Chapitre 8
Le repas est gênant. A côté de moi, j'ai le droit au regard en biais de mon père, dans ma diagonale, aux encouragements d'Aurélia et en face, au regard perçant de Mike. A quel moment cela a-t-il dérapé de cette étrange façon ? Bien sûr, mon père ne manque pas de lancer un débat, histoire que cela vrille davantage.
— Ta petite-amie ne pouvait pas venir ?
Victor lorgne son fils de façon très explicite, Miranda soupire, Aurélia déglutit. Mike se contente de paraitre confiant. Le sujet, deux fois en si peu de temps, les probabilités ne sont pas de son côté ce soir.
— Non. Elle voit sa famille.
Il sourit et ne baisse pas les yeux face à mon père. Pourtant, sa confiance est loin d'être assurée.
— Elle est un peu... particulière, commente son père.
Aie aie aie. Si elle n'est pas appréciée par le beau-papa, ça ne peut que mal finir !
— Nos habitudes sont différentes des siennes et...
Aurélia a pris de lui, ça ne m'étonne pas qu'il n'ait pas peur de dire les choses.
— Papa, le coupe Mike.
— Je n'aime pas sa façon de traiter ta sœur, assène Victor.
— Aurélia ? m'étonné-je spontanément.
Les regards convergent vers moi et j'ai la sensation de m'être mêlée d'un problème qui ne concerne que le père et le fils.
— Rien de bien important, balaie la concernée d'un geste de la main.
— Aurélia, répété-je.
Je n'ai jamais pensé à l'éventualité que la copine soit désagréable envers la sœur. Cela expliquerait néanmoins quelques réactions de sa part.
— Tu as de la chance de ne pas être en face de moi, terminé-je, constatant qu'elle ne dirait rien.
Je tenterai de lui soutirer des informations plus tard.
— J'ai tout calculé, affirme-t-elle avec un clin d'œil.
— Les deux filles ne s'entendent pas ? relance mon père, comme si de rien n'était.
— Leur relation est tendue, réplique sitôt Mike. Mais aucune des deux ne fait réellement d'efforts.
Le reproche est explicite. Aurélia frappe légèrement son frère sur le crâne.
— Je suis ta sœur, c'est moi que tu devrais défendre. Tu n'es qu'un imbécile.
Et pour la première fois, j'ai la sensation qu'elle le pense du plus profond de son être.
— Je ne te soutiens pas si tu as tort.
Miranda tousse pour faire diversion.
— Ashley est certes unique, elle n'en reste pas moins la petite-amie de Mike. Il me semble important qu'elle se sente accueillie.
En général, ce sont les belle-maman les plus terribles, non ? C'est bon signe qu'elle soutienne leur couple.
Je rapproche mon verre de mes lèvres.
— Et toi, Minah ?
Je manque de m'étouffer avec le vin. Je ne m'attendais pas à ce que la mère me questionne.
— Aurélia parle de toi depuis le lycée, mais elle n'a jamais mentionné une quelconque relation.
— C'est surprenant, réagit derechef mon père.
Il se tourne alors vers moi, mais au lieu d'être discret, il me questionne ouvertement :
— Tu ne lui as jamais dit ?
Bien sûr que non, ça se voit bon sang !
Je fais semblant d'être attirée par mon verre. Il est vraiment très beau et bon en plus !
— Minah, tonne la voix de mon amie.
Je lève les yeux vers elle.
— J'ai de la chance de ne pas être en face de toi ?
— Exactement, bouillonne-t-elle.
Il vaut mieux m'énerver moi, qu'elle. Aurélia a une bonne mémoire et le pardon difficile. Pourtant, je ne m'imagine pas lui conter les événements. J'ai moi-même du mal à m'en souvenir. C'est flou dans mon esprit. Seul le sentiment d'avoir été déçue persiste, inexorablement. J'ai presque envie de soupirer, face à mes mensonges envers moi-même.
— C'est une vieille histoire sans importance, plaidé-je. Et mon père est trop papa poule pour que je m'y risque.
— Ah, ça c'est normal ! s'exclame Victor. Quand il s'agit de nos filles chéries, on ne connait plus rien !
Je pense encore à Sophie. Mon père est-il condamné à la voir grandir sans lui ? A s'inquiéter sans avoir de réelle réponse ?
— Les garçons, c'est différent, souffle Victor.
— Moi, que ce soit Aurélia ou Mike, c'est pareil. Je suis tellement contente de les voir grandir !
Ma mère tiendrait-elle le même discours si elle n'avait pas changé ? Serait-elle heureuse que je lui annonce être en couple ? J'aimerais tellement. Mais seul le CV de mon petit-ami l'intéresserait, quel dommage.
— Minah ? chuchote Aurélia.
Je manque de renverser mon verre, le rattrape de justesse. J'ai attiré par la même occasion l'œil de Mike. Chouette.
— Ça ne va pas ?
— Je pensais à m'évader.
Aurélia fronce les sourcils avant que son regard ne s'illumine, puis se tarisse. Elle lâche un « oh », sans expliciter. Elle ne peut pas y faire grand-chose si je compare sa mère à la mienne.
