Chapitre 108
En reprenant connaissance, je me rendis rapidement compte que j'étais étendu dans mon lit du sixième étage. Remi était penché au pied du lit, regardant quelque chose vers mes mollets.
Je reposai ma tête sur l'oreiller en fermant les yeux et pouffant de rire. Remi releva précipitamment la tête vers moi, mais ne risqua aucun mouvement.
- Mon Dieu, j'ai fait un rêve trop débile, dis-je entre deux ricanements. J'étais dans le bureau de Tom, et... et...
Je m'interrompis, mon rire disparaissant d'un coup, puis me redressai dans le lit, en panique. Je me rendis compte alors que mes poignets et chevilles étaient attachés au lit, des bandes de tissus me plaquaient contre le matelas.
- C'était pas un rêve, dis-je dans un souffle. Oh, mon Dieu... Télio... Télio est... mort ?
Je levai les yeux vers Remi, qui n'avait toujours pas bougé. Il était toujours au pied du lit, le corps bien droit, les yeux rivés au sol.
- Dis-moi ! m'énervai-je en essayant à nouveau de me redresser, sans succès. Qu'est-ce qui s'est passé ?! Je me suis évanoui... Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? Et les autres ? Est-ce que Télio est vraiment mort, ou non ?!
- Miö, calme-toi, s'il te plait. C'est autant un choc pour toi que pour moi, OK ? Je dirais même que c'est un plus grand choc pour moi, parce que j'ai pris la liberté de te donner des anxiolytiques avant ton réveil. Je savais que tu serais beaucoup trop sur les nerfs. (Remi poussa un soupir, puis détourna le regard avant de continuer.) Je sais pas pourquoi vous aviez tous été pris d'une folie meurtrière, j'aurais voulu te faire passer une IRM, mais il valait mieux attendre que tu te réveilles. (Remi haussa les épaules. Nouveau soupir.) C'est le poison qui t'a fait perdre connaissance. Quelqu'un de normal serait mort, avec la dose que t'avais dans le sang, mais j'ai pu te sauver. Je t'ai attaché au lit parce que, comprends-moi, j'avais peur que tu essayes de me tuer pour je ne sais quelle raison.
- Et Télio ?
Remi baissa les yeux, gardant le silence un peu trop longtemps à mon gout.
- La lame n'a pas touché le cœur. J'ai essayé de le sauver... Mais j'ai pas réussi. Je suis désolé.
Je reposai la tête sur l'oreiller puis fermai les yeux. Alors comme ça, Télio est mort... J'ai rêvé de sa mort depuis aussi longtemps que je le connais. Et maintenant que c'était fait, j'avais envie de me rouler en boule et de pleurer. J'en ressentais le besoin, mais je ne faisais rien. Autant parce que j'étais attaché et incapable de me rouler en boule, autant parce que mes yeux restaient secs. C'était peut-être grâce aux anxiolytiques, mais je savais que j'étais beaucoup plus calme que ce que j'aurais normalement été.
- Je suis désolé, dit Remi. C'est celui avec les cheveux longs qui l'a tué.
- Léo.
- Ouais... Toi, lui, le petit – je crois que c'est Riley ? – et l'autre grand – pas celui avec la barbe, là, un autre -, vous étiez tous super bizarres. Les autres sont attachés dans d'autres chambres et des gardes vieilles sur eux. Et les autres clones – ceux qui sont encore dans leur état normal – ont tous été placés dans la même chambre. Tom avait jugé préférable de vous placer ici ; vous aviez pratiquement tous été sévèrement blessés après ce qui s'est passé.
- Quelqu'un d'autre est mort ?
- Non. Que Télio.
Je soupirai, fermant à nouveau les yeux. Pourquoi fallait-il que ce soit Télio ? Pourquoi faut-il que ce soit toujours Télio ?
- Je suis tombé, dis-je pour changer de sujet. Et je me suis frappé derrière la tête. C'est ce qui m'a réveillé.
- Tu peux me montrer où exactement ? dit Remi en relevant la tête vers moi.
Je hochai la tête, puis Remi retira la corde qui tenait ma main gauche contre les barreaux du lit. Je baisai la tête autant que possible et passai un doigt derrière ma nuque. Je grimaçai en rencontrant une petite bosse.
