Chapitre 5
Je suis à l'extérieur lorsqu'Aurélia arrive. Elle me fait lâcher ma veste, pour me la poser sur mon dos. Le froid ne m'atteint pas, pour une fois.
— Ta sœur ne le pensait pas vraiment...
Tandis que je sanglote, je me dis que même mon amie n'y croit pas. Bien sûr que Sophie pensait chaque mot qu'elle a prononcé. Elle est formatée par de très bons ordinateurs ! C'est bien pour ça que j'ai suivi mon père. J'ai fait des pieds et des mains pour que ma mère supplie le juge de donner la garde à mon père. J'ai pris une année, mais j'y suis parvenue. Depuis, je vis avec mon paternel.
— Bon d'accord, elle le pensait, mais elle est simplement jeune.
— Mon balai dans le cul ne peut pas lui être compréhensible, dis-je entre deux sanglots.
Aurélia sourit. Je tente de me réconforter devant ses joues qui la rendent si attendrissante. Je m'y accroche de toutes mes forces. Je dois penser positif.
— Et puis tu sais, t'as un style différent, mais tu es jolie.
Mon nez est sans doute rouge, tout autant que mes joues parsemées de larmes. Je doute fort de ce fait en cet instant.
— Ok, là tu n'es pas jolie, confesse-t-elle. Tu es horrible pour être honnête, mais c'est normal. Il n'y a que dans les films que les filles qui pleurent sont belles.
— Et dans les histoires.
— Et dans les histoires, confirme-t-elle.
Je sèche mes larmes, tout en sachant que je ne peux pas encore m'arrêter. Puis je m'adosse à la vitre en verre du centre-commercial. Je décide d'enfiler correctement cette veste pour ne pas tomber malade. Il fait vraiment très froid, finalement.
— Je me fiche pas mal d'être moche, c'est le fait qu'elle pense tout ça qui m'attriste. Elle l'a dit avec tant de colère et de sincérité.
Je revois sa détermination et son regard si franc. Sophie m'en veut et malgré les années, je n'en comprends pas les raisons.
— Toi et Mike, vous vous disputez souvent et tu le dénigres pas mal, mais vous vous aimez quand même. Sophie et moi... j'ai juste l'impression qu'on se déteste. Je sais que ce n'est pas entièrement sa faute, qu'elle a des circonstances atténuantes, mais comment veux-tu que j'encaisse tout le temps ses méchancetés gratuites ? Même envers vous, je me sens mal.
Aurélia face à moi soupire en passant une main sur sa nuque. Elle est bien gentille de ne pas avoir pris la tangente. Elle vit dans son monde la plupart du temps, mais elle n'hésite pas à l'abandonner pour faire face à la réalité. Aussi hideuse soit-elle.
— Ben, c'est vrai qu'elle a pas été d'une tendresse infinie, mais on est différent du milieu dans lequel elle grandit. Ces choses-là se disent dans le dos des uns et des autres.
— Sauf qu'elle a pris la franchise de mon père avec ça ! Si personne ne le sait, c'est bon, mais elle le crie sur tous les toits !
Aurélia s'avance d'un seul coup vers moi et me pince les joues très fortement.
— Oh tu es trop mignonne Minah ! Tu pleurais parce que tu t'inquiètes pour elle, non ?
Je grogne et elle s'éloigne, sans perdre son immense sourire. Elle est comme ça. Directe et si positive.
— Tu vois, vous aussi vous vous aimez. Ce n'est juste pas de la même manière que Mike et moi. Je pense qu'elle aussi s'inquiète simplement pour toi. Elle n'a peut-être pas trouvé d'autres moyens de l'exprimer que celui-ci.
Je ne fais pourtant que de lui tendre des perches ! J'essaie de lui montrer l'exemple, mais j'ai l'impression que cela lui passe au-dessus de la tête.
— Peut-être.
Je souffle et cela produit de la vapeur d'eau. Si seulement tout était aussi simple que le cycle de l'eau. Pourquoi a-t-il fallu que Sophie et moi vivions loin l'une de l'autre ? Cela résoudrait nombre de mes problèmes.
Aurélia sort son téléphone puis me demande :
— Ok pour toi ?
Je hoche la tête et nous retournons à l'intérieur. Je n'ai fait que quelques pas que je me fige et pose un regard accusateur sur mon amie.
— Aurélia, on est d'accord, cet événement n'apparaitra pas dans ta fiction ?
Elle sourit et l'auréole au-dessus de sa tête resplendit. Seulement, je vois clair dans sa bouille trop craquante.
— Aurélia !
— Ne t'en fais pas, cela ne se produira pas exactement de la même manière. Il y a aura une amie à Sophie pour commencer et Mike te suivra toi, plutôt que ta sœur. Ça fait carrément plus romantique. Et bien sûr, les propos de ta sœur ne seront pas aussi vénéneux et je vais changer son nom aussi, elle vivrait mal la célébrité et...