— Je vais chercher le dessert ! s'exclame-t-elle alors.
Le temps de quelques minutes, je me retrouve face aux interrogations silencieuses de mon élève. Il n'a pas raté la mention de mon évasion. Cependant, il ne peut pas y rattacher son réel sens et tant mieux. Cette fois, j'ai envie de sourire. Le manque d'audace de sa part me déçoit.
— Et voilà ! clame mon amie une fois revenue.
Un brownie trône désormais sur la table et je souris en secouant la tête. Cette fille ne jure que par ce dessert, même le soir de Noël.
— Tu aimes le chocolat, Minah ? m'interroge Miranda.
— Pas autant qu'Aurélia. C'est une fan incontestée !
Mon père lâche un sourire et j'ai l'impression que mes poumons se remplissent d'un air nouveau. Enfin.
— C'est important d'aimer le chocolat, avance la maman. Il est le symbole de l'amour.
J'ai plutôt en tête le cœur, mais si cette interprétation lui convient mieux, ne la contredisons pas.
Le dessert est entamé, la bonne humeur de retour, puis les parents décident de revenir sur le sujet qui les passionne tant : les relations amoureuses de leurs enfants. On a déjà donné pourtant. C'était sans compter un appel imprévu de la petite-amie qui fait polémique. Mike s'éclipse et la discussion reprend à son sujet.
— Même si Ashley est particulière, Mike n'en reste pas moins heureux avec elle, s'avance Miranda.
Sitôt, cela provoque des remarques réprobatrices du père et de la sœur.
— Tu n'as jamais entendu une de leurs disputes, argumente Aurélia. Cette fille est une vipère. Elle ordonne et Mike doit obéir.
— Je lui ai appris à respecter les femmes, pas à être une de leur marionnette.
— En quoi est-ce mauvais ?
Ma question provoque des regards outrés, de toute l'attablée, sauf de la maman. Je prends une inspiration, histoire de me donner un peu de courage.
— Je pense simplement que vous sous-estimez Mike. S'il cède, il doit avoir ses raisons.
— L'amour fait perdre la tête, soupire mon père.
Oh, il connait ça, oui. Il l'a vécu plusieurs mois avec maman. J'aimerais pouvoir enterrer ces souvenirs, car ils m'assaillent un peu trop ce soir. Est-ce le vin ? Je n'en ai pourtant pas bu autant que cela.
— Je pense que Mike a la tête bien sur les épaules. En tous cas, c'est l'impression qu'il m'a donné lors des cours. Il est motivé, persévérant, volontaire et organisé. Il réfléchit de façon rationnelle.
— Eh bien, tu as l'air d'avoir bien saisi ses traits de caractères principaux, toussote Victor.
Je ne comprends pas les regards échangés. Il n'y a rien de bizarre dans ce que j'ai dit, simplement mes impressions.
— Qu'importe, s'agace Miranda. Je laisse mon fils gérer ses histoires personnelles. S'il a besoin de conseils, il viendra déjà nous en parler.
Comme moi, je parle à mon père.
— En tout cas, je te souhaite de trouver l'amour, Minah. J'aime ta simplicité et ta franchise.
— Merci ?
— Encore avec tes réponses interrogatives, grogne Aurélia.
Etrangement, elle n'a pas beaucoup parlé. Avec qui est-elle d'accord, finalement ? Une seule seconde suffit à balayer ma question. Car, dehors, j'aperçois des taches blanches tomber doucement par la fenêtre du salon. Je bondis sur mes pieds en frappant dans mes mains.
— Il neige !
— Comme prévu, me répond Mike, derrière moi.
Il a l'air content. Son appel s'est sans doute bien passé.
Sa mère nous fait signe de sortir et je ne me fais pas prier. Je saute mettre mes chaussures et le temps d'enfiler mes gants, mon bonnet et mon écharpe, Aurélia et Mike sont également debout. Je tournoie déjà sur moi-même lorsqu'ils arrivent à mes côtés. Je regrette de m'être bien habillée, car je ne peux pas courir sous les flocons qui tombent. Il doit neiger depuis un certain temps, car les trottoirs sont déjà bien remplis. Les trottoirs, les routes et la nature. Je suis aux anges, malgré le froid qui me saisit.
— Tu es aussi rayonnante que la neige, me complimente Mike.
Je cligne plusieurs fois des yeux en le regardant. C'est inapproprié comme phrase, non ? Je m'aperçois par la même occasion qu'Aurélia a disparu et que la porte est fermée.
— Merci, lui souris-je.
Il n'y a rien d'anormal à la situation. J'ai dû boire un peu trop. Aurélia est allée se changer, c'est tout. N'est-ce pas ? Elle me prie d'ailleurs, depuis la fenêtre, de venir me changer moi aussi. Je retrouve ainsi un pull, un pantalon et des baskets et je peux enfin courir partout, comme une enfant. Sans plus de pensées négatives ou d'interrogations étranges.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top