Chapitre 28
— Minah ?
L'appel me semble lointain. Irréel. Pourtant, je crois reconnaitre cette voix. Elle me dérange pour le moment, parce que je souhaite me concentrer pour organiser l'anniversaire de Sophie. J'ai contacté maman qui s'est juste agacée, prétextant que ma sœur n'a pas besoin de cela. Si. Si elle en a besoin. Elle doit voir de ses yeux qu'elle a des amis, qu'ils sont là pour elle. Que tout n'est pas qu'apparence. Je l'imagine déjà en train de pleurer, parce que tout aura été choisi par l'argent, des cadeaux, aux décorations, aux amis. Que c'est triste ! Puis, à la place de Sophie, je me vois moi.
Le visage baigné de larmes, je suis face à mon gâteau d'anniversaire. Je souffle ma bougie d'anniversaire. Un 8. J'ai 8 ans aujourd'hui et à cette table, je suis seule. Le salon est vide, pourtant, il y a d'énormes décorations un peu partout. Des banderoles, des ballons, des couleurs, des confettis. La table est couverte d'une nappe multicolore et des assiettes sont posées dessus, n'attendant que d'être pleine. Dans cette pièce, le calme règne, car je suis seule. Mais, de l'autre côté de la porte, des cris aigus résonnent.
Papa et maman se disputent encore et je ne suis pas sûre qu'ils se comprennent. Est-ce qu'ils s'écoutent parler au moins ? Moi, j'ai dû mal à penser. Puis, le mot claque dans le silence de la pièce où je me trouve.
« Divorce. »
Mon monde s'effondre. Je ne veux pas de divorce. Je ne veux pas. Je veux ma maman et mon papa. Je ne veux pas être séparée de l'un d'eux, voir leur cœur en petits morceaux parce qu'ils m'aiment. Je me mets à pleurer doucement, pour ne pas qu'ils m'entendent. Et quelqu'un me souffle, que ça va aller, une main sur ma joue.
Je me réveille brutalement, le regard aux aguets. Mon cœur bat rapidement et je me revois si aisément à cette table. Je mets un certain temps à m'habituer à l'obscurité de la pièce. Face à moi, il y a Mike et je mets une seconde avant de comprendre ce qu'il fait là. C'est vrai qu'après la quiche, on a décidé de regarder des films, j'ai dû m'endormir. Mais pourquoi fait-il si sombre ?
— Tu as fait un cauchemar ? quémande-t-il, tandis que je me redresse.
Sa main tendue vers moi est anormale. Je me souviens d'un contact chaud et apaisant sur ma joue. Impossible. Il est typiquement le genre de personne qui n'oserait pas, de peur d'être découvert. Cependant, il est aussi typiquement le genre de personne qui compatit avec l'autre. D'accord, ce n'est pas si improbable que cela.
— Je suppose.
Difficile de prétendre le contraire en se réveillant les joues baignées de larmes. Et je n'ai pas la tête des bons jours, non plus.
— Aurélia et Eliott ?
Il meurt d'envie de balayer ma question et de me demander « Raconte-moi. ». Pourtant, il répond à mon interrogation. Mike sait où sont les limites et les respecte.
— Dehors. Aurélia ne voulait pas te réveiller.
— Et partir comme une voleuse ?
Quand j'aurais le temps, il faudra que je pense à la bouder !
— C'est ce que je lui ai dit, sourit mon interlocuteur.
Il souhaite s'attarder, en savoir plus sur ce cauchemar, mais je n'en parlerais pas. Inutile de revivre deux fois le même souvenir en une seule nuit.
— Je vais venir les saluer.
Je me lève et il me laisse passer devant lui. Comme si j'allais tomber pour un cauchemar. D'accord, je n'en suis pas loin non plus. Mon rythme cardiaque peine à se stabiliser.
Lorsque j'ouvre la porte, Aurélia s'apprête à soupirer lorsqu'elle me reconnait.
— Tu as une sale tête, grimace la jeune femme.
— Un cauchemar.
J'ai presqu'envie de rectifier par ce cauchemar, mais mon amie s'en doute déjà.
— Tu...
— Je voulais vous dire au revoir, la coupé-je. Bonne route.
Tandis qu'Aurélia hésite, je croise mes bras. Je n'ai pas regardé l'heure, mais l'air s'est rafraichie. Il doit être tard.
— On se contacte demain ? interroge mon amie.
— Sans faute, lui souris-je.
Alors qu'ils s'éloignent, Mike se stoppe. Il se tourne vers moi et me salue de la main en souriant. Trop craquant ! Je lui retourne le geste, même si je me doute qu'il n'agit ainsi qu'à cause de mon cauchemar. Le temps passe et pourtant, ce souvenir continue de me hanter. Bizarrement, il revient à chaque fois que j'ai la sensation d'avoir fait une croix sur ma mère.
Je soupire et rentre à nouveau. Je sursaute en constatant que mon père est assis sur les marches de l'escalier. Son sourire est triste.
