Chapitre 29

C'est encore une journée ensoleillée aujourd'hui, pourtant je ne suis pas dehors. Sophie est à la maison depuis deux jours et j'ai décidé de passer du temps avec elle. Cette dernière, après avoir marché la semaine dernière et entendu des discours bien ennuyeux, n'a plus aucune envie de se dégourdir les pieds. Ainsi, nous sommes restées à la maison. Nous avons dévoré les histoires terminées d'Aurélia et, pour aujourd'hui, nous nous sommes tournées vers « MinMi ». Ma sœur souhaite partager son opinion avec moi.

— Minah, tu as de la visite ! s'écrie-t-elle de la porte d'entrée.

Je fronce les sourcils en sortant de la chambre. Lorsque la sonnerie a retenti, Sophie a sauté sur ses pieds, prétendant être suffisamment grande pour aller ouvrir la porte toute seule. Je l'ai laissée faire, sans lui avouer que ce n'était pas ça, être grande.

Je descends les escaliers et avant même d'arriver en bas, je suis surprise. Mike se tient devant l'entrée. Il m'a envoyé quelques messages ces jours-ci, pour vérifier que j'allais bien, ce qui est nouveau. Mais je ne m'attendais plus à ce qu'il fasse le déplacement.

Tandis que je me remets peu à peu de la surprise, Sophie me dévisage, sourire immense scotché sur le visage. Chaque fois qu'elle me contacte, elle ne manque pas de me rappeler oh combien Mike est fait pour moi. Même si elle est un peu déçue qu'il ne soit jamais revenu sur sa phrase. Vous vous plaisez. Cette gamine a lâché une bombe en même temps !

— Tu es finalement allée la chercher, commente le visiteur.

Sophie pivote sur elle-même et nul doute qu'elle le dévisage à son tour.

— Je le savais que Minah n'était pas suffisamment forte pour y penser toute seule ! débite-t-elle.

Merci de la confiance ! Bon, elle n'a pas tout à fait tort non plus. J'aurais persisté à tenter de transformer ma mère, sans son aide. Il m'a en quelque sorte ouvert les yeux.

— Elle a compris seule les sous-entendus, je n'ai rien fait, me défend Mike.

Ma petite-sœur se retourne à nouveau vers moi et me fait un clin d'œil. Cette gosse.

— Je voulais te proposer une troisième ballade, mais je tombe peut-être mal ?

Un peu, oui. J'aimerais avoir l'avis de Sophie sur « MinMi ». Est-ce qu'elle aussi a l'impression qu'il n'est pas question de moi ? Ou je me voile simplement la face ? Espère-t-elle que je sois Minah, si « fille » ? Aurélia met le paquet côté romance et je ne comprends pas pourquoi elle fait durer le moment où ils se mettront ensemble. Attend-elle que cela se produise pour le raconter ?

— Pas du tout ! s'exclame Sophie.

Ce n'est pas elle qui me faisait tout un discours pour rester dans la chambre ?

Face à mon regard, elle hausse les épaules. C'est ça, prends-moi pour une quiche !

— Si c'est pour Mike, je veux bien faire un effort, explique-t-elle avant de sortir.

Je rêve. Elle n'attend même pas confirmation qu'elle est acceptée !

— Qu'est-ce que tu as fait à ma petite-sœur ? soufflé-je à l'invité.

Ce dernier me fixe, sans répondre. « Rien » a-t-il sans doute envie de dire.

— J'ai l'impression que tu es devenu son idole.

Mike rit.

— Est-ce grave ?

— Si elle continue à te prendre pour un Dieu vivant, oui.

— Un Dieu vivant et son idole ? s'imagine mon interlocuteur.

— Elle deviendra une fan invivable ! m'exclamé-je.

Il rit encore, puis Sophie apparait derrière lui, nous faisant comprendre que l'on discutera sur le chemin. Je réfléchis à un endroit qui nous est accessible à pied et conduisant à passer sur un pont. Le seul auquel je pense est à trente minutes de marche. J'interpelle alors ma sœur.

— Tu es motivée à quel point ?

Plusieurs mètres devant nous, elle s'arrête et réfléchit. Puis elle hoche vivement la tête, en accord avec elle-même.

— Où Mike veut !

Merci pour moi.

