Chapitre 9
J'avale difficilement ma salive tout en souhaitant me terrer dans un trou. Je sais déjà comment Sophie va réagir et j'ai envie de mettre fin à cette après-midi. Pourquoi y'a-t-il toujours un élément perturbateur, lorsque je suis avec elle ?
Voilà deux jours que je lui ai donné mon dernier cours, et le voici, devant moi. Mike semble aussi surpris que moi de cette rencontre.
— Salut !
Le sourire de ma sœur est large et elle semble scintiller sous l'admiration. Elle n'est jamais ainsi chez mon père. Mike semble lui faire ce genre d'effet. Enfin, le couple, car il est accompagné de sa petite-amie cette fois. Je dois avouer qu'elle est jolie, même si le maquillage y est pour beaucoup et elle s'habille bien, malgré le froid. J'ai d'ailleurs frissonné en la voyant vêtue de sa robe longue et de son collant opaque. J'ai l'impression d'être la seule à connaitre cette sensation d'être congelée. Serais-je anormale ?
— Vous êtes trop beaux ensemble ! s'extasie Sophie.
Bras l'un en dessous de l'autre, ils donnent un beau tableau, en effet. En apparence, ils semblent bien assortis. Je repense à notre conversation du vingt-cinq et me souviens des propos du père aux étudiants. Je me rembrunis sitôt. Ashley est belle, mais sa personnalité ne l'est sans doute pas. Je deviens alors mal à l'aise et j'ai peur que le scénario de la dernière fois se répète. Si la petite-amie est un serpent, avec Sophie, cela risque de faire des étincelles pour ma pomme. Je prie donc pour qu'ils aient un rendez-vous quelque part. N'importe où, mais loin de ma sœur et moi.
— Sophie !
L'exclamation de joie de Becca fait s'envoler tout espoir. La petite-sœur ressemble à la grande, avec ses cheveux bruns bouclés et son teint mat. Son regard est vert, au contraire de celui d'Ashley, qui est bleu.
La fillette arrive devant Sophie et prend ses mains dans les siennes. Elles sont heureuses de se croiser par hasard et je me dis que les probabilités, cette fois, n'ont rien à y voir. Les enfants de douze ans semblent s'être mises d'accord entre elles. Quoi qu'il en soit, Sophie va sauter sur l'occasion pour décréter que la petite-fille tient la chandelle et que ce n'est pas juste. Cette après-midi est donc ruinée. Moi, qui, encore une fois, désirait acheter un cadeau à ma sœur. Elle n'est pas satisfaite de la crème de Noël, ni du fard à paupières. J'ai choisi au hasard, parce que je ne m'y connais pas. Résultat, elle a fait des pieds et des mains pour échanger tout cela. Et j'ai cédé.
— Vous avez du temps ? On pourrait manger un morceau tous ensemble, propose Ashley.
Mike se raidit, je me raidis. Ma sœur irradie. Et Ashley a tant insisté sur chaque mot, que je sens n'avoir aucun intérêt à la suivre. J'ai perçu le serpent caché derrière le sourire. Pourtant, plusieurs minutes plus tard, je suis assise en leur compagnie. Le couple est installé en face de nous. Becca n'a personne devant elle, puis vient Sophie et enfin moi. Ashley a veillé à ce que je ne puisse pas me dérober à son regard. Je devine que la pause « café » va très mal se terminer. Pour l'heure, ma sœur m'oublie complètement et discute avec sa voisine de gauche. La petite-amie en profite pour glaner des informations sur mon compte, comme si Sophie n'était pas déjà une pipelette de premier ordre.
— Alors, tu es la fameuse Minah, débute-t-elle.
Restons soft pour commencer, montrons les crocs lorsque la confiance règne ! Si la confiance peut régner un jour.
— Fameuse ?
Je ne suis pas certaine que ma sœur parle en des termes si élogieux me concernant.
— En ce moment, j'entends beaucoup ton nom.
