Chapitre 6

— Je pense qu'après les vacances de Noël, tu n'auras plus besoin de mes services.

Mike s'étonne. Moi aussi. Je l'ai annoncé avec beaucoup plus de facilité que prévu. Moi qui stressais tant pour cela !

— Vraiment ?

Je distingue un mélange d'incertitude et de regret. Moi, je reste confiante. Ces cours doivent prendre fin, pour mon bien. De toute façon, il peut se débrouiller seul à partir de maintenant.

— Oui. On est au niveau troisième à présent. Il reste quelques détails, mais tu apprends vite.

— Tu es étrange, sourit-il.

Même son regard sourit ! Pendant un instant, j'ai cru qu'il me dirait que je suis spéciale. Peut-être que le terme est davantage approprié ?

— Normalement, quand on donne cours, on ne dit pas que son élève est suffisamment fort pour s'envoler de ses propres ailes, explique Mike.

Je hausse les épaules. L'argent ne me parait pas plus important que les gens. Si cela fait de moi quelqu'un d'étrange, et bien soit.

— C'est ma façon de faire, et puis tu es le frère de mon amie.

— Aurélia va d'ailleurs être triste. Elle ne pourra plus te faire lire sa sublime œuvre.

Je souris tout en me levant. Je ne vais pas trop trainer ici. Je ne l'ai pas fait les fois précédentes, ce n'est pas le moment. J'ai pris ma décision.

— Oh elle trouvera un autre moyen ! J'espère qu'elle ne tombera pas en panne d'inspiration pour sa nouvelle histoire.

Nous attendons tous deux du mouvement de sa part, mais elle doit être trop concentrée sur l'écriture pour percevoir nos voix.

Je passe mon horrible veste sur moi et m'apprête à la fermer lorsqu'il me demande :

— Tu as eu des nouvelles de ta sœur ?

Voilà qui me fige. Je lâche la tirette et le regarde. Il semble inquiet, curieux. Je m'attarde un instant sur ses prunelles brunes et me dit qu'elles sont incroyables, ainsi, à la lumière du soleil. La couleur qui en temps normal est si foncée, s'est éclaircie.

— Malheureusement, pas celles escomptées, soupiré-je. Le mari de ma mère souhaite l'emmener en week-end sans intrus et donc, elle a tenté de m'ordonner de convaincre mon père d'accepter ma sœur ce laps de temps. Comme je l'ai purement ignorée, elle est passée par Sophie.

Je revois encore les caractères dans mon esprit. Sèche et directe. Pas de s'il te plait, pas de merci. Juste sa requête. Cette femme va toujours droit au but, sans détour.

— Tu l'as aussi ignorée ?

— Je lui ai répliqué que j'étais désolée, mais que j'allais faire tout l'inverse.

J'ai également précisé à ma mère que je laisserais Sophie sur le pas de la porte, si elle s'avisait de partir. Mais ce n'est pas à dire cela. Mike a déjà l'air suffisamment choqué, je ne vais pas en rajouter une couche.

— Tu détestes ta mère ?

— Oui.

Son visage se tend et je me sens obligée de me justifier, comme si son jugement est important. Il l'est peut-être devenu. Car je déteste parler de ma mère.

— Mes parents ont divorcé juste après la naissance de Sophie. Tout ce qu'elle a connu, c'est le divorce. Moi, j'avais huit ans et la séparation, je l'ai mal vécue. En grandissant, j'ai toujours davantage détesté son nouveau mari et son argent. Il aime la beauté de ma mère et la richesse, rien d'autre. Il achète ma sœur et ça le rend fier de lui-même. Avide, hautaine, méprisante, ma mère est tout ça et elle le transmet à Sophie. Elle a essayé avec moi, mais j'ai jeté les cadeaux et les belles promesses. Elle m'a traitée de déchet. Elle ne m'appelle que pour soudoyer mon père ou me refiler Sophie, comme si elle n'était qu'un animal. Ma mère n'aime qu'elle. Alors, oui, je la déteste.

J'ai finalement rajouté une couche à une surprise déjà bien mauvaise. Néanmoins, je ne dis que ma vérité, celle qui me suit chaque jour. Je déteste ma mère, même si je continue de l'appeler maman. Un jour, elle l'a été, puis l'or a détourné son regard de moi et elle a changé.

— Je sais que ça parait toujours un peu bizarre pour les autres. Qu'en général, il est difficile de croire qu'il n'y a aucun amour caché. Donc, ne t'en fais pas si tu ne comprends pas, moi, je comprends ta réaction.

