Chapitre 3

Ma bouche est légèrement entrouverte, incapable de se décider sur l'action à mener. Est-ce que je dois saluer brièvement, puis déguerpir sans demander mon reste ? Ou faire comme si ce n'était pas étrange de se croiser au centre-commercial ?

— Salut ? finis-je par dire.

J'ai très envie de filer. Il fait froid dehors et, pourtant, Aurélia arrive à garder la classe. Ses bottes montent hauts sur ses jambes et sa jupe droite s'arrête juste avant ses genoux. Son pull a un décolleté en V, mais il m'a l'air doux et chaud. Sa veste est ouverte avec classe. Pourquoi ai-je une amie aussi stylée ? A côté d'elle, je viens du pôle nord. Je porte de grosses bottes fourrées et un jean bien chaud. Ma veste, ouverte parce qu'à l'intérieur je suffoque, laisse entrevoir un pull qui est tout sauf classe. En laine, épais, il me protège du froid en me donnant l'allure d'un patapouf. Ah, les dures lois du froid. Mon amie ne semble pas les redouter.

— Salut, me rend Mike.

Aurélia sourit en me dévisageant, tandis que son frère observe un peu trop ma petite sœur, à mes côtés. Cette dernière passe de Mike à moi, avec de grands yeux ronds. J'ai raté quelque chose, visiblement.

— Attends, Minah, tu le connais ? m'interroge-t-elle.

Elle me semble presque ahurie. Est-ce si étrange que cela ?

— C'est le frère d'Aurélia.

Je ne vais peut-être pas préciser que je l'ai rencontré il y a un mois et demi, je ne suis pas sûre que Sophie en soit rassurée. Celle-ci arrive à arrondir encore plus ses pupilles, puis sa bouche s'ouvre de stupéfaction. Elle se tétanise quelques secondes, avant de se tourner vers moi et de parler plus vite qu'un TGV.

— Tu connais ce DIEU VIVANT et tu ne me l'as jamais dit ?! C'est incroyable ! C'est improbable ! C'est une trahison ! Une vacherie sans nom ! Comment tu as pu me cacher ça, à moi ? Ta petite sœur adorée ?

Je lance un regard au frère et à la sœur, espérant qu'ils aient une réponse que je n'aie pas. Aurélia hausse les épaules, aussi perdue que moi, tandis que Mike attend patiemment que Sophie ait fini ses exclamations enfantines de douze ans. De base, je l'ai emmenée pour lui acheter un cadeau d'anniversaire, mais ça se transforme en apocalypse.

— Je me souviens de toi, la coupe Mike.

Il a visiblement compris que Sophie ne serait jamais à court de mots. Dommage, d'ailleurs. Parfois, je préférerais qu'elle soit silencieuse.

Ma sœur perd de suite son agressivité et admire le jeune étudiant, le regard brillant. J'espère qu'elle ne fait pas une obsession sur lui ou je-ne-sais-quoi, je n'ai pas d'énergie pour la calmer.

— Vraiment ?

— Tu es l'amie de Becca, c'est ça ?

La petite fille se retourne vers moi, incroyablement émue.

— Il se souvient de moi !

Je soupire et décide de mettre fin à ce spectacle incompréhensible.

— Sophie, tu me désespères. Comment vous vous connaissez ?

Car je me demande bien par quel moyen elle a pu rencontrer Mike.

— Becca est la sœur de sa petite-amie, m'explique ma frangine.

— Oh.

Ceci explique cela. Sa remarque me fait également prendre conscience que je ne connais pas tant la vie de Sophie, finalement. Elle évoque parfois Becca, mais je ne me serais jamais douté qu'elle avait déjà parlé à sa sœur et au petit-ami de celle-ci.

— On peut manger le dessert avec vous ? s'enquiert la petite-fille.

Elle tente de m'amadouer avec sa moue attendrissante et son papillonnement des yeux. Je sais cependant qu'elle est une véritable peste ! C'est triste à dire, mais vrai. Sophie et moi, on est le soleil et la lune. Elle a pris de ma mère et moi de mon père.

— Non.

— Oui, affirme Aurélia.

Je la foudroie du regard. Elle connait le caractère insupportable de ma petite sœur, pourquoi accepter ? Je suis fichue. Ce dessert est voué à l'échec.

— Elle est ok, boude ma sœur.

Au moins elle sait que l'autorité, c'est moi.

— Si tu considères que c'est ton cadeau d'anniversaire, d'accord.

Autant faire d'une pierre, deux coups. Bien que je reste persuadée mettre en péril mon amitié avec Aurélia et mes vingt-cinq euros d'argent de poche.

— Marché conclu ! s'extasie-t-elle avant de partir en avant.

Tandis qu'elle court partout, cherchant l'endroit parfait pour discuter, selon ses critères, je soupire. Sophie ne fonctionne que par donnant-donnant, tout comme ma mère. Si je fais ça pour toi, que feras-tu pour moi en échange ? Évidemment, l'inverse n'est pas spontané. C'est d'ailleurs pour cette raison que notre relation est... compliquée. Elle ressemble trop à ma mère, avec qui je ne parle plus depuis le divorce. Devenue trop méprisante à mes yeux, je l'évite au maximum, même quand je viens chercher ma sœur. Malheureusement, plus Sophie grandit, plus elle lui ressemble. Son obsession pour les garçons, l'apparence et l'argent, tout ça lui vient de ma génitrice. Bien sûr, ses fréquentations jouent aussi. Cependant, je reste persuadée qu'en vivant avec mon père, Sophie aurait pu agir différemment. Pour le moment, elle n'est qu'une enfant pourrie-gâtée à mes yeux, qui refuse de rendre visite à son père sans savoir pourquoi. J'ai tenté de la faire changer d'avis, mais ça s'est toujours transformé en claquement de porte et injures. J'ai fini par laisser tomber, en apparence, tout du moins.