- C'est là. Ça fait encore mal.
Remi abaissa mon doigt pour regarder dessous. Malgré qu'il fût derrière moi, je l'entendis relever vivement la tête, pour ensuite lâcher un juron.
- C'est pas une ecchymose qui te fait mal. Il y a quelque chose sous ta peau.
- Quoi ?
- Je reviens !
Sans un mot de plus, Remi se précipita hors de la pièce, fermant la porte derrière lui, me laissant seul avec un paquet de mauvaises nouvelles.
Je passai à nouveau un doigt au même endroit. Une bosse d'à peine deux millimètres, juste assez pour que je m'en rende compte. En d'autres circonstances, j'aurais pu croire que ce n'était qu'un bouton. Mais le toucher me faisait étranglement mal, c'était comme mettre son doigt dans une prise de courant.
Ce que Remi m'avait dit plus tôt me revint en tête ; tous les autres clones étaient ici, dans d'autres chambres. Avec ma main libre, j'entrepris de me détacher du lit, ce qui fut plus compliqué que prévu, car j'avais les membres aussi mous que du caoutchouc. Enfin libérer, je balançai mes jambes en-dehors du lit, puis, avec effort, me mit debout. Ma jambe droite, celle qui s'était pris les crocs du serpent dans le mollet, était tellement molle que je manquais de près de tomber à plat ventre, mais je me rattrapai en m'appuyant sur le fauteuil. Remi m'avait bien gavé de médocs, pour sûr. Je n'avais pas mal, j'étais seulement engourdi. Autant physiquement que mentalement.
Je me trainai jusqu'à la porte, un petit pas à la fois, puis l'ouvris et passai la tête pour regarder à gauche, puis à droite. Il y avait des gardes partout, devant chaque porte du couloir. D'autres se promenaient, faisant le couloir de long en large. Il ne fallut pas longtemps avant qu'un garde me remarque pour venir se planter devant moi, me bouchant le chemin.
- T'es lequel, toi ?
- Miö, dis-je un peu nerveusement.
- Retourne dans ta chambre. On viendra nous-mêmes te mettre au courant quand on aura des nouvelles.
- Heu... je veux seulement voir les autres.
- Tu les verras plus tard.
- S'il te plait, insistai-je. Je veux seulement voir qu'ils vont bien. Et je veux m'excuser pour ce que j'ai fait. Seulement cinq minutes...
Le garde soupira avant de lever les yeux vers un autre qui s'était mis à côté de lui. Le deuxième garde haussa les épaules d'un air désintéresser.
- Pourquoi pas ? Viens, Miö.
- Merci !
Le garde ne répondit rien, m'incitant à la suivre d'un mouvement de main. Il m'entraina avec lui dans le couloir, et en passant les portes, je vis que des noms avaient été écrits au feutre sur un tableau blanc. Je trouvais Arthur, ensuite Riley. Je m'arrêtai devant la porte de Léo.
- Je vais ici.
- Il n'est pas réveillé, celui-là, dit le garde. Les autres sont dans la prochaine pièce.
- Je vais ici d'abord, insistai-je. Je serais pas long.
Le garde soupira à nouveau, puis m'ouvrit la porte. J'entrai à l'intérieur, le garde referma la porte et s'appuya dessus. Je regardai dans la pièce, pratiquement identique à la mienne, mais moins fournie d'effet personnel. Il n'y avait rien sur la table de chevet, en dehors d'une lampe et d'un verre d'eau. Il n'y avait pas de comptoir contre le mur d'en face, seulement un bureau pour manger dessus.
Et dans le lit, il y avait Léo. Attaché de partout, il était incapable de faire le moindre mouvement. Je m'approchai un peu de lui, l'observant. Léo ouvrit un œil pour me regarder.
- Je croyais que tu dormais, murmurai-je.
- Si seulement. J'y arrive pas.
- Je croyais aussi que tu serais encore...
- Incapable de contrôler mes envies de meurtre ?
Je hochai la tête. Léo plissa les yeux en m'observant, avant d'ajouter :
- Je croyais pour toi aussi. T'as l'air un peu bizarre, t'es drogué ou quoi ?
- J'ai une bonne dose de calmant et d'antivenin dans le sang.