— Tu as pensé à un endroit en particulier ? questionne celui-ci.

Sophie étant plus loin devant, cela me permet de marcher en tête à tête avec Mike. Elle est une fan, mais une fan qui pense à sa grande sœur. Que c'est beau ! Jusqu'au moment où elle en aura assez, évidemment.

— Le parc du Rossignols.

Ma sœur s'écrie :

— Toi tu penses plutôt au ruisseau qui coule pas loin !

Elle n'a même pas pris la peine de se retourner vers nous.

— Cramée.

— C'est bon pour moi, approuve Mike.

— Pour moi aussi du coup ! réplique Sophie.

Elle trépigne d'impatience, sautille partout et je vois en elle l'enfant de treize ans qu'elle est. Je souris alors.

— Vous vous êtes beaucoup rapprochées, remarque Mike.

— Oui. C'est grâce à Aurélia, je pense. Sophie a lu « Cœur peiné » et ma vision des choses sur le divorce, elle a compris que je n'attendais plus rien de ma mère.

— Je pense que c'est plutôt votre discussion au centre-commercial.

Évidemment, je l'ai raconté à Aurélia et évidemment, elle l'a ajouté à « MinMi ». Pour une fois, elle n'a pas inclus Mike dans le passage, mais l'a laissé tel quel. Juste Sophie et moi. Elle a, en revanche, embelli la suite. Dans sa version, Mike vient en parler à Minah, par téléphone. Il faut bien ajouter un peu de romantisme !

— Les deux ?

— Davantage votre discussion qu'Aurélia. En lisant, Sophie a pu s'imaginer, mais pas se rendre compte que c'était réellement toi qui pensais tout cela.

C'est pour cela que les histoires sont étranges. Démêler le vrai du faux est parfois compliqué.

— Est-ce qu'on peut jouer à un jeu de rôle, pendant qu'on marche ? questionne subitement Sophie juste devant moi.

Je la lorgne, peu sereine. Est-ce qu'elle va finir par nous sortir un Vous vous plaisez ? Est-ce son but ? Je ne pense pas encore être prête. J'aimerais bien la case Apprenons à nous connaitre avant.

— Ne sois pas si méfiante ! me reproche-t-elle, les bras croisés.

— Quel personnage veux-tu être ? interroge Mike.

Ma sœur se remet aussitôt à marcher gaiement. Son Dieu vivant a parlé, prenez garde !

— Cupidon ! lance-t-elle le poing levé.

Je pense que dans son esprit, elle voit déjà son arc et ses flèches apparaitre dans sa main. Moi, ce qui me dérange, c'est que cupidon a besoin de deux amoureux. J'ai très envie de la tacler et de choisir Juliette. Elle, qui souhaite une fin heureuse, aurait droit à un bain de sang. Au dernier moment, je me rétracte. Mieux vaut ne pas l'énerver.

— Athéna.

— Hadès, réplique sitôt Mike.

J'aime que nous nous entendions. Sophie ne pourra pas dire qu'on le fait exprès, on a choisi presqu'en même temps.

— La déesse de la guerre et le roi des enfers ? Vous vous croyez dans Saint Seya ou quoi ?

— Hé c'est un chef d'œuvre je te signale !

Ma sœur balaie ma réponse, puis se tourne brusquement vers nous. Elle tend l'une de ses mains en avant et mime le geste de tirer une flèche. Elle réitère le geste avant d'assurer :

— Moi, Cupidon, espère qu'à travers l'amour, Hadès et Athéna pourront faire la paix.

Je ne peux m'empêcher de pouffer. Sophie aussi a l'air de lire trop de romance.

— Ne te moque pas, Athéna !

— Est-ce que si je tue Cupidon, la flèche disparait ? interrogé-en retour.

Sophie me regarde mauvaise, avant de frapper le sol de ses pieds. Je suppose que c'est un non. Dommage, l'histoire aurait été rapide.

— Cupidon est immortel ! Et il vous a choisis.

Son regard sérieux me donne une nouvelle fois envie de rire. Lorsqu'elle joue à ce genre de jeu, Sophie se perd un peu dans le monde imaginaire.

— Hadès, le roi des enfers, ne peut connaitre le sentiment amoureux.

— Et Athéna, la grande guerrière, vit pour son peuple. Elle a sacrifié sa vie dans ce but.