— J'ai compris, j'ai compris, la fais-je taire.
Je me suis promis de ne rien demander à propos de cette histoire.
Nous reprenons la marche avant que leurs deux silhouettes n'apparaissent dans mon champ de vision.
— A ton avis, Sophie tient la main de Mike parce qu'elle est toujours dans son délire du Dieu vivant ou parce qu'elle a peur ?
Aurélia fait claquer sa langue.
— Purée mais c'est vrai que d'ici, on dirait un dieu ce boulet !
Est-ce la première fois qu'elle observe son frère ? Son regard aurait dû la frapper depuis longtemps !
— C'est de famille, ne t'inquiète pas.
Elle sourit avant de froncer les sourcils.
— Et si c'était lui qui lui tenait la main pour ne pas qu'elle soit méchante ?
— Une espèce de pouvoir de persuasion ?
— Hé, pas mal !
Je lève les yeux au ciel avant de m'avancer. Je me dis que peut-être, pour une fois, Sophie va faire un effort. Mes espoirs se brisent lorsqu'à l'arrivée, elle me toise furieusement. Bon, notre relation pour aujourd'hui est morte. Pour son anniversaire, je ne me fais pas trop de soucis : super Fabrice va bien lui trouver un cadeau pour lui faire oublier tout ça.
Plusieurs heures plus tard, après avoir raccompagnée en bus ma sœur chez elle, je m'écroule sur mon lit. Le trajet a été froid et hostile. Je n'ai fait aucun effort, elle non plus. J'ai l'impression d'être dans un cercle sans fin à son sujet. Face à sa vision de la vie, je ne sais plus comment réagir. Et y entrer, c'est hors de question. J'ai fui cet environnement, il y a onze ans à présent, ce n'est pas pour y replonger. Je repense alors à Mike et Aurélia. Si Sophie et moi avions grandi entourées de parents aimants, aurions-nous été comme eux ? Aurions-nous pu parler sans crier ?
Je soupire, puis me saisis de mon portable et rédige le même message à Aurélia et son frère. Mon dernier souvenir de lui n'est pas fameux. Je le revois, le visage inquiet, indécis sur le comportement qu'il doit avoir. Lâcher Sophie ou non ? Je ne vais pas la maltraiter, bon sang. Si lui a l'habitude des récits de sa sœur, moi, j'ai l'habitude des excès de colère de la mienne.
Je soupire une nouvelle fois et me décide à appuyer sur la touche « envoyer ».
Navrée pour tout ça. C'est toujours un peu compliqué entre elle et moi.
P.S : Aurélia, je compte sur toi pour ne reprendre qu'une base minime d'aujourd'hui. Mike, tu es témoin.
J'envisage un instant d'envoyer un message de pardon à Sophie également, mais décide que non, elle ne le mérite pas. A ce moment, j'entends le garage s'ouvrir et me précipite au salon en attendant mon père. Il franchit la porte d'entrée quelques instants plus tard. Je lui saute au cou en lui disant combien je suis triste aujourd'hui.
— Ça s'est mal passé avec ta sœur ?
Il a toujours été super perspicace.
— Elle m'a dit que j'avais sale caractère.
Mon père rit doucement tout en tapotant mon dos de sa main.
— Ça, c'est ma faute.
Si Sophie a pris de maman, moi, j'ai hérité de papa. On est tous d'accord là-dessus.
— Et que j'étais moche.
— Elle verrait ton potentiel, si tu la cherchais parfois avec tes habits du dimanche.
Je me détache de lui et lève les yeux au ciel. Mon père cherche toujours à ce que je m'habille différemment. Avec des jupes et des robes. Alors qu'il me regarde bizarrement dès que je mentionne le nom d'un garçon ! Peut-être qu'il a de très bonnes raisons de se méfier, mais quand même.
— Ils ne s'appellent pas « habits du dimanche » pour rien.
— Tu n'as qu'à passer la prendre un dimanche.
Voilà qui apporte une solution concrète à notre problème. Enfin, son problème. Pour ma part, je préfère mes jeans et mes vieux pulls bien chaud.
— Tu pourrais prendre la voiture en plus.
— Je n'aime pas conduire, grimacé-je.
Je suis donc bien contente de ne pas avoir de véhicule à mon nom.
— Je ne peux rien faire pour toi, dans ce cas. Ta sœur te croira éternellement laide.
Je ris tout en me disant que ma relation avec lui est incroyable. Il parvient toujours à me dérider d'une situation qui me blesse.
— Que mangeons-nous ce soir ? quémande-t-il en se dirigeant à la cuisine.