Je m'assois à côté de lui et patiente. Je ne sais pas quoi lui dire, parce que je n'ai aucune idée de la raison qui le pousse à être là, sur cet escalier. Je sens mon cœur qui s'alourdit.
— Tu dormais, lorsque je suis venu vous voir, débute enfin mon père.
Ma bouche s'assèche et je crains la suite. Qu'ai-je raté de si important pour conduire à une discussion si tardive ?
— Nous parlions de toi, d'Aurélia et Eliott, de Mike et puis de fil en aiguille, je me suis mis à parler de Sophie et de Annabelle.
Son nom achève de m'angoisser. D'aussi loin que je me souvienne, mon père a toujours éviter d'évoquer ma mère après le divorce. Il s'est, cependant, efforcé de me convaincre de lui rendre visite, d'essayer de me réconcilier avec elle. C'est en partie grâce à lui que j'ai tenté, peu après mes 18 ans. Je me disais que j'étais suffisamment mature pour comprendre. Quelle naïveté. Je n'ai trouvé qu'un amas de colère et de reproches. Presque de la haine. Ma mère ne me pardonnera jamais de lui avoir fait vivre un enfer durant 1 an. Et moi, je ne lui pardonnerais jamais de m'avoir abandonnée. C'est ainsi.
— J'ai évoqué notre rencontre, ta venue, notre fin. Et ton ami, le frère d'Aurélia, sais-tu ce qu'il m'a dit ?
Mon père se tourne vers moi, les mots ayant du mal à sortir.
— Que le regret ne devrait pas m'empêcher de vivre.
Du Mike tout craché. Il frappe là où ça fait mal, de façon si subtile et pourtant si flagrante. Mais moi, je ne suis pas lui et je ne comprends pas ce que mon père regrette. D'avoir divorcé ? C'était inévitable. Mes parents ne s'aimaient plus depuis un moment.
Je n'ose cependant pas intervenir, de peur qu'il n'aille pas au bout de sa pensée.
— Il aurait pu dire tellement d'autres choses et il a choisi celle-ci. J'en suis resté sans voix. Il ne m'a vu que deux fois, et pourtant, il a pointé du doigt avec une facilité déconcertante ce que je ressens.
Que ressens-tu ? ai-je envie de questionner. Je m'efforce de me taire. Mon père a toujours été là pour moi, mais il ne m'a jamais laissée l'être pour lui. Est-ce un de ces remords ?
— Je me suis consacré à toi de toute mes forces. J'ai choisi la maison en me demandant si elle te plairait, j'ai essayé de concilier mon travail avec ma présence à tes côtés, j'ai refusé chaque invitation pour ne pas te faire sentir, que ta mère n'était plus rien pour moi. J'ai pris de l'âge, en étant concentré sur ce que tu pouvais ressentir. Je me suis concentré sur toi et Sophie et j'en oubliais mon existence. Maintenant que Sophie a décidé de me connaitre, je me suis perdu dans ses attentes. Je me sacrifie pour vous.
J'ai l'impression d'être la plus mauvaise des filles. Et pourtant, je sais que ce n'est pas ainsi que mon père le voit. Il est normal de se dédier à sa famille. Mais les mots sont là, bien réels. « Je me sacrifie pour vous. » Je ne l'ai jamais interprété de cette façon, pensant toujours qu'il agissait par amour pour nous. Et c'est vrai. Par amour, il n'a pas vécu. Moi, je n'ai rien remarqué.
— Je m'en veux tellement d'avoir déclenché cette dispute, à tes 8 ans.
Finalement, je suis contrainte d'y songer une nouvelle fois. Cet anniversaire est le pire de ma vie. Mes parents m'ont offert comme ultime cadeau, les cris et les portes qui claquent. Le gâteau a fondu et je suis restée assise durant des heures, en attendant qu'ils se souviennent de moi. Ils ont cassé quelques vases ou miroirs. Puis, alors que mes yeux piquaient, que je luttais contre la fatigue, mon père est arrivé. La colère sur son visage m'a rendue encore plus triste, je n'ai pas compris qu'elle n'était pas dirigée contre moi. J'ai pleuré de plus belle et mon père a dû passer la nuit à me consoler.
— Tu aurais dû vivre un moment exceptionnel et tu as vécu la pire des tragédies pour une enfant de ton âge. J'ai toujours eu peur que tu ne parviennes pas à te construire pour cette raison, qu'il y ait cette voix dans ta tête qui te répète « Le divorce fait mal. ».
Je glisse une main dans la sienne. Je ne pense rien de tout cela. Au contraire. La séparation m'a pousséz à grandir plus vite, à comprendre des choses que les enfants ne perçoivent pas. A ne pas être trop capricieuse, à savourer chaque seconde que l'on m'offre. Malheureusement, elle m'a aussi donné l'impression qu'il faut suivre le cours de l'eau, de ne pas s'en éloigner. Qu'il faut baisser la tête, pour ne pas montrer que l'on est différent. J'ai préféré rester solitaire, pour ne pas être inquiété.
