Noir - Nuit
Noir-Nuit
Tu as été courageux mon amour.
Tu as été fort.
Si fort.
Quand la nuit est tombée dans un grand fracas
Et que les immeubles s'écroulaient
Et que le feu est devenu vrai
Qu'il n'y avait plus de pages dans les livres
Plus de couleur dans la peinture
Et plus de peinture sur les murs.
Quand les gens ont fait silence
Quand la vie n'a plus eu de sens.
Quand le ciel s'est effondré,
Tes mains n'ont plus tremblé.
Une pluie de pétrole qui te noie.
Reviens.
Ce matin, il ne pleuvait plus. Tu m'as tenu la main, tu as embrassé mon dos. J'ai embrassé tes paupières et puis l'endroit entre ta mâchoire et ton cou. Tu t'es levé, je n'ai pas lâché ta main, alors tu t'es penché pour m'embrasser les lèvres. C'était bien. Mais il fallait que tu partes, que tu ailles travailler. Mes doigts ont glissé de ta main à ton poignet, et le vide a empli les pores tristes de ma peau. Le chaos était là. Je t'ai regardé t'habiller. Tu étais beau. Puis tu as souri, et tu es parti au son de la porte qui claque, au milieu d'un bruit absent. Et moi je suis resté dans ton appartement qui est vite devenu notre appartement.
Et en moi le chaos s'est tu.
Je t'avais dit qu'on irait vivre ailleurs. J'avais même trouvé un meilleur appartement pour qu'on soit heureux, encore plus qu'on l'était déjà. Sauf que tu l'as dit l'autre soir. Et que moi je l'ai souhaité si fort. Sauf que c'était un rêve tout ça. Et tes rêves, ils sont beaux, mais la vérité est pas comme ça. Sauf que toi tu es parti dans un claquement de porte. Et qu'un peu plus tard moi aussi. Et que l'appartement est resté vide.
Et que la ville était vraiment silencieuse.
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JungKook marche dans une rue sale. La capuche sur la tête et les mains dans les poches. Il n'y a presque personne en ville. Il n'y a presque personne nulle part. C'est bizarre. Un gars appuyé contre le mur fixe JungKook, le regarde passer, et JungKook suit son regard, tourne la tête tandis qu'il s'éloigne. Et le gars le fixe encore. Quelque chose d'étrange dans les yeux. JungKook ne comprend pas. JungKook accélère. Il monte sur une passerelle et franchit le vide qu'elle surplombe. Ses yeux montent au ciel. Tout est trouble. Il n'y a pas un vaisseau. Pas un reflet ignoble sur la surface noire. Pas un son. La ville est silencieuse.
TaeHyung arrive à l'entrée de la corporation. Il lève la tête pour regarder les escaliers qui se croisent à tous les étages, et les ascenseurs qui grimpent jusqu'au sommet. Il reste un instant comme ça, debout au milieu du hall, où les silhouettes avancent, muettes comme des prières, sombres comme les étoiles. Et les étoiles lui lancent des longs regards luisants. TaeHyung les sent. Et TaeHyung ne se sent pas normal. Il se sent différent. Les employés le dévisagent. Comme s'ils avaient quelque chose à dire, mais que jamais ils ne pourraient. Et alors que les portes d'un ascenseur s'ouvrent, TaeHyung décide de prendre les escaliers. Il monte, marche après marche, toisant les lumières suspendues entre les paliers. Tout est grand. Tout lui fait peur. Il a peur. Il sent la peur. Il ne sait pas pourquoi. Jamais cet endroit ne lui a paru si froid.
Et pas un son ne fait vibrer le bâtiment.
Pas même l'habituel murmure qui rappelle que les gens sont vivants.
Non.
Aujourd'hui rien ne semble vivant.
TaeHyung entre dans la grande salle obscure où il travaille, là où il n'est jamais seul. Il rejoint son allée, il marche entre les rangées de tables. Il se sent prisonnier. Comme s'il avançait dans l'eau. Et il a le sentiment que tout le monde l'observe. Tout le monde l'observe du coin de l'œil. Son supérieur n'est pas là. Il n'y a que cette lumière jaunâtre qui jaillit des écrans et qui salit leurs prunelles pâles. Toujours aucun son. TaeHyung avance, la tête droite. Et sa nuque brûle.
JungKook rentre dans un parking sous terrain désert, sort une bombe de peinture de son sac et trace un idéogramme à l'endroit indiqué. Puis il remonte quelques étages. Au bout d'une allée de vaisseaux terriens à l'arrêt, alors que des trous dans le mur laissent voir les lueurs de la ville, quelques corps se détachent. JungKook les voit. Il reconnaît YoonGi. Il fait quelques pas vers eux. YoonGi se tourne vers lui. Au coin de sa bouche, il sourit. Mais son regard est couleur nuit.
L'idéogramme veut dire silence.
Un instant.
L'idéogramme veut dire bruit.
TaeHyung relève la tête. Son écran est éteint. Tous les autres sont allumés. Et pour la première fois, ses mains ne tremblent pas.