Je fais mine de réfléchir, puis lance :
— Des pâtes ?
— Ah l'étudiante a parlé !
Nous rions ensemble, puis nous nous regardons. « Va-t-on vraiment se fatiguer pour de simples pâtes ? » semble-t-on se questionner. A l'unisson nous décrétons que ce soir, ce sera sandwich. Nous en profitons alors pour manger devant la télé.
En attendant que le film commence, je jette un œil à mon portable -que j'ai récupéré avant de m'installer. J'ouvre en premier le message de mon amie.
Ça s'est pas arrangé sur le trajet ?
P.S. : T'inquiète, je prends que ce qu'il me faut. N'hésite pas à décrire avec précision !
Je lui réponds :
Pas du tout. Zéro parole. C'est assez précis ? (de toute façon, tu n'auras pas mieux, ok ?)
Ensuite, je fronce les sourcils à la vue du message à Mike.
Aucune excuse requise, Aurélia a pris une mauvaise décision en nous impliquant. C'était... explosif, en effet. Elle était différente sur le retour ? Elle regrettait ce qu'elle a fait. Elle ne se rendait pas compte que certaines choses font plus mal que d'autres. Tu lui en veux ?
J'espère que toi ça va. (Mange un peu de glace, ça réconforte toujours :p)
P.S : Témoin accepté. En cas de trop grandes similitudes, je te contacte !
P.S 2 : Cours mardi soir, toujours ok ?
Elle regrette ? Ce n'est pas du tout l'impression qu'elle m'a donnée ! Une humeur massacrante n'est pas ce que j'appelle se repentir.
Pas de changement de sa part, merci d'avoir essayé. Je pense que c'est juste une habitude trop présente pour qu'elle progresse aussi rapidement. Je vais la laisser mariner. De toute façon, je ne crois pas que voir sa tête me consolera pour le moment.
Ça va, mon papa est génial :D (Je préfère les chocolats chauds, et puis l'hiver est bien là :S)
P.S : Merci, témoin.
P.S 2 : Cours ok pour moi.
— Tu parles à qui ? m'interroge mon père.
Lorsque je disais qu'il était contradictoire sur ce sujet, je ne mentais pas !
Installé sur le sofa en face de moi, il me toise légèrement.
— Le frère d'Aurélia.
J'essaie de me rappeler si je lui ai déjà parlé de lui, mais il est plus rapide que moi.
— Celui à qui tu donnes cours ?
Donc oui, j'ai mentionné ce fait-ci.
— Ouaip, c'est ça !
— Prochain cours ? questionne-t-il espiègle, sourire en coin.
Je connais cette expression, ce n'est pas bon signe ! Il a eu la même l'an passé.
— Mardi.
Je me contente du strict minimum, espérant échapper à ses insinuations. Mon père est encore plus redoutable qu'Aurélia, bien qu'il ait une technique ultra différente. Lui, il aime les vérités cachées.
— Matin ?
Je grogne en tentant de me fondre un peu plus dans le canapé. C'est un peu raté, je dois avouer. Mon père darde toujours ses yeux accusateurs sur ma personne. Et je ne cesse d'imaginer l'histoire d'Aurélia. Ça n'aide pas à le convaincre, car en y pensant, je suis perturbée. Et être perturbée pour mon père, cela signifie qu'il y a anguille sous roche.
— Fin d'après-midi.
Le cours débutera à 17 h, il se terminera donc en début de soirée à 19 h. Mais motus et bouche cousue ! Cela paraitrait trop suspect à mon paternel.
— Hum ?
Le film commence et je m'exclame qu'il a l'air génial. Je fais diversion en somme. Bien évidemment, c'est un échec total face à l'invaincu David.
— Tu ne m'as jamais montré de photo.
— Je ne l'ai pas en ami sur Facebook.
Bien sûr, j'ai fait mes recherches, mais il met à jour son profil aussi souvent que je consulte le mien, c'est-à-dire : une fois par an. Il a bien mentionné être en couple, mais aucune autre information supplémentaire n'est en ligne.
— Je suis peut-être vieux, mais je sais comment fonctionne les réseaux sociaux.
— Tu pourras donc consulter sa page, sans mon aide.
— Donc tu y as jeté un œil.
Il m'a piégée ! Je soupire avant de me tourner vers lui.
— Il sort avec une certaine Ashley, ne crains rien.
Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Peut-être parce que je l'oublie très souvent. Voilà que je réponds à mes propres interrogations, n'est-ce pas merveilleux ?
— Cela n'empêche rien.
— Hé, tu ne m'as pas élevée ainsi !
Mon père rit, avant de me jeter un coussin à la figure.
— Je te taquine, c'est bon !
Pourtant, je sens que derrière ce sourire se trouve une part de vérité.
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