Chapitre 7
Joyeux Noël !
Les messages fusent et pourtant, je suis triste. Sous le sapin, six cadeaux attendent d'être ouverts. Deux pour moi, les autres pour Sophie. Encore une fois, elle est partie au ski avec sa famille. Je suppose que c'est là ma punition pour ne pas avoir laissé ce week-end se dérouler comme ils le prévoyaient. J'espère qu'ils chantent là où ils sont car, à la maison, mon père et moi avons le regard vide sur les décorations. Aucun de nous ne souhaitent se réjouir sans ma sœur. Il a fêté treize Noëls sans elle et je n'imagine pas son sentiment face à son rejet. Sophie n'apparaît que pour de courts séjours et fait tout pour l'éviter dans ces moments. Nombre de dialogues ont fini par des portes claquées qui ne se rouvrent plus. Sophie ne sait tout simplement pas comment réagir différemment. Aurélia marque un point en disant que c'est sa façon à elle de s'inquiéter.
— Pourquoi on ne sait pas faire la fête, nous ? s'attriste mon père.
Je garde le silence, fixant inlassablement le sapin. Nous nous aimons, lui et moi. Mais il y a ce vide, ce poids qui gâche toujours. Des anniversaires en passant par Pâques et Noël. Nous détestons ces moments, parce qu'ils nous rappellent à quel point il manque quelqu'un.
Je souris faiblement devant les photos de préparation de mon amie. Aurélia me fait toujours un défilé pour les grandes occasions. Je pense que c'est l'un des rares moments où elle n'entre pas une seconde dans son monde.
— Est-ce qu'il y a réellement quelque chose à célébrer ?
Je n'ai même pas envie d'ouvrir ces cadeaux qui attendent, là, sous le sapin. Ils ne m'appellent pas, ne m'encouragent pas. Au contraire, je les vois comme des fleurs sans vie, mortes avant d'avoir pu éclore.
Puis un nouveau texto arrive. Je fais toujours l'effort de répondre aux messages emplis de bonnes intentions, je ne veux vexer personne. Alors, à chaque grand jour, je garde mon téléphone sur moi. Je donne l'illusion que moi aussi, je passe une soirée formidable avec la famille.
Je déverrouille mon portable et l'envie de pleurer grimpe en moi.
Ça vous dit à ton père et toi, de venir demain soir chez nous ? (le 25 au soir au cas où c'est pas clair vu qu'il est minuit passé !)
P.S. : Du très bon vin à la clé
Une photo dudit vin accompagne le message. La tête à Aurélia également. Elle grimace de façon exagérée, essayant de détendre l'atmosphère.
— Si on était invités, tu irais ?
Mon ton est morne, détaché.
— Pourquoi ? s'enquit mon père.
Je lui montre mon portable, sans y mettre une grande volonté.
— Ça te dit à toi ? rétorque mon père.
— Pas vraiment.
J'aime beaucoup Aurélia, mais je ne suis pas motivée à bouger de cette maison.
Mon père soupire avant de s'asseoir convenablement sur le canapé. Il croise ensuite ses mains devant lui et les fixe.
— Une soirée a suffi à te faire perdre ta bonne humeur.
Lui aussi est triste, renfermé, loin de sa joie habituelle.
— Ce n'est pas la première fois.
C'est toujours la même rengaine, le même refrain.
— Mais en ce moment, j'ai l'impression que tu es satisfaite de ta vie.
— Peut-être.
Je n'ai pas envie de parler ce soir. Ni maintenant ni demain d'ailleurs. Ni durant tout le reste des vacances. Au réveillon, Sophie nous appellera comme si elle n'avait rien fait de mal et quémandera ses cadeaux. Si puérile !
— Ce garçon à qui tu donnes cours...
A priori, il n'a pas retenu son nom, la dernière fois.
— Mike ?
— Vous faites plus que ça ?
Pour la première fois de la soirée, je ris aux éclats. Je croyais qu'il avait abandonné son idée ! Je viens aussi de comprendre pourquoi il surveille mes allers et venues depuis plusieurs jours à présent. Je comprends également ses regards curieux et ses interrogations. Je n'ai pas fait le rapprochement puisque, pour moi, l'affaire était classée.
— Quoi ? Ce n'est pas drôle, bégaie-t-il.
— Tu ne lâches pas l'affaire.
— Tu sais, tu as vingt ans et tout ça tout ça...
Peut-être pense-t-il, lui aussi, à l'année passée.
— Nous travaillons vraiment et Mike a une copine, je te l'ai dit.
— Oh !
Mon père se gratte la gorge, toujours peu convaincu. Que suis-je censée faire ?
— Tu veux le rencontrer pour t'en assurer ?
Ce n'est sans doute pas l'idée la plus brillante qui soit, mais si cela lui permet de constater de ses yeux que Mike n'est qu'un élève, tentons ! Puis, cela me fait penser à quelque chose de plus gaie que Sophie et son absence.
