Chapitre 100
Cette histoire m'avait empêché de dormir. Comment j'étais censé faire, maintenant, avec Debbie ? Qu'est-ce que j'allais lui dire ? Est-ce qu'il faudrait que je dise tout à Tom ?
J'étais à la table avec tout le monde pour le petit déjeuner. Télio s'était assis à ma droite, Léo à ma gauche. Aël et Hadrien étaient en face de nous. Nous nous lancions des regards tendus, sans oser dire le moindre mot. Tom était au bout de la table, comme toujours, Math à sa droite. Personne n'avait osé ajouter un mot sur le sujet depuis hier soir, car nous savions que quelqu'un saurait nous entendre.
Léo, bien sûr, n'en avait rien à foutre. Il se pencha légèrement vers moi, sa cuillère pleine de lait et de céréales débordant dans mon bol de fraise.
- Alors, tu t'es décidé sur ce que tu vas faire ?
Je lui lançai un regard noir, plein de sous-entendus, mais il ne broncha pas. En face de moi, Aël se donna une grande claque sur le front.
- À propos de quoi ? demanda Math.
- Ce que je vais porter aujourd'hui.
Math se pencha au-dessus de la table pour me dévisager ; cinq clones nous séparaient, mais il savait bien lequel j'étais.
- À propos de quoi ?! demanda-t-il encore.
- Ce qui s'est passé hier soir, dit Léo.
- Arg, Télio avait raison ; t'es vraiment énervant !
- J'ai toujours raison, dit Télio innocemment.
- Il s'est passé quoi, hier soir ? demanda Tom.
J'échangeai un regard avec Télio, à bout de nerfs. Il haussa les épaules et secoua la tête.
- Compte pas sur moi pour trouver un mensonge ; je suis nul là-dedans.
- Miö, dis-moi ce que tu as fait hier soir ! dit Tom.
Je poussai un long soupir de désespoir, avant de lui expliquer ce qui s'était passé en trois petites phrases rapides. Tom soupira à son tour, baissant les yeux sur son assiette d'œufs brouillés.
- Je vous avais averti, pourtant. C'est exactement la raison pourquoi je ne voulais pas que vous sortiez !
- Mais j'en ai marre, d'être enfermé ! m'écriai-je en me levant d'un bon.
- Et vous avez failli vous faire tuer ! répliqua Tom. Tous les cinq !
- Si on pouvait sortir de jour, aussi, on l'aurait fait, et on ne se serait pas fait avoir par ces types !
- Si, ç'aurait été encore pire ! Tu sais seulement comment la ville est immense, pour si peu d'habitant ? Et les ruelles sombres, c'est pas de ça qui manque ! Vous vous seriez fait avoir par des types qui passaient par là et vous vous seriez fait tuer ! Y'a aucune différence entre le jour et la nuit, ici.
- Alors quoi, c'est la ville en entier qui veulent nous tuer ?!
- Oui ! s'impatienta Tom. Une grande majorité. Vous avez seulement conscience du nombre de gens que vous avez tué ? Ils avaient tous une famille ! Tout le monde se connait, ici !
- Tout le monde veut nous tuer ? dit timidement Hadrien.
Tom s'interrompit dans son discours pour lever les yeux vers Hadrien. Il regardait Tom d'un air inquiet, un morceau d'œuf embroché sur sa fourchette qu'il tenait en l'air devant lui. En dehors de Riley qui s'était endormi la tête dans l'assiette, il était le plus jeune d'entre nous, avec ces treize ans. Même Aël, qui avait à peine un an de plus, était déjà visiblement plus grand que lui. Hadrien semblait trop jeune pour comprendre vraiment la situation, malgré qu'il eut déjà tué un garde à l'entrée de la ville.
Avant que Tom ne pût trouver quoi répondre, Hadrien avait déjà laissé tomber sa fourchette et s'était levé de sa chaise.
- Hé, où tu vas ? dit Tom.