C'est le calme...
YoonGi va à la rencontre de JungKook. Les autres hommes ne sont pas loin. Ils font un peu de bruit dans ce gouffre de silence. Ils chahutent, ils se lancent des tapes pour le plaisir, ils parlent de quelque chose que tout le monde a toujours su. Et maintenant tout le monde en a conscience.
C'est la nuit qui apparaît soudain.
YoonGi dit salut, parle de la dernière info qui circule. Mais en tendant l'oreille, on ne perçoit rien. Rien qu'un sifflement. Un long sifflement. YoonGi a l'air comme d'habitude. Puis il tourne le visage vers la ville au dehors. Il se tait d'un coup. Il sait. JungKook l'observe. Il n'est pas comme d'habitude. Les autres types crient. YoonGi se retourne. Mais il n'a rien à voir. Ils ne font que polluer le silence si dense. Comme JungKook n'a rien d'autre à ajouter sur cette drôle de journée, il dit au revoir, il se détourne et marche pour s'en aller.
YoonGi l'interpelle.
Encore un sifflement dans la nuit.
TaeHyung inspire, TaeHyung expire. Il a la bouche ouverte, et les iris noires. Si noires. Il regarde droit devant lui. La lueur des écrans et cette salle putride n'ont pas de limites. Il se souvient des écrans jaunes. Il se souvient des écrans blancs. Ses yeux brûlent. Mais ses mains ne tremblent pas. Un grondement au rez de chaussée. Dans l'immeuble. Dans la rue. Dans le hall.
TaeHyung tourne la tête, il croise le regard de son voisin. Et son visage est la nuit.
Encore un hurlement sans bruit.
JungKook se tourne vers YoonGi. Son cœur tremble. C'est un séisme au milieu de l'accalmie. YoonGi le regarde. Le coin de sa bouche ne sourit plus. La nuit ne le recouvre plus. Il est YoonGi. Et YoonGi le regarde. Et YoonGi dit une phrase. Une phrase toute simple.
TaeHyung lève les yeux un peu plus haut que le visage blafard de son voisin stupide. Son cœur vibre des mêmes ondes qu'une autre poitrine. Il fixe l'allée. Tout au bout. Comme un trou noir qui s'avance. Comme la gueule du loup qui s'entrouvre. L'ombre est là.
L'ombre la vraie.
TaeHyung plisse les yeux. TaeHyung inspire. TaeHyung n'expire pas. Taehyung sait.
Il y a quelqu'un.
« -Tu rêves plus ? »
TaeHyung se lève au moment même où les yeux de JungKook s'ouvrent grands. Sa chaise tombe par terre et se fracasse. Il ne l'entend même pas. Il se tourne vers le bout de l'allée, l'autre bout. Car de l'autre côté, il y a quelqu'un. Il s'élance et marche vite, les pupilles fixes. Et chaque personne, chaque petit être insignifiant présent dans cette salle, s'est tourné vers lui. Et pour la première fois, tout le monde le voit.
TaeHyung avance, droit devant. Derrière lui, il y a quelqu'un.
Et quelqu'un le suit.
Les premiers coups de feu balayèrent toute la surface découverte du parking. Le groupe de types s'écroula. Et soudain, il comprit.
JungKook se jette derrière un vaisseau terrestre, le souffle haletant et le regard brûlant. Il entend des pas, des cris, des ordres sûrement, c'est comme une vague qui s'écrase sur les lieux.
... Et puis c'est la tempête.
Le cœur de JungKook est sur le point d'exploser, tout ce qui se passe dehors semble se précipiter à l'intérieur, le remplir, l'ouvrir en deux. Le dos contre une portière métallique, le contact froid de la ferraille dans le cou, et les pupilles qui se tournent dans tous les sens, JungKook attend une autre vague. JungKook tourne un peu la tête. Sa pommette touche la surface en miroir. Un miroir noir. Et du sang coule des corps. Et les corps des hommes ne bougent plus. JungKook déglutit. Attend. Fronce les sourcils. Attend.
Un bruit sec et un glissement le font sursauter. Il tourne la tête de l'autre côté. YoonGi, agenouillé un peu plus loin le fixe, comme un animal. A la fois chasseur, à la fois proie. Il passe la tête par dessus un capot, ne semble rien voir alors se rapproche de JungKook en quelques mouvements, sans un son. Quand il s'est posté dans la même position que lui, contre la même voiture, il le regarde et lui fait signe de se taire. Un bruit de pas, comme une traînée de nuit, retentit à quelques mètres de là. Pas de résonance. C'est comme un fantôme. Le bruit se répète un peu plus loin. Encore une fois. Puis n'est plus. Au loin, un craquement sourd, et des cris, et des plaintes. C'est comme une foule qui se réveille, qui panique et qui se rendort aussi subitement.
JungKook veut se relever mais YoonGi l'attrape par le cou et le plaque contre la portière. Son souffle se coupe, il le regarde comme s'il était fou. YoonGi le regarde comme s'il savait tout.