— Je te crois, je te crois ! répète-t-il en se redressant. Mais s'il y a l'occasion...
— On accepte alors ?
Son regard étant perdu, je lui rappelle qu'Aurélia est sa sœur.
— Oh, le pauvre !
— Il ne s'en sort pas trop mal, t'inquiète.
— Ok, allons vérifier de plus près alors.
Nous échangeons un sourire chaleureux et je me dis que ses doutes sont une très bonne chose. Grâce à eux, nous passerons le 25 entourés de rire.
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— Ce n'est pas...
Mon père me regarde, en long, en large et en travers depuis bien cinq minutes, sans parvenir à achever une seule phrase. Nous sommes le vingt-cinq, nous sommes invités, donc oui, j'ai fait un effort. Visiblement, cela dérange papa poule qui sait qu'un jeune homme habite l'endroit où nous nous rendons. Ce même jeune homme à qui j'ai donné cours à de nombreuses reprises déjà et qui a une petite-amie. Son attitude est totalement disproportionnée.
Je m'approche de lui et pose mes mains sur ses épaules. Il baisse légèrement le regard vers moi, étant plus grand.
— Ma robe s'arrête juste au-dessus du genou, mon décolleté est très léger et mon maquillage à peine marqué. Seul objet frappant : mes chaussures, qui je te l'accorde ont un talon beaucoup trop haut. Mais ne t'en fais pas, je pourrais me promener pieds nus, je le fais habituellement déjà. Un autre problème ?
— Ma cravate, ce n'est pas un peu trop ?
— Si ! Mais si elle te rassure, personne ne t'en voudra, ok ?
Il est 18 h 20 et nous étions censés arriver là-bas à 18 h. Mon père et ses hésitations nous ont fait perdre du temps. Mais il faut absolument qu'il se sente bien, sinon la soirée sera mauvaise pour lui.
— Allons-y ! décrète-t-il enfin.
Dix minutes plus tard, nous parvenons à destination. A peine la sonnette enclenchée, qu'Aurélia ouvre la porte.
— Bonjour M. Salis ! s'enthousiasme-t-elle. On est vraiment content que vous soyez là.
— Aurélia, il fait froid, remarqué-je.
Elle s'excuse, file à l'entrée et attend que nous daignions faire de même.
— J'avais oublié à quel point elle était pleine de vie, me glisse mon père.
— Et jolie, complété-je.
Elle porte un bustier, s'est maquillée, mais pas de chaussures, ayant opté pour des pantoufles. Même ainsi, je ne peux m'empêcher de penser que le tout est cohérent. Cette fille me fait tout aimer.
A notre entrée, nous saluons la famille réunie pour nous accueillir. Sans perdre une seconde, mon père détaille Mike de la tête au pied. Je ne m'attendais pas au costume de sa part et je ne peux donc qu'approuver le relooking de mon paternel.
Très rapidement, Aurélia me kidnappe dans sa chambre et laisse mon père avec les adultes de son âge. Mike, par défaut, suit sa sœur.
— Il faut ABSOLUMENT que tu lises mon nouveau chapitre, clame-t-elle une fois dans sa chambre. Il s'y passe un truc de dingue, j'en ai pleuré ! Je te... Incroyable ! s'étonne-t-elle soudain.
Je la dévisage, la tête de côté. C'est quoi le problème ?
— Tu es maquillée !
La nouvelle la chamboule tant qu'elle doit s'asseoir sur le fauteuil. Son frère pouffe de l'embrasure de la porte.
— Impossible de gâcher ce moment aussi rapidement.
— Merci de respecter mon travail, commenté-je.
Elle arque un sourcil, l'air de me dire que ce n'est rien et je lui lance son coussin à la figure. Elle le retourne contre son frère, qui se moque toujours d'elle. Cela ne l'empêche pas de rire. Aurélia lui tire la langue, puis elle lance LA phrase qui gâche tout.
— Sophie y a pensé ?
Je grimace sans le vouloir. Ne sait-elle pas qu'en ce jour, son nom est interdit ? Je repense aux cadeaux, abandonnés sous le sapin et à nos corps, avachis sur le canapé. Chaque année, c'est le même refrain.
— Un Noël habituel donc...
— Non, je suis là et il n'a pas encore neigé. J'espère que ce sera ce soir.
Il me tarde d'observer les flocons tomber doucement. C'est si beau et ensorcelant !
— C'est ce qui est prévu, confirme Mike.
En posant mon attention sur lui, un éclair de lucidité me frappe et je ne tourne pas sept fois ma langue avant de parler.
— Tu ne fêtes pas avec Ashley ?
Ce serait logique, non ? Ils sont ensemble, s'aiment et les parents de l'un et l'autre les ont déjà rencontrés.
— Noël est réservé à la famille.
— Tu as pensé comme moi ! s'exclame Aurélia en bondissant sur ses pieds.