Il secoue la tête, comme pour se ressaisir, puis plonge son regard dans le mien. Depuis que Sophie l'a nommé le Dieu vivant, j'y pense souvent en le voyant. Elle n'a pas tout à fait tort. Comment peut-il avoir des yeux si beaux ?

— Tu oublies que ma sœur est une écrivaine très douée.

Je hausse un sourcil ; je ne m'attendais pas à une réplique pareille.

— Je me suis toujours demandé d'où elle avait puisé son inspiration et je crois avoir ma réponse.

Je me contente de soupirer. Venant d'elle, il ne sert à rien de s'énerver. Aurélia ne peut pas s'empêcher d'écrire. C'est sa vie et c'est bien pour cela que je lui souhaite de réussir de tout cœur. Soudain, je l'avise, assise sur les escaliers menant à l'étage. Elle nous épie, c'est évident.

— Je peux savoir ce que tu fais là ?

Elle bondit sur ses pieds et s'exclame :

— Voilà le rapprochement que j'attendais !

Parle-t-elle de son histoire ou de la vie réelle ? Ce n'est pas tout à fait la même chose.

— Et là...

— Minah explose de rage et va déchiqueter son amie en mille morceaux, la coupé-je en croisant les bras.

Elle déglutit et laisse échapper un rire gêné. Tellement craquante !

— Ok, je ne te raconte rien. Mais tu devrais lire, l'histoire est géniale.

— Je n'en doute pas, tu t'inspires des bonnes personnes.

Elle sourit grandement. Elle est trop mignonne ! Je n'ai pas le loisir de m'y attarder, son frère me pousse vers la sortie.

— La tête d'Aurélia va finir par exploser sous les idées.

Je ris en pressant le pas. Arrivé, à la porte, il s'arrête et je le salue en enfonçant mon bonnet sur la tête. Je sens déjà le froid me mordre le cou.

Je ne fais que quelques pas qu'il me hèle.

— Tu veux que je te ramène ?

— La marche réchauffe, plaidé-je.

Même si je n'aime pas être gelée, les promenades me font sentir plus vivante. Il faut juste un peu souffrir, avant d'en ressentir les effets.

— Bien sûr qu'il te ramène ! intervient sa sœur.

Ni une ni deux, Mike se retrouve devant la porte close, veste en main. Sa sœur vient tout bonnement de le jeter dehors. Visiblement, les quelques secondes seule au pas de l'escalier lui ont donné quelques idées. Et elle a confondu « accompagner » avec « ramener ».

— Je rêve, murmure le frère tout en mettant son manteau.

Nous fixons tous deux la porte, comme si Aurélia allait l'ouvrir et plaider la blague. Aucune chance que cela n'arrive. Elle n'a pas tout à fait quitté son monde.

— Que fait-on ? questionné-je lorsqu'il m'a rejointe.

— Elle doit s'attendre à ce qu'on abdique en raison du froid.

— La connaissant, elle nous harcèlera de question juste après.

Nous échangeons un regard complice. Nous ne nous connaissons pas tant que cela, mais Aurélia, elle, n'a aucun secret pour nous.

— Sauf qu'elle n'obtiendra rien de moi, affirme Mike.

— Et de moi non plus. Sauf qu'elle le sait. Donc...

— Elle compte nous filer dès qu'on aura disparu.

— On l'enferme dehors à notre place ?

Cette possibilité est tentante. Aurélia pourrait ainsi devenir une héroïne, comme dans ses bouquins ! Pas sûre en revanche, qu'elle apprécie beaucoup.

En attendant qu'on ne se décide, mes doigts se frigorifient lentement, parce que j'ai bêtement oublié mes gants. Puis, tandis que nous débattons intérieurement, une voix se manifeste juste derrière nous.

— Mike ?

Ni une ni deux, nous nous retournons pour découvrir la maman des deux étudiants. C'est parfait !

— Oh Minah ! Tu es venue voir Aurélia ?

Autre regard complice avec Mike.

Nous lui expliquons alors brièvement la situation et la maman soupire en traitant ses enfants d'idiots. Fiers et en grande pompe, nous pénétrons à nouveau la maison. Aurélia se fait toute petite, se contentant d'un petit mouvement de la main afin de nous saluer. C'est ça, joue les innocentes !

— Tu es incorrigible ! la réprimande sa maman. Toi et ton frère, j'ai l'impression que vous avez toujours douze ans, soupire-t-elle ensuite. Raccompagne ton amie.