« -Tu veux crever ou quoi ?! »
JungKook ne répond pas, n'essaie pas de se débattre. Mais ses yeux sont toujours immenses. Incompréhensifs.
« -Quoi ? Tu veux savoir ce qu'il se passe ? Mais il se passe qu'à partir de maintenant ça va être le gros bordel dans cette ville de merde. »
JungKook fronce les sourcils. Le monde est comme convulsif. Il chuchote :
« -Qu'est-ce que tu dis ?
-Oh mais arrête, réplique YoonGi en lui donnant une tape sèche sur le crâne. Tu sais déjà tout, réveille-toi un peu. Regarde autour de toi. Regarde-toi. Il y a rien qui te choque ? »
JungKook le toise, droit dans les yeux. Il ne sait plus respirer. YoonGi le scrute aussi. Il dit :
« -Tu vois que tu sais. On est dans la merde, hein ? »
Sa phrase tombe en un soupir. Puis il lâche JungKook et se met à fouiller dans sa veste. Il jure plusieurs fois puis sort une arme automatique de son sac. Il la lance à l'autre qui l'attrape aussitôt. Il fixe l'objet quelques secondes, puis relève la tête vers YoonGi. YoonGi a l'air un peu vide. Épuisé. Il regarde JungKook, mais ne regarde rien du tout, au fond.
« -Si j'étais toi, je courrais le plus vite possible pour aller chercher mon mec. »
La bouche de JungKook s'entrouvre, aucun son ne s'en échappe.
« -Oui, lâche YoonGi Qu'est-ce que tu crois ? T'as vraiment été con. On les fuit pas. Maintenant casse-toi. »
JungKook ne bouge pas d'un pouce. Le visage plus pâle qu'un idéogramme mort, à minuit. Alors YoonGi l'attrape par le col de sa veste et le bouscule.
« -J'suis pas ton ami. Personne n'est ton ami. Casse toi maintenant ! »
Et JungKook obéit alors que la ville tremble. YoonGi reste là, à regarder son absence. La ville gronde. Des hommes ne bougent plus. C'est le début d'une longue nuit. JungKook court, sort du parking par la première embouchure venue. C'est comme si ses muscles s'ouvraient tellement son corps le lance. Il n'a jamais couru comme ça. Il ne s'arrêtera pas. Il court dans la nuit. Il fuit le bruit. Il faut fuir le bruit. Il faut fuir le bruit. Il passe dans une ruelle, et au coin d'un mur, un homme ne bouge plus. JungKook détourne le regard et accélère. Tout est si loin. Pourquoi est-il si loin ? Pourquoi es-tu si loin ? Il arrive devant un grillage et sans réfléchir une seconde, il s'y agrippe, l'escalade et saute par dessus. De l'autre côté, une route déserte. Des vaisseaux troués de balles et des débris de métaux. Ils sont passés par là. JungKook suit la route. Il va vers le centre.
JungKook court. Et il n'y a pas de frontière sur son chemin.
Et il a une arme dans la main.
Et YoonGi l'a dit.
Et tu l'as dit.
Et moi j'ai dit oui.
« On ne les fuit pas. »
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Viens m'aider
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Ils sont passés par la route.
Et maintenant ils sont là.
Tu as été fort mon amour.
TaeHyung pousse la porte coupe feu de ses bras fébriles puis se rue dans les escaliers. Il dévale les marches à toute vitesse, et tandis que les étages défilent, il tourne la tête pour voir l'ombre immatérielle dans son dos. Il est suivi. Il le sait. Et il a le sentiment terrifiant qu'on hurle son nom, qu'on l'appelle, qu'on le retient. Et il ne va jamais assez vite.
Arrivé à un palier, il lève les yeux, un sifflement fuse et aussi brutalement que ça, une partie des escaliers de l'étage vole en morceaux. Des débris s'échouent sur le sol et contre son visage. Il perd l'équilibre et glisse contre le mur. Il passe une main sur son front, puis la regarde. Et sur la pâleur de sa peau dégouline une étrange couleur.
Puis il aperçoit les gravas.
On a essayé de lui tirer dessus.
Puis il entend des voix au dessus. Voici son ombre.
Puis il aperçoit le hall en bas des escaliers. Malgré son vertige, il se relève un peu tanguant mais parvient à rejoindre le sol. Le grand hall a l'air vide. Il y a des traces noires par terre et les ordinateurs d'accueil sont en morceaux. Une femme s'est cachée derrière le comptoir à l'autre bout de salle. Elle le contemple comme s'il était la Mort. Soudain, le martèlement répété des pas se multiplie à ses oreilles. Et TaeHyung a la présence d'esprit de ne pas passer par la grande porte. Il décide de rejoindre la sortie de secours.
Et en allant là bas, il croise le regard de la femme.
Et en croisant son regard, il croit comprendre
Ce qui ne va pas.
Quand JungKook arrive un peu plus tard, il n'y a plus personne.
Mais contre le mur, il voit qu'on a tracé une longue marque noire
sur son idéogramme rouge cardinal
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