— On mange ici !

Je vérifie que mes deux compagnons de route sont d'accord, puis la suis dans le salon de thé. Elle se choisit un coca et une part de tiramisu et moi de cheesecake. Aurélia et Mike optent tous les deux pour des brownies. Au moins, ils partagent les mêmes goûts. Qu'avons-nous en commun, Sophie et moi ? Les mêmes parents ? Je n'en suis pas certaine. Mon père est le sien, aucun doute là-dessus. Cependant, Sophie ne l'a que peu vu et à ses yeux, Fabrice remplit le rôle de parent. Elle m'épargne néanmoins l'affront de l'appeler « papa » devant moi.

Ma sœur prend garde de se placer en face de Mike et je lève les yeux au ciel.

— Désolée, articule en silence Aurélia.

Je hausse les épaules. Personne n'y peut rien. Au premier abord, cette gamine semble la plus innocente du monde. Puis, quelques heures plus tard, on se rend compte du mépris qu'elle éprouve pour les autres. Elle se croit au-dessus de tout le monde sous-prétexte qu'elle -le nouveau mari de ma mère- possède de l'argent. Elle est tout ce que je déteste, mais elle reste ma sœur et je ne peux pas la renier. J'espère parvenir à la changer.

— Ce tiramisu est E.X.C.E.L.L.E.N.T. Fabrice m'emmène souvent ici, donc j'ai pu presque tout goûter et le tiramisu reste le meilleur.

Je me crispe, une main sur ma fourchette. Eh oui, Fabrice est le meilleur. Il offre tout le temps des cadeaux et des vacances dès qu'il y a la possibilité. On fait des sorties le week-end et des restaurants tous les vendredis. Je déteste ce type. Il achète ma sœur avec des cadeaux !

Sophie, assise à côté de moi, ne remarque rien. Son attention est tout entière sur Mike. Ce dernier me jette un œil et je parviens à un sourire. Il ne sert à rien de les paniquer.

— Je n'aime pas le café, donc pour moi, le brownie est le meilleur.

J'ai envie de frapper mon front. Avec tout ce que j'ai déjà raconté à Aurélia, n'a-t-elle pas compris qu'il ne faut jamais contredire cette gamine ?

— Tu es l'amie de Minah qui écrit, toi, c'est ça ?

Son ton brusque surprend à la fois la concernée et son frère. J'ai envie de me cacher dans un trou. Peut-être qu'à ma sortie, on m'annoncera qu'un choc sur la tête a réveillé ma sœur ?

— C'est ça, confirme la jeune femme.

Je sens l'attaque venir de très loin et je cherche quelque chose à dire pour détourner le sujet de la conversation, en vain. Alors, la sentence arrive, doucement.

— Avec Becca, on lit toutes tes histoires.

— Comment vous avez trouvé son pseudonyme ? l'interromps-je.

— J'ai fouillé ton portable.

Je vais assassiner cette petite fille avant la fin de la journée. Ah non mince, c'est son anniversaire... Est-ce réellement une excuse ? D'autant qu'elle se comporte de cette manière au quotidien. Elle m'agace tant !

— On attend tout le temps la suite, mais on n'aime vraiment pas ta dernière histoire.

Je lève le regard vers Aurélia. Est-ce que ma sœur est réellement en train de dire qu'elle lit cette histoire ?

— Je pensais que Minah, c'était une coïncidence, que t'avais décidé de pas appeler Ashley, Ashley. Mais là, j'ai compris que c'était pas un hasard. Pourquoi t'as choisi ma sœur et ton frère ? Ils vont carrément pas ensemble ! En plus, c'est méchant pour Ashley. T'as pensé à sa réaction si elle la découvrait ? Je m'attendais à mieux de ta part.

L'accusation fait pâlir mon amie. De source sûre, je sais qu'elle se fiche pas mal de blesser Ashley, elle ne l'aime pas. Ses nombreuses réflexions à son égard en attestent. Non, ce qui la dérange, c'est d'être rabaissée ainsi par une enfant de douze ans et je la comprends. Ma sœur parle trop, tout le temps et ne donne que rarement des fleurs.

— Ce n'est qu'une histoire, argumente Mike. Aurélia n'a pris que nos personnalités, pas nos vies.

Il la lit ou quoi ? Ce serait étrange ! Enfin, ce ne serait pas si étonnant au vu de notre conversation passée.

— Faux. Je sais que l'histoire du verre est vraie. J'ai vu la coupure sur la lèvre à Minah.

Les regards du frère et la sœur s'étonnent et s'indignent aussi. Sophie va me faire perdre mon argent de poche et mon amie si elle continue !

— Tu ne voulais pas qu'il y ait rapprochement pendant un cours ?

J'espère que mon interrogation va faire baisser la tension, parce que sinon, je vais me faire éjecter d'ici quelques minutes.

— Si, mais quand tu m'as parlé de la cuisine, j'ai trouvé ça carrément classe ! Y'a un rapprochement plus...

— Je ne veux pas savoir, la coupé-je. Utilise mon nom comme tu veux, mais ne me dis rien.

Elle rit avant d'affirmer que je finirais par me plonger dans l'histoire. Oh, je n'en serais pas aussi sûre !

— Tu vois, même...

— Sophie, c'est une histoire, point.

Je la foudroie du regard, prête à la faire sortir sans qu'elle ne puisse finir son merveilleux tiramisu.

— Tu détestes toujours quand je dis la vérité, souffle-t-elle dans son coca.

Je décide de laisser passer. Je vais finir par me disputer avec elle dans le cas contraire et je trouve que l'on s'est suffisamment donné en spectacle.

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