Elle coule un regard accusateur envers son voisin. La jalousie émane de chaque parcelle de son corps. Puis-je survivre à ce dessert ? Enfin, moi, je n'ai rien pris. J'ai retenu la leçon de la dernière fois. Je n'avais pas fini mon cheesecake et il a dû finir à la poubelle. Alors, aujourd'hui, je n'ai rien sur mon morceau de table. Ashley s'est contentée d'une bouteille d'eau devant « garder la ligne ». Je la plains et me dis que Sophie doit rêver d'elle pour sœur, car elle semble être ce que je ne suis pas.
— Tu peux dormir sur tes deux oreilles, puisque le dernier cours a eu lieu mercredi.
Elle serre la mâchoire, comme si ma réponse était un crime. J'ai raté la mission « soft ». J'enfonce d'ailleurs le clou, puisque j'ajoute :
— La jalousie est un vilain défaut.
Ok, je plaide coupable. Ce n'est certainement pas une bonne idée. Mais autant mettre les choses tout de suite au clair. Les malentendus, je n'en veux pas. Et il faut dire que les voir ensemble m'agace plus que ce à quoi je m'attendais. Cela rend leur relation réelle à mes yeux et éloigne mes espoirs vains un peu plus.
— Je n'aime pas le voir trainer avec d'autres filles, c'est plus fort que moi.
Ashley a tenté de paraitre navrée, mais je ne suis pas dupe. Je connais ce genre de filles. Ce sont des pestes dans des corps de mannequins. Elles prennent de haut tout le monde et ce qui leur appartient n'a aucun droit à la parole. Bon sang, j'espère que Sophie finira par s'éloigner de cette vipère, je ne souhaite pas qu'elle la prenne pour exemple ! En espérant que ce ne soit pas déjà trop tard.
— Je n'aime pas être la cible des petites-amies, c'est plus fort que moi. Surtout que, jusqu'à preuve du contraire, c'est à toi qu'il tient la main.
J'arque un sourcil, attendant une réaction de sa part. Je n'ai droit qu'à l'étonnement de Mike qui me dévisage, comme si je n'étais pas moi-même. Peut-être bien que le stress me rend plus agressive que d'habitude. Et peut-être bien que je suis un tantinet jalouse, moi aussi. Je me suis laissé trop longtemps bercer par son regard brun, si lumineux.
— Ashley travaille sur ce défaut, c'est juste un peu... compliqué.
La concernée serre plus fort la main de son petit-ami, tout en me fusillant du regard. Il la défend, j'ai compris ! De toute façon, le soir de Noël me l'a très bien fait comprendre. Seule sa mère tolère la présence de la jeune femme, le reste lui est hostile. Pourtant, cela fait deux ans qu'il sort avec elle. Bon sang, il me déçoit. Il est tout le contraire de ce genre de fille, comment peut-il en aimer une ?
— Tant qu'elle ne m'étripe pas avant de partir, je n'ai pas de problème.
Je suis de toute façon persuadée que ce n'est pas elle qui m'attaquera en première. Ma sœur est bien plus habituée à ce jeu.
— Sujet clos, je présume, lance la jalouse.
Je lui fais mon plus beau sourire avant d'acquiescer. Viennent alors les questions personnelles.
— Tu es plus jeune que nous de deux ans, c'est ça ?
Je confirme d'un hochement de tête.
— Tu en es où dans tes études ? questionne Ashley.
J'ai très envie de lui balancer un CV, mais je m'abstiens. Si mes réponses sont assez décevantes à ses yeux, je serais supprimée de sa liste noire. Peut-être que je pourrais déguerpir plus rapidement aussi ?
— Deuxième année de BTS en ressources humaines et je compte m'arrêter là. Je commencerais à chercher un emploi à partir de juillet. Je ne vise pas de grandes entreprises, je n'aime pas la pression. Et toi ? Tu souhaites aussi devenir enseignante ?
Elle a une moue de dégoût. Je n'imagine pas le soutien qu'elle apporte à Mike dans ses études !
— Surtout pas. Je vise l'immobilier. Pour l'instant, je ne suis qu'employée, mais j'espère bien diriger une agence d'ici un ou deux ans.
