. Il veut se faire passer pour moi.

Jeremy continua de dévisager Télio, puis, la stupeur passé, ferma la porte derrière lui et prit ses airs menaçants. Jeremy était quelqu'un de très grand, et quand il n'était pas content, on avait peur. Mais Télio, lui, restait sagement assis, le regardant venir vers lui. Jeremy l'empoigna par le col de sa combie et aussitôt, il se transforma en hibou pour lui sauter au visage, le griffer de ses serres et le mordre avec son bec pointu. Je me levai d'un bon, renversant mon assiette et ma tisane sur les couvertures du lit. L'adrénaline m'avait repris d'un coup, me donnant un peu de force, et j'en profitai pour m'élancer sur Télio et essayer de l'attraper. Et quand j'y parvins enfin, il se métamorphosa en humain et son poids me fit flancher. Je tombai à genoux en le lâchant et Télio, fou de rage de se faire attaquer des deux côtés, m'enfonça son poing en pleine figure à plusieurs reprises. La douleur, mêlée à la fatigue que me procurait ma grippe, m'empêchait de me relever. Je levai difficilement les yeux vers Jeremy, espérant qu'il saurait venir à bout de mon jumeau maléfique. Mais quand je vis que lui aussi était à terre, ce fut le coup de grâce. Ma tête retomba au sol durement et je perdis connaissance.

Encore à cause de Télio. J'aurais vraiment dû lui éternuer au visage quand j'en avais eu l'occasion.

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