Je n'ai rien dit, mais mon visage a parlé pour moi. Mon amie me pointe du doigt jusqu'à ce que je ne lui donne raison.
— Tout dépend de la durée de la relation, argumenté-je.
— Deux ans ! répond-elle de suite. Et voilà, je le savais ! Tu penses exactement comme moi !
— Aurélia inu...
— Ashley est... spéciale, se justifie Mike.
Mais il est clairement mal à l'aise. Pour lui aussi, ce n'est pas normal. Il fait avec, parce qu'il l'aime. C'est admirable comme réaction. Ne peut-il pas me décevoir, pour une fois ?
— Comme ma sœur ?
— Différemment.
— Dis lui qu'il doit se trouver quelqu'un d'autre, dis-le lui ! insiste mon amie. Je le lui répète depuis deux ans, mais il ne m'écoute pas.
— Ne me mêle pas à ton conflit avec ton frère.
Je compte bien rester très loin de ce couple. Je n'ai pas à y intervenir, ce ne sont pas mes affaires. Et plus j'en serais loin, mieux ce sera pour tout le monde.
— Tu ne me soutiens même pas, pleurniche Aurélia.
Un coussin vole jusqu'à elle et j'éclate de rire. Qui cherche, trouve.
— Ne fais pas le malin, gros tas ! le menace la jeune fille.
— Tu n'as pas reconnu qu'il était un Dieu vivant ?
Aurélia pose une main sur son front tout en soupirant exagérément.
— J'étais malade ce jour-là, vraiment très malade. Il n'est qu'un sac à patates encombrant.
— Nous sommes des sacs à patates encombrant. Nous, Aurélia, nous, corrige l'étudiant.
— Minah ? questionne sitôt la concernée.
— Régler vos affaires entre frangins. J'ai parlé de Dieu vivant, pas de sac à patates.
— C'est l'expression de ta sœur, non ?
Pendant un instant, je l'ai oublié. Je confirme d'un hochement de tête tout en pensant à Sophie. Devrai-je lui raconter que j'ai passé la soirée du 25 en compagnie de son Dieu vivant ? La réponse claque sitôt dans mon esprit. Non. Ce moment, il est pour mon père et moi. Si ma sœur souhaite s'approcher de Mike, qu'elle se débrouille.
Aurélia toussote, me faisant revenir dans le présent.
— Si vous n'êtes pas réunis ces prochains jours, vous le fêtez quand ?
Je ne sais pas à quoi ils s'attendaient, mais sûrement pas à cela. Je vois presque Aurélia se saisir d'un stylo pour garder tous ces précieux moments. Elle se retient néanmoins et se contente de rester très concentrée sur l'échange.
— Le soir du nouvel an.
Logique. Noël, la famille, nouvel an, les amis. Ashley me semble vraiment très spéciale. Je n'ai pas envie de la rencontrer.
— Est-ce si étrange ? questionne-t-il.
Sa sœur fait les gros yeux en le fixant. Moi, j'ai déjà ancré mon regard dans le sien. Bon sang, je ne devrais pas agir de cette façon.
— Oui.
Ma réponse sans détour le vexe, avant que Mike ne soupire. Je me dis qu'il interroge la mauvaise personne, je suis loin de savoir ce qui est normal ou non pour un couple. Je connais l'illusion du couple parfait, pas sa réalité.
— C'est une façon différente de fonctionner, tente d'argumenter l'étudiant.
Je ne lui ai pourtant rien demandé de plus et je ne pense que me convaincre moi, soit le plus important. En effet, Aurélia frappe le sol de son pied, mécontente.
— Différente ? Il y a beaucoup de trucs que vous faites, qui sont différents.
Elle insiste tant sur « différent », que je sens presque son venin être craché. Aurélia est cependant maladroite, car son frère pressent déjà que quelque chose ne fonctionne pas, dans cette habitude. Inutile de l'enfoncer.
— N'aimerais-tu pas la voir, en ce jour spécial ?
Passer Noël avec quelqu'un qu'on aime, je trouve ça tellement plus important que tout le reste, y compris la Saint-Valentin (la pire invention à mes yeux !).
Mes propos semblent faire mouche, car les traits de Mike s'affaissent. Il semble désespéré et Aurélia, prête à bondir pour lui remonter le moral. A sa façon, évidemment.
Malheureusement, les probabilités sont contre moi. La mère des deux jeunes nous quémande de descendre pour le repas. Aurélia est la première à se précipiter. Je sens qu'elle a une idée en tête !
Je ne mets que le temps de ma venue pour la comprendre. Bien que j'ai tenté de ne pas me retrouver en face de l'étudiant, Aurélia, elle, a fait tout son possible pour que l'inverse se produise. Mon père se retrouve donc à côté du leur, moi en face du frère et Aurélia n'a personne face à elle. Elle n'en a pas besoin de toute façon. Je vois d'ici son projet de réfléchir toute la soirée au prochain chapitre de son histoire.
Elle l'a d'ailleurs nommée « MinMi ».
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