L'ordre donné, la jeune fille de 21 ans s'exécute. Déjà prête -elle comptait bel et bien nous suivre- elle se dirige vers la sortie, tête basse. Je salue tout le monde, puis la suis. Une fois passé le pavillon de maisons, j'explose de rire.

— L'arroseur arrosé !

— Ça va, ça va, bougonne-t-elle en rentrant sa tête un peu plus dans son manteau.

Le ciel est déjà noir et cela sent la neige. J'espère qu'il neigera pour Noël, parce qu'un Noël blanc est bien plus joli. J'espère aussi que Sophie sera avec nous, pour une fois. Mais il y a peu d'espoir. Chaque année, ils partent au ski.

J'expire suffisamment longtemps pour faire apparaitre de la vapeur et je l'admire monter vers les nuages. Ça l'air si simple, si beau, si léger.

— Tu aimerais pouvoir t'évader ? s'enquit Aurélia.

— M'évader où ?

— Je ne sais pas... Dans un endroit où tu serais très jolie, même habillée comme une mendiante ?

Je pouffe en tentant d'enfoncer encore plus mes mains dans mes poches. Je n'aurais pas dû oublier les gants !

— Je suis très jolie, même habillée de façon catastrophique.

— Si on aime les paillasson... déclare mon amie avant que nous rions ensemble.

Puis, je me stoppe, tête levée vers le ciel.

— J'aimerais pouvoir m'évader dans un endroit où mes parents n'auraient pas divorcé, où ma sœur serait toujours avec moi et où, moi aussi, je connaitrais le bonheur des jeunes adultes.

Je baisse la tête en soupirant.

— Mais je crois que j'en demande trop.

Nous reprenons la marche et Aurélia passe un bras sous le mien.

— Tes parents ne se remettront pas ensemble, ça c'est sûr. Pour ta sœur, on peut la faire revenir de temps en temps et pour l'amour... je croyais que ça ne t'intéressait pas ?

Sourcils froncés, elle me dévisage. Il est vrai que je lui ai toujours tenu ce discours et qu'au moment où j'ai changé d'avis, elle n'était pas présente. Puis, lorsqu'elle a eu plus de temps, j'avais déjà repris mon opinion de départ. Après un an, je n'ai toujours pas eu le courage de lui raconter quoi que ce soit.

— Sophie n'a pas tort sur tout et ce n'est pas l'amour envers quelqu'un que je souhaite, c'est me sentir aimé.

— Moi je t'aime !

— Je sais, je sais. Je suis ta muse, surtout en ce moment !

— C'est exact ! Et...

Elle hésite, se mord la lèvre, se perd dans ses pensées, puis saute le pas. Elle me donne l'impression de chuter dans le vide sans parachute.

— Cette histoire de bonheur, c'est à cause de moi ?

C'est à mon tour de froncer les sourcils. Pourquoi serait-elle impliquée ?

— Je sais que tu n'aimes toujours pas mon idée de Mike et toi, mais j'écris quand même et je te donne quelques infos et tu sais que je...

— Aurélia, tu n'y es pour rien. C'est tout un tas de trucs mis bout à bout.

J'espère surtout qu'il s'agit d'un signe que la page est tournée. Je n'y crois cependant pas trop.

— Ok, je suis à demi-rassurée.

— Pourquoi à demi ?

— Ben, y'a les 50% du « tas de trucs ».

Je secoue la tête. Incorrigible ! Mais c'est bien pour ça que je l'aime. Elle vit à fond, ne se retourne pas et croit en ses rêves. Moi, je suis le cours d'eau, regrette tant de choses et ne croit pas aux espoirs futurs. A la fin de l'année, je serais diplômée -sans trop de difficultés- et je n'ai aucun intérêt pour les ressources humaines. Il me faut juste rapidement un travail, pour pouvoir aider mon père. Enfin.

Aurélia se mord la lèvre inférieure, concentrée. Elle semble réfléchir et se perdre dans ses pensées. Puis, elle affronte une seconde mon regard et lance :

— Dis Minah, tu peux me répondre franchement ?

— T'ai-je déjà menti ?

Ma réponse est rapide, franche. Je n'ai pas de doute sur cela.

Elle fait mine de réfléchir avant de poser sa question.

— Mon imbécile de frérot, tu le trouves comment ?

Nous arrivons devant chez moi et je me détache d'elle afin de pouvoir la regarder. Je ne pensais pas qu'elle finirait par me poser la question. J'étais persuadée que, trop perdue dans sa fiction, elle oublie le présent. J'ai eu tort. Aurélia est loin d'être aveugle.

— Il a des atouts.