- Je pars. On veut pas de moi, ici. J'ai pas envie qu'on fasse des sacs à main avec mes écailles !
- Non... reviens ici...
Hadrien n'écoutait plus, il continuait son chemin en direction des chambres. Simmer se leva à son tour pour le rejoindre et le forcer de s'arrêter en lui prenant un bras.
- Reste, Hadrien. On est en sécurité, ici.
- C'est pas vrai, l'autre vient de dire le contraire, grogna-t-il.
- Nous sommes en sécurité, dans cette maison. Alors, restes-y !
- Mais t'as pas entendu ce que Miö a rapporter ! Ils vont s'infiltrer ici et tous nous tuer dans notre sommeil !
- Ça n'arrivera pas ! dit cette fois Tom. Je vais renforcer la sécurité.
- Et tu mettras les méchants en prison ? dit Télio en frappant du poing sur la table. Faudrait premièrement en avoir une. Alors tu vas plutôt tuer les méchants, alors même que c'est toute la ville qui veut nous tuer. Ton petit peuple en entier va se révolter contre toi à cause de nous.
Télio avait raison, bien sûr. J'avais déjà passé assez près de mourir à plusieurs reprises, mais la peur me frappait au moment où ça arrivait, pas des jours avant le moment, comme présentement. Tout ça, ça me faisait sérieusement peur, et en levant les yeux pour dévisager les autres clones assis autour de la table, il était clair que je n'étais pas le seul. À l'autre bout de la table, j'entendis Albert murmurer à l'oreille d'Arthur : « et si on retournait au village ? » Je tournai les yeux dans leurs directions pour voir Arthur hocher la tête tout en se mordant la lèvre inférieure.
- Laissez-moi une seule journée de plus, dit Tom. Je vais faire une réunion ce soir. Creg ! dit-il en tournant la tête vers un garde qui était près de la porte, à se faire oublier. Va passer le mot dans la ville entière, ce sera ce soir, dix-sept heures, devant la tour. On mettra les choses au clair, une bonne fois pour toutes. Là, vous êtes content ?
- Comment comptes-tu changer les idées de deux-cents personnes en même temps ? dis-je en me tournant vers lui. Ce serait comme convaincre les cowboys de ne pas s'en prendre aux Indiens. Ça m'a l'air plutôt impossible.
- Ce n'est pas la même chose, dit Tom en me lançant un regard noir. N'essaie pas de m'enfoncer, Miö. Les autres peuvent peut-être partir, s'ils le souhaitent vraiment, mais pas toi. Tu devrais être de mon côté.
- Je suis du côté de la vérité.
Le visage de Tom devint complètement rouge. Il était sérieusement à bout de nerfs.
- On verra bien. Math, tu veux bien les conduire à la salle de cinéma et les gaver de classique jusqu'à la fin de la journée ? Et toi, dit-il en pointant un garde, tu t'assures que personne ne ressort de cette salle de cinéma.
- Eh, papa, on est mercredi, dit Math nerveusement. Faut que j'aille en cours, je devrais partir dans dix minutes pour ne pas être en retard.
- Tu iras en cours demain ! Allez, ouste, tout le monde ! Je veux plus vous voir !
Alors que nous restions tous assis à dévisager Tom, les gardes restant dans la pièce vinrent nous attraper par les bras pour nous forcer à nous lever. Je me laissai faire, résigner, alors que d'autre se débattait en grognant. En moins de cinq minutes, nous étions déjà enfermés dans la salle de cinéma, avec Math. Il avait les yeux rivés au sol et les mains dans les poches, nerveux.
- Je suis désolé, dit-il piteusement.
- C'est pas toi, Math, c'est ton père, dis-je en secouant la tête.
J'allai m'assoir à la dernière rangée de banc, à côté de Télio qui boudait sans aucune subtilité. Voyant Léo s'approcher, je m'empressais de mettre mes pieds dans l'autre banc pour réserver la place à Math.
- Bon, heum... je vais mettre Marvel ? proposa Math.
