Chapitre 4
— Becca m'a dit que vous vous étiez disputés. Ça va mieux maintenant ? interroge Sophie.
Instantanément, je repense au cours annulé, deux jours auparavant. Je suis arrivée chez eux et à la tête d'Aurélia, j'ai su que je pouvais faire demi-tour. « Désolée, il est au téléphone depuis plus d'une heure et... ça m'a l'air d'être un gros problème. » m'a-t-elle dit. Je suis partie en lui souhaitant courage. Je n'ai rien contre Ashley, je ne la connais pas. Pour le moment.
Une nouvelle fois, les yeux de Mike s'écarquillent. Personne ne peut s'attendre à autant d'audace de la part de ma sœur. On voit presque l'auréole avant qu'elle n'ouvre la bouche.
Puis, satisfaite de l'expression de son frère, elle souffle de soulagement, même si je pense qu'il ne faut pas se fier à son air détendu.Aurélia déglutit en jetant un œil à son frère. Sujet sensible ?
— Je suppose que Becca est ton espionne ?
— On peut dire ça. Elle m'a rapporté qu'Ashley était rentrée furax. Elle a jeté ses affaires dans sa chambre en criant. Becca n'y a rien compris. Puis, elle a téléphoné et ma copine a écouté aux portes.
Heureusement, Sophie n'a pas besoin d'agir de cette façon, je ne lui en laisse pas l'occasion. Le fait de ne pas se voir régulièrement aide.
— Je suppose qu'entre frangins, c'est naturel, avance Aurélia.
L'espionnage, elle connait ça aussi ! Et Mike également. Pas moi. Je ne vois pas suffisamment Sophie pour prendre le risque de tout gâcher.
— Minah rentre dans une colère noire à chaque fois, me reproche ma sœur.
C'est légitime, non ? Elle fouille dans MES affaires et je devrais la féliciter ? Je suis sûre qu'elle n'aurait pas le même discours en inversant les rôles.
— Tu te mêles toujours de ce qui ne te regarde pas.
Un défaut de ma mère. Constamment à parler sur tout le monde. Elle en oublie souvent de regarder devant sa porte.
— Tout le monde fait ça, plaide ma sœur.
Tout son monde. Pas le mien.
— Tous tes amis.
— Qu'est-ce que tu as contre eux ? grince Sophie.
Elle me lance un regard noir et je sens que je dois ravaler le fond de ma pensée. La limite de ma sœur est atteinte.
— Rien. Je vais aux toilettes.
Sans plus tarder, je m'éclipse. Une fois à destination, je me rince le visage, espérant faire disparaitre ce que ma sœur pensait réellement. « Au moins, j'en ai moi. » Certes, je ne suis pas entourée de dix mille personnes, mais les quelques amis que j'ai me suffisent. Je sais qu'eux me sont fidèles et que si un jour je les appelle, ils viendront. Je ne suis pas certaine qu'elle puisse en dire autant.
Je fixe mon reflet dans le miroir. Mes cheveux et mes yeux bruns me viennent de mon père. Je les déteste parfois. Je suis commune et mon physique en rajoute une couche, tout pour déplaire au monde de ma mère. Je me souviens de leurs remarques acerbes. De leur incompréhension face à la beauté exceptionnelle de ma parente. Je n'ai aucun de ses traits et tant mieux. Moins je lui ressemble, mieux je me porte.
Je grimace, non pas à cause de mon reflet, mais parce que je n'ai pas envie d'y retourner. Le ton cassant de ma sœur est fatiguant à la longue. Je dois sans cesse me justifier et prendre garde aux mots que j'emploie. De l'autre côté, laisser mon argent de poche et mon amie en compagnie du démon me déplait. Sophie va continuer de cracher sur les autres, avec ou sans moi. Aurélia aurait dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler et j'aurais dû prétexter que ce dessert était impossible. Cela aurait mieux valu pour tout le monde.
Prenant mon courage à deux mains, je retourne parmi eux. Lorsque je me rassois, Sophie m'ignore royalement et un vent glacé semble souffler. Cela m'est familier et c'est inquiétant.
— J'espère que ça s'arrangera vite. Ashley et toi, vous êtes trop beaux ensemble.
Ma sœur est donc capable de compliments, quelle prouesse. Le fait que ce soit pour la gente masculine ne m'étonne guère. Ma mère ne jure que par cela. Bon sang, elles se ressemblent tant. Sophie a les mêmes yeux verts et la même chevelure noire. Le contraste est sublime et en grandissant, elle fera des ravages ! Ma mère en faisait aussi, plus jeune. Elle était tellement belle, le jour de mon huitième anniversaire.
— Merci, sourit Mike.
Il n'a pas l'air très impatient. Ashley est pourtant sa copine, non ?
— Tu as un petit-ami, Aurélia ?
Celle-ci prend la peine de bien mâcher son morceau de brownie avant de répondre.