— Ainsi, ma flèche devra vous transpercer une seconde fois ! clame Sophie.

A nouveau, elle nous vise de ses mains. Ne sait-elle pas que la même technique ne fonctionne jamais deux fois d'affilés ?

— Athéna pare la flèche grâce à son bouclier.

— Tandis que le roi des enfers la brûle. Cupidon est certes immortel, mais Athéna n'est qu'une humaine. En tuant Athéna, je me libèrerais de ta malédiction !

— Hé, c'est pas juste d'ailleurs ! Comment je gagne face à un immortel ?

— Il fallait y penser en choisissant ton personnage, me répond Mike.

Je grogne, tandis que nous marchons toujours. Le décor change peu à peu, car nous nous rapprochons du parc. Bientôt, il y aura le pont. J'espère qu'il y aura des canards et que le soleil s'infiltrera à travers les quelques arbres présents là-bas. Il a tendance à apparaitre et disparaitre pour le moment.

— Minah, reste concentrée ! me reproche ma sœur.

— Quoi ? répliqué-je.

Je rêvasse et alors ? C'est elle qui veut jouer !

— Hadès est venu dans ton sanctuaire pour te terrasser.

— Eh bien, je revêtis mon armure, saisis mon sceptre et vais le chasser de chez moi.

Sophie devient grincheuse, parce que je ne suis plus vraiment dans l'histoire. Je veux juste qu'elle finisse au plus vite.

— Hadès a déjà tout brûlé sur son passage et parvient à la dernière maison encore debout.

— Athéna lève un bouclier autour de sa demeure et s'approche d'Hadès. Le combat est engagé.

— La déesse de la guerre et le roi des enfers sont concentrés sur leur bataille, tant, qu'ils n'aperçoivent pas Cupidon les viser de son arc.

Encore ? Elle tient à cet amour !

— Ainsi, les flèches de Cupidon transpercent pour la seconde fois leurs cibles.

— Les deux combattants cessent le combat et se dévisagent. Ils sont fous de colère envers Cupidon et souhaitent l'assassiner.

Ma sœur me regarde mauvaise. Je respecte l'histoire, non ?

— Puis, la flèche fait son effet et ils lâchent leurs armes, réplique-t-elle.

— Saisi d'une compréhension nouvelle, ils hochent la tête. Athéna déclare alors, que, pour le bien de tous, Hadès et elle ne doivent plus jamais se rencontrer.

— Le roi des enfers retourne dans les bas-fonds de la terre et plus jamais n'en ressort.

Sophie nous fusille à présent tous les deux du regard. C'est une bonne fin, pourtant. Le devoir a eu raison du cœur, pour une fois. Ma sœur s'apprête à nous réprimander -comme si c'était légitime !- lorsque j'avise le pont et l'ignore royalement pour m'en approcher. Les reproches de l'adolescente me semblent lointains, tandis que le bruissement de l'herbe est une douce mélodie. Le vent agite le cours d'eau et j'aime observer le léger tumulte qui en résulte. C'est si apaisant !

— On dirait que tu veux ne faire qu'un avec ce truc, commente Sophie.

Elle n'apprécie pas tellement la nature. Ma mère a trop longtemps exercé son influence sur sa personne, je pense.

— Tais-toi et admire.

Elle grogne mais se tait, jusqu'à ce qu'elle en ait assez, soit deux minutes trente plus tard.

— C'est bon, on peut rentrer ?

Je soupire, mais cède. Tout ce trajet pour si peu !

Sur le chemin du retour, je laisse Mike marcher au côté de Sophie. Cette dernière conte à quel point je ne pense jamais à lui faire plaisir, tout en oubliant que c'est elle qui a souhaité nous accompagner ! Et qu'à chaque fois que je lui offre un cadeau qui ne lui plait pas, je fais tout pour l'échanger. Je fixe finalement la silhouette du jeune homme de vingt-et-trois ans, en me demandant pourquoi tout n'est pas si simple que dans « MinMi ». Sophie y est aussi une peste, mais elle change rapidement, parce que la fausse Minah trouve les bons mots, tout le temps. Le faux Mike aussi et il n'est pas si différent de la vraie vie. C'est bien mon problème. « MinMi » me semble plus réel que je ne le trouvais auparavant.

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