— L'ambition est une bonne chose, si on est motivé. Je penserai à toi lorsque je chercherai.
Bien sûr, je ne pense pas un seul instant à faire appel à ses services. Je finirais embrochée sinon !
— Tu comptes partir de chez papa ? s'étonne Sophie.
Ma sœur semble presque indignée et j'en suis surprise. Elle qui ne lui a adressée que cinq mots depuis trois ans. Tous des « merci » pour des cadeaux.
— Un jour, oui.
Je laisse mon regard sur le couple. Je connais ma sœur et si je lui montre à quel point sa question me semble stupide, elle s'énervera d'autant plus vite.
— Tu chantes ses louanges dès que nous nous voyons pourtant !
Cette fois, je sens de l'agacement. Moi aussi je m'agace. Chaque fois que je la vois, je glisse quelques informations sur papa, espérant qu'elle change d'avis à son propos. Pour l'instant, je n'ai eu que des échecs.
— Tu aimes tes amis sans pour autant vivre avec eux, non ?
La comparaison fait mouche et elle se tait. Malheureusement, je sais que la petite fille est à présent bien concentrée sur ma conversation avec l'agent immobilier. C'est mauvais signe.
— Tu en as déjà parlé avec ton père ? m'interroge Mike.
Je secoue négativement la tête. Je pense qu'il faudra prendre des pincettes, vu tout le cinéma qu'il a fait pour les cours particuliers. Mais il finira par accepter l'idée. J'espère.
— Joue les petits poucets, sinon il risque de mal le prendre.
— Conseil noté, lui souris-je.
Cela semble être dérangeant pour Ashley, puisqu'elle mord sa lèvre. Est-ce qu'elle va bientôt nous interdire de nous adresser la parole ? Après la pause « café », histoire de ne pas faire de scène ?
— Moi, je suis déjà partie, commente Sophie.
J'ai envie de la secouer pour qu'elle se rende compte de son erreur. Cependant, c'est un peu trop violent.
— Et papa en est très malheureux, même si je ne pense pas qu'il t'en veuille.
Malgré ses allures de peste, moi aussi je finis toujours par lui pardonner.
— Ce n'est pas grave. Maman dit qu'il le mérite.
Je serre mon poing et la foudroie du regard. Elle n'en sait rien ! Sophie ne se rend même pas compte de la cruauté de ses propos. Si elle tentait d'en apprendre plus sur notre père, elle en aurait une idée. Mais elle est incroyablement têtue. Sur ce point, nous sommes deux.
— Crois-tu tout ce que maman dit ?
Sophie est un peu perdue face à mon ton brusque. Même si nous nous disputons (très) souvent, j'essaie toujours de lui parler posément. Cependant, elle évoque papa comme si c'était un étranger et non comme un parent. Elle ne voit et ne comprend rien de sa souffrance. Ça me fend le cœur. Il l'attendait tant le 24...
— Maman a souvent raison.
— Papa est toujours là pour nous.
— Il t'a toujours préférée, maman...
— Il n'a jamais oublié ton anniversaire et il t'offre tout le temps des cadeaux.
Que lui faut-il de plus ? Il l'attend désespérément, bon sang.
— Ça... débute-elle avant de se faire couper par Mike.
— Il a beaucoup parlé de toi, la semaine dernière.
Evidemment, Ashley s'agace un peu plus. Elle n'a pas dû apprécier cette visite. Ma sœur, elle, est toujours aussi perdue. Je ne lui ai pas mentionnée cet événement, parce qu'il est intimement lié à son absence.
— Tu n'étais pas au courant ? s'indigne la petite-amie.
Je distingue sa langue de vipère sans problème. Elle a compris que mes liens avec Sophie sont difficiles et elle va se faire une joie de jouer avec ! Malheureusement, ce n'est pas elle qui en paiera les pots cassés, mais moi.
Son petit-ami semble aussi peu enclin à en parler. Cela ne stoppe pas Ashley.
— Ta sœur et votre père ont passé la soirée du 25 chez Mike.
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