- Attends, précise un peu, y'a plein de films Marvel.
- Oui, je vais tous les mettre. En ordre chronologique.
- Y'en a combien, en tout ? demanda Arthur en se retournant vers nous, qui s'était assis dans la rangée devant nous.
- Une vingtaine, peut-être plus, dis-je dans un haussement d'épaules.
- C'est une perte de temps ! s'impatienta Hadrien, qui était toujours debout devant l'écran. On va se faire tuer et on est coincé ici à écouter des films !
- Vous ne pouvez rien faire de plus ! dit Math en serrant les poings. Et vous n'allez rien faire de plus, sinon empirer les choses. Maintenant, assoyez-vous et admirez Robert Downey Jr en talon haut.
Math alla derrière le projecteur, qui était au fond de la pièce, retira le DVD qui y était inséré, puis se tourna vers le meuble incroyablement bien rempli de film.
- Il a raison, dit Simmer. On a déjà semé assez de problèmes ici, alors qu'on vient tout juste d'arriver. Il vaut mieux laisser les adultes s'en occuper, pour une fois.
- Sauf que c'est les adultes qui veulent nous tuer, justement ! insista Hadrien.
- Et tu voudrais qu'on tue tous les adultes, peut-être ?!
- Non ! Ce que je veux, c'est de foutre le camp d'ici !
- Hadrien, arrête ! dit cette fois Arthur. On va laisser couler, cette fois ; tout va bien aller, il y a plein de gardes pour nous protéger, et si ça tourne vraiment mal, tu n'auras qu'à mordre les méchants. OK ?
- OK, grogna-t-il. Mais je te jure que si ça tourne réellement mal, je me barre !
- On partira tous, si c'est le cas, dit Simmer.
- On ne saura ce qui se passe qu'à la dernière minute, soupira-t-il en se laissant tomber dans un siège.
- Non, je viens d'avoir une idée.
Tout le monde se retourna vers moi d'un même mouvement. Je me mordis la lèvre, puis tournai la tête vers la porte pour vérifier qu'aucun garde ne nous écoutait. La porte était fermée, mais je savais que les gardes étaient juste derrière. Je mis une main devant ma bouche pour atténuer le plus possible le son de ma voix, pour que seuls les clones m'entendent :
- On va attendre au moins seize heures, pour la réunion de Tom. Alors, je dirais que je veux aller aux toilettes, ils n'auront pas le choix de me laisser aller. Mais, je sais, ils vont me surveiller. Alors, Aël, tu vas venir avec moi, cacher sous mes vêtements sous ta forme d'araignée. Et en revenant des toilettes, ce ne sera que toi qui reviendras ici. Moi, je passerais par la fenêtre et je m'envolerais pour tout espionner. Ils ne verront rien du tout ! Vous en pensez quoi ?
- C'est non, dit Math derrière moi.
- C'est oui ! dit Hadrien.
- C'est dangereux, dit Simmer.
- Je suis partant, dit Aël.
- En quoi c'est dangereux ? Personne va lui tirer dessus, dit Seth.
- Si Tom le voit ? dit Arthur.
- Ils le verront pas, il est minuscule en chauvesouris, dit Albert.
- Quelqu'un pourrait y aller avec lui ? dit Télio.
- Pas toi, t'es énorme en hiboux ! dit Arthur.
- Eh, pas tant que ça !
- Moi, je pourrais y aller ? dit Léo. Des corbeaux, y'en a déjà partout, et...
- NON ! dis-je en me tournant vers lui. N'importe qui, mais pas toi.
Léo baissa la tête en s'enfonçant dans son siège.
- J'irais seul. Toute façon, y'a rien de dangereux ; tout ce que je risque, c'est d'être privé de sortie. Oh, c'est vrai ; on l'est déjà ! Et Math, tu ne pourras pas m'en empêcher.
- Je sais, soupira-t-il.
Il appuya sur un dernier bouton sur le projecteur, et le tout premier film de la longue liste de la journée commença.
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