Elle retient son souffle, ses joues se gonflent.

— Un peu trop, en fait.

Mon ajout la fait dégonfler, faute de pouvoir crier. Je ne sais pas si elle est contente, désespérée ou extrêmement triste pour moi. Au choix, je pense. Pour une fois que j'avoue très clairement être intéressée par quelqu'un, ce quelqu'un se trouve être le frère d'une amie et avoir déjà une petite-amie, à laquelle il s'accroche. Génial, comme tableau. Les probabilités sont de mon côté.

— C'est pour ça que tu arrêtes les cours ?

C'est ma conversation avec mon père qui m'a ouvert les yeux. Mike est en couple, point. Je passe mon tour. Je refuse de pouvoir être mêlée à une séparation.

— En partie. Mais la raison principale reste qu'il est totalement capable de se débrouiller sans moi maintenant et s'il a besoin d'aide temporaire, il a mon numéro.

Pour la bonne conscience uniquement. Je ne suis que l'étudiante qui lui permet de progresser et d'atteindre son but. Je remplis ma mission jusqu'au bout. Si seulement ma tête se contentait de cela.

— Il faudra lui préciser, sinon il n'osera pas. Ce boulet a toujours peur de déranger.

— C'est noté.

Aurélia continue de me dévisager, ne sachant pas trop quoi me dire. Mise en garde ? Désolée ? Je crois en toi ? Baisse les bras ? Sa position n'est pas facile. D'un côté son frère qui a une copine, de l'autre son amie qui s'intéresse à son frère. Bon début d'histoire, non ? Cela devrait l'inspirer pour sa fiction.

— Ça fait partie du « tas de trucs » ?

Absolument. Si son frère n'était pas aussi parfait, je ne penserais pas à lui en croisant un couple.

— Je suppose.

Mon amie expire longuement et lorsque son regard se pose à nouveau sur moi, sa détermination me fait vaciller. J'ai raté quelque chose ?

— Je suis sûre de rien, ok ? se lance-t-elle.

Je hoche la tête. Quelle bombe va-t-elle m'annoncer encore ? Une autre probabilité improbable ?

— Le casse-pied, il suit de très près votre fausse histoire.

Je l'ai déjà compris, donc rien de surprenant pour le moment. Il voit cela comme un amusement.

— Il y va de son commentaire à chaque truc qu'il se passe.

Un peu plus étonnant. Je ne pensais pas qu'il était un lecteur actif. C'est bizarre de commenter un élément de sa propre vie, non ?

— Et tu sais, la dispute ultra violente avec sa copine ?

Nouvel hochement de tête. Comment l'oublier ?

— Ben, c'est à cause de moi.

Aurélia n'a même pas l'air désolée. Et pourtant, elle s'est inquiétée à ce sujet !

— Je l'aime pas et je lui ai balancé le lien. Elle a tapé sa crise de jalousie puissance cent et j'ai même dû lui souligner précisément les phrases inventées et celles qui ne le sont pas.

Très vilain défaut la jalousie ! Ce genre de comportement, c'est bon pour conduire à la séparation. Néanmoins, son frère l'aurait déjà fait, s'il y voyait un inconvénient.

— Tu te doutes que vu le regard de l'emmerdeur, j'ai plaidé l'imaginaire à 200 %.

Evidemment. Mike tient à elle et ne risquerait pas son couple pour la professeure particulière, sortie de nulle part.

— Mais ça reste froid entre eux, un peu comme la météo d'ailleurs. Enfin bref, ce que je veux dire c'est que depuis la dispute, le boulet, il se la ramène moins avec Ashley.

Est-elle en train de m'expliquer gentiment que son frère se détache de sa bien-aimée ?

— J'veux pas être une briseuse de couple, Aurélia.

S'attirer les foudres de l'ex ? Très peu pour moi !

— C'est pas le cas, parce qu'ils sont toujours ensemble.

Elle contient difficilement une grimace.

— Mais si tu continues, alors oui, c'est possible.

Possible ? J'aime les Maths, mais les probabilités n'ont jamais été de mon côté.

— Il a parfois des regards, des phrases, des...

Elle hésite et cherche ses mots. Improbable. Aurélia a les mots dans le sang, ils ne peuvent pas lui échapper.

— Bref, mon frère, il commence à agir différemment avec toi. Et ne t'en fais pas, ça, ce ne sera pas dans mon histoire. Ce débile y est célibataire.

Encore heureux !

— Vivement la fin des cours, soupiré-je.

Je n'aime pas les histoires compliquées.

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