- Non, t'as l'air vraiment bizarre.
- Comment ça se fait que tu ne sois plus comme ça ? dis-je pour changer de sujet.
- Le garde qui m'a arrêté m'a plaqué sur le mur tellement fort que je me suis cogné la tête, et la raison m'est revenue.
- Juste après que tu as tué Télio ?
Léo se mordit la lèvre, évitant de répondre. Ses yeux allèrent de gauche à droite, incapables de soutenir mon regard.
- Tu étais dans la même situation que moi. Tu comprends que j'étais incapable de faire autrement.
- Ouais. Je sais. Je te pardonne.
Léo ferma les yeux en poussant un grand soupir de soulagement. Il semblait croire que j'étais venu ici pour le tuer.
J'attrapai son oreiller et Léo ouvrit à nouveau les yeux en sentant sa tête tomber sur le matelas, puis s'écarquillèrent en se posant sur moi.
- Pourquoi tu me prends mon oreiller ? dit-il, le souffle court sous la panique qui montait.
- T'inquiètes pas, je te dis, dis-je en frappant l'oreiller de mon poing à plusieurs reprises. Je t'ai pardonné.
- Ah, genre, pour que je puisse mourir en paix ?
- Ouais !
J'approchai l'oreiller de mon visage, prêt à l'étouffer. J'en avais sérieusement envie, autant pour le fait qu'il avait tué Télio, que le fait que Télio avait dit, d'innombrables fois, qu'il ne lui fît pas confiance. Je m'en voulais de ne pas l'avoir écouté plus tôt. Ce n'était pas sur le vieux que j'aurais dû mettre mes idées de vengeances, mais sur lui.
- Non, Miö, attend, faut que je te dise un truc, s'il te plait !
Je m'arrêtai au milieu de mon geste, toujours l'oreiller en l'air. Il n'avait pas crié pour appeler à l'aide, et il devait savoir autant que moi que l'aide était tout juste derrière la porte, avec tous ses gardes qui nous surveillaient. Non, il avait chuchoté, à peine assez fort pour que je l'entende.
- J'étais dans le mauvais camp, mais c'est fini, continua-t-il dans un murmure. Hier, j'étais allé chez papa... chez le vieux. Et il m'a dit tout ce qui allait se passer. Et ça – le fait qu'on veuille tous s'entretuer – c'est sa faute ! Il nous a mis des puces dans le cerveau pour nous contrôler. Il peut nous implanter une idée, comme on en a déjà fait l'expérience. Mais c'est pas fini ! Ce n'était que la première vague. Y'en a une deuxième qui arrive. Il est parti peu de temps après Riley et moi, et il est en chemin.
- Qui est en chemin ?
Une larme coula sous les yeux de Léo, mais il garda son sérieux autant que possible, les lèvres tremblantes.
- Un nouveau clone. Mais il est pas comme nous. C'est un monstre. Je l'ai vue hier soir, il avait la taille d'un enfant de huit ans. Ce matin, il faisait deux mètres vingt ! Papa l'a créé dans le seul but de nous tuer, et tu peux être sûr qu'il ne s'arrêtera pas tant que ça sera pas fait. Miö, dit-il en essayant tant bien que mal de se redresser, j'ai mérité de mourir. Et je serais peut-être vraiment mort d'ici la fin de la journée, avec cette chose qui se ramène. Mais je veux me battre de votre côté.
J'abaissai mon oreiller. Les calmants embrouillaient un peu mon esprit, j'avais de la difficulté à peser le pour et le contre, et c'était impossible pour moi de savoir s'il mentait ou non. D'un côté, ce qu'il disait avait du sens ; le vieux était parfaitement du genre à nous envoyer un monstre sur le dos. Pourquoi pas ? On parle du vieux, justement. D'un autre côté, j'avais tellement envie de le tuer. Je sais qu'il n'était pas en contrôle de ses gestes quand il a tué Télio, mais il m'énerve depuis tellement longtemps.
- D'accord, dis-je enfin. Si le monstre ne te tue pas, je le ferais demain.
- C'est déjà mieux que rien, souffla Léo. Détache-moi !
- Non.
Je tournai les talons et sortit de la pièce, son oreiller toujours sous le bras.
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