— Nan, je trouve personne qui m'inspire.
Fidèle à elle-même ! Même si je la soupçonne de mentir. Il est certain qu'elle a eu ou qu'elle en pince pour quelqu'un. Il y a une dizaine d'écrits avec un mystérieux Paul. Je lui ai posé des centaines de questions à ce propos, mais elle n'a jamais daigné m'apporter de réponses convenables.
— Ce sera compliqué pour toi de toute façon, tu es trop jolie pour la plupart d'entre eux.
Un deuxième compliment, et pour une fille ! Ai-je sous-estimé ma sœur ?
— Merci.
Évidemment, maintenant que ma voisine est sur la voie de l'entente, elle doit replomber l'ambiance. Je ne sais pas comment ses amis arrivent à la supporter plus de deux heures. Je ne suis assise que depuis une heure et j'ai déjà envie de la ramener.
— Minah, elle est trop moche et son caractère n'arrange rien.
— Je ne suis pas maman, navrée de te décevoir.
Je ne sais même pas comment je parviens à rester calme.
— Ça, c'est sûr ! Ton regard brun caca n'a rien à envier à ses beaux yeux verts et tu manques clairement de délicatesse.
— Parce qu'il est évident que toi, tu es délicate comme une rose.
— Moi, je m'épanouis.
Bon sang, c'est quoi cette discussion.
— Toi, tu as raté le coche, assène Sophie. Tu as pris la mocheté de papa.
Je me lève brusquement en reculant ma chaise. Le bruit calme l'ensemble des personnes présentes et nous devenons l'attention principale. Sophie doit être ravie, elle qui aime tant qu'on braque les projecteurs sur elle ! Cette fois, elle va trop loin.
Je m'efforce de me concentrer sur elle, et non sur Aurélia ou son frère. Je me tiendrais à ma décision.
— Prends tes affaires, on rentre.
Je ne plaisante pas le moins du monde et elle me connait suffisamment pour le savoir. Sophie se lève à son tour et me défit. Son regard se braque sur le mien, l'air de me dire « cause toujours ».
— Je n'ai pas pris le bus pour que tu m'insultes. Tu as eu ton cadeau, on s'en va.
Du coin de l'œil, je ne peux m'empêcher de noter la main d'Aurélia qui se pose sur celle de son frère. Elle sait que ce n'est qu'entre Sophie et moi. Elle sait à quel point l'intervention des autres me mine. Quoi que je fasse ou dise, je finis toujours par être la méchante de l'histoire.
— Ce n'est pas ma faute si tu n'aimes pas la vérité.
— La vérité a plusieurs facettes, Sophie. Je me tue à te le faire comprendre.
Elle reste campée sur ses pieds, le regard menaçant. Qui croit-elle être, bon sang ? Elle a douze ans et agit comme si elle était une princesse ! Je ne suis ni ma mère, ni Fabrice. Je ne céderai pas.
— Maman m'a toujours dit de ne pas te ressembler.
Quand va-t-elle fermer sa bouche ?
— Maman ou Fabrice ?
Quand vais-je fermer la mienne ? Je serre déjà les poings pour ne pas la gifler et la forcer à me suivre. Si seulement j'étais un peu plus comme maman. Il lui suffisait d'un regard pour me calmer.
— Les deux. Ils veillent à ce que je sois différente de toi et de ton balai dans le cul.
Les mots sont forts. Crus. Sophie a toujours été ainsi. C'est une effrontée, qui ne connait de limite que sa volonté.
— Violent, murmure un jeune derrière moi.
Je confirme à moi-même. Sophie agit ainsi avec moi, dès qu'elle le peut.
— Je préfère avoir un balai dans le cul que...
Le souffle court, je me stoppe. Sophie peut être vraiment odieuse. Vraiment. Pourtant, je ne peux pas lui balancer qu'elle est une peste. Ça la briserait.
— Tu vois, tu n'as pas de contre-argument ! Maman me dit toujours de ne pas trainer avec les faibles comme toi. Je devrais...
— Salis Sophie, je te jure que si tu termines ta phrase, je te laisse ici sans me retourner.
Je suis à deux doigts de lui montrer à quel point les coups peuvent faire mal. A quel point on peut souffrir.
— Comme j'ai arrêté de voir papa, peut-être que je devrais arrêter de te voir.
Je me saisis de ma veste et de mon sac, tout en refoulant mes larmes. Pourquoi faut-il qu'elle soit si stupide ? si aveugle ? Pourquoi doit-on avoir tant de mal à communiquer ?
Je lui jette un dernier regard, ouvre la bouche, décide de la refermer. Je n'ai rien à ajouter. Je ne peux rien ajouter.
— Tu n'es qu'une ingrate envers maman, persiste Sophie.
Je me retourne. Aurélia tente de me retenir un instant, mais je me défais de son emprise et sors du salon de thé.
— Petite conne, souffle-t-elle derrière mon dos.
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