— J'ai compris ce soir, qu'une part de toi s'isole pour éviter de souffrir. Pourquoi n'as-tu jamais invité d'amis ? Tu te rends chez eux, mais ne les convies jamais ici. Pourquoi ? As-tu honte ?
« De moi » complété-je.
Je serre fort sa main, tout en veillant à capter son regard.
— Je n'ai pas honte. Absolument pas. Je suis même très fière de toi, papa. Tu m'as offert une maison, des cadeaux, et maintenant, de nouvelles études. Tu t'es toujours battu pour moi, je n'ai pas honte. Mais... Je déteste parler de maman, du divorce, de Sophie. De cette vie si particulière en dehors de ces murs. Si les gens viennent, ils me demanderont où elle est. Je ne veux pas de cette question. Ce n'est pas de toi dont j'ai honte, c'est de maman.
La flèche me travers entièrement et je pleure doucement. Cette vérité est abominable. Je souhaite cacher ma mère. L'enterrer quelque part et que jamais on ne mentionne son nom. Je me sens peinée pour lui, car même ici, la présence de ma mère est là. Je n'ai pas réussi à la garder à l'extérieur, à lui interdire l'accès.
La vérité reste entre nous, plane telle une ombre. Me nargue. J'ai envie de la fracasser, mais je ne peux pas. Je me suis promis d'éviter la fuite. Je ne peux plus la noyer. Alors, je reste face au problème.
— Le divorce a été très difficile, mais tu as pris la bonne décision, papa. Tu devais penser à toi, à ton bien être. Pas au mien ou à celui de Sophie qui ne connaitrait jamais une famille réunie. Tu as fait le bon choix et tu m'as aidée à l'accepter.
Un éclat de fierté brille dans son regard. J'ai passé les quatorzes dernières années de ma vie, a oublié de le complimenter sur ce qu'il fait naturellement : m'aimer.
— Tu as tellement grandi... chuchote-t-il en passant une main sur ma joue.
Je lui souris. Et le temps se suspend. S'étire entre nous. Une forme d'apaisement me gagne et je me dis que tout cela, c'est grâce à Mike. Je me promets de le remercier la prochaine fois que je le verrais. J'espère que cela ne tardera pas trop.
— J'ai par ailleurs compris que ce garçon et toi n'étiez pas ensemble.
Enfin ! Même si son regard laisse penser que l'idée qu'on le soit un jour, ne l'a pas quitté. Sur ce point, je lui donne raison. J'y compte bien.
— Mais, je serais vraiment content pour toi si cela se produit.
Celle-ci, je ne m'y attendais pas. Lui qui souhaite tant m'éloigner !
— Vous auriez dû échanger vos métiers : lui psychologue et toi enseignante.
— Sûrement pas, le coupé-je. Avoir 30 gamins, pire que Sophie en face de moi, très peu pour ma part !
— Tu vas le revoir ?
— Sûrement ?
Notre relation est toujours un peu spéciale. Comme tout le monde d'ailleurs. Aurélia est spéciale, Eliott l'est, Ashley aussi, Sophie également. Je vis entourer de gens spéciaux. Au moins, cela rend les journées amusantes.
— On ne prévient jamais trop les choses, lui et moi. Je pense qu'on fait en fonction de notre feeling ?
Mon père rit doucement face à mes interrogations.
— Ta mère aussi répondait par des incertitudes, à la fac.
Avant, j'adorais qu'il me parle de cette période. Il n'y a que des paillettes et de la romance. Maintenant, je perçois cette période comme une tache sombre dans nos vies. Maman a tant changé avec les années. Une part de moi est effrayée de lui ressembler, un jour.
— Elle sera toujours un sujet tabou, n'est-ce pas ?
Je lui serre la main. Pour moi, oui, ce sera toujours le cas. Elle est l'ombre de mon passé qui me suit. Et malgré le temps et les discours, je resterai attachée à ses sourires, tout autant que je haïrais son mépris.
— Sophie t'écoutera mieux que moi.
Il sourit tristement et je pense comprendre qu'il aurait souhaité pouvoir m'en parler à moi aussi. Je refuse cependant, de me rappeler combien elle a pu être rayonnante. Sinon, je vais m'accrocher à cette illusion et espérer encore et encore. Il est temps pour moi d'avancer, malgré ce poids.
— Pourquoi Sophie t'a-t-elle appelé toi et pas moi ?
— Elle est en colonie de vacances et la directrice ne tolère pas les téléphones. En constatant tes nombreux appels manqués, Sophie a eu l'autorisation de me contacter pour s'assurer que tout aille bien.
— Tu as un moyen de les rappeler ?
Il est surpris par ma demande.
— Oui, pourquoi ?
— Et si on la sortait de cet enfer ?
Il sourit avant d'approuver. Je ne peux rien faire pour ma mère, qui restera une vipère jusqu'à la fin. Mais Sophie, elle, je peux la sauver de ce monde de faux-semblant. Je veux qu'elle puisse se sentir aimer, comme elle le mérite.
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