Chapitre 27

— Ce n'est qu'un jeu, argumente Mike.

Oh, pas pour sa sœur !

— Tu l'as laissée délibérément gagner, je n'y crois pas ! Tu aurais pu finir « vice-président » et elle « trou de cul », mais tu as pris sa place !

— C'est gentil, non ?

Je n'ai jamais de chance, alors pour une fois qu'on me l'offre, je ne vais pas cracher dessus non plus !

— Je n'en doute pas, me réplique-t-elle tout en gardant son regard sur son frère.

Elle ramasse furieusement les cartes et les mélange, toujours bien fixé sur Mike. Elle semble vouloir l'humilier.

— Pourquoi tu réagis de cette façon ?

La question d'Eliott est innocente, ce dernier tente simplement de comprendre la colère de mon amie. Moi, je me contente d'attendre que ça passe. Aurélia va quitter la table sinon.

— Parce que de toute mon enfance, il ne m'a jamais, jamais laissée gagner.

Elle lui en veut visiblement.

— Tu es grande maintenant.

Elle lâche son tas sur la table et décrète qu'elle va voir mon père. Je sais qu'il n'a pas besoin d'aide et qu'il nous épie sans doute d'une des fenêtres à l'étage. Aurélia va juste continuer de bouder dans son coin parce que, pour une fois, je ne suis pas la perdante. Ah, que n'endure-t-on pas pour ses amis !

— Toi non plus, tu n'as jamais joué à des jeux de société avec elle.

Eliott me confirme que non.

— Aurélia aime que les règles soient respectées. Elle ne joue pas pour s'amuser, mais pour gagner.

— C'est bien pour ça que je me suis toujours évertué à la faire perdre.

Très gentil le frère !

— C'est aussi pour ça qu'elle fulmine dès que quelqu'un triche ou contourne les règles.

Eliott souffle un « oh » avant de s'apercevoir qu'en fermant sa bouche, elle serait restée. Elle aurait mis une raclée à son frère, puis aurait vérifié qu'il joue correctement. Tant pis, tout le monde s'en remettra.

— Comment vous vous êtes connus tous les deux ?

— Par Mike, au lycée. Elle trainait souvent avec nous aux pauses de midi.

Me rappelant qu'il a deux ans de plus que nous, l'ampoule s'allume enfin dans mon esprit.

— J'ai rencontré Aurélia en première, c'est pour ça que je ne vous ai jamais croisés ! Vous étiez déjà à la fac à ce moment-là.

— C'est ça, confirme Eliott. Je pense qu'Aurélia t'apprécie beaucoup et ce depuis le début. Elle n'arrêtait pas de parler de toi et tu l'as inspirée pour de nombreuses histoires.

Par contre de lui, RAS. J'ai découvert son existence grâce à Mike. Avait-elle peur d'un second « Took « ? L'histoire était encore récente à notre rencontre, cela me semble donc plausible.

— Je sais. La dernière en date, c'est « MinMi ».

J'essaie d'être nonchalante, mais je n'y parviens pas. J'aimerais que Mike et moi en parlions. Que représente cette fiction à ses yeux ?

— Aurélia se surpasse d'ailleurs et elle attend de vos nouvelles avec impatience.

Mike et moi nous regardons, sans trop savoir quoi dire, ni quoi faire. Sourire ? S'éclipser ? Être gêné ? Être confiant ?

— Je suppose que lorsqu'elle se décollera un peu de toi, elle aura une suite à écrire.

J'ai fixé Eliott, Mike est resté concentré sur moi. Le premier se met à rougir et j'en souris doucement. Le second semble ne plus vouloir regarder ailleurs. J'étudie la psychologie, mais je ne comprends pas cette attitude. Peut-être espère-t-il me déstabiliser ?

— Désolé... balbutie le petit-ami.

— L'important, c'est qu'Aurélia soit bien, le rassure Mike.

Comme pour donner du poids à ses paroles, il pivote vers son voisin. Après tout, Aurélia est sa petite-sœur ! Et son passé n'est pas rose... Il faut que j'arrête d'y faire référence. Mon amie a changé.

— Elle l'est.

Sa soudaine assurance est belle à voir. L'amour le rend timide, mais aussi sûr de lui ! Il veillera sur Aurélia, j'en suis certaine et il parviendra peut-être à éloigner Tobias de ses blessures.

— Et vous ? questionne-t-il.

— Pourquoi ne le serait-on pas ?

Mike se tourne vers moi, surpris. Je n'ai pas fini ma phrase aussi !

— Ce sont les vacances, j'ai eu ma place en psycho. Mike a eu son CRPE, il va être instituteur. Et en bonus, Aurélia écrit une histoire sur nous.

— Un bonus qui t'inquiétait au départ, remarque Mike.

— Ça, c'est parce qu'elle ne voyait pas à quel point « MinMi » est magnifique !

Une impression de déjà-vu m'envahit et un stress s'empare de moi. Je me demande bien pourquoi, de toutes les histories d'Aurélia, Mike a choisi « Took » ce jour-là. Il savait déjà ce qu'elle représentait.

— D'ailleurs, je me demandais... débute Eliott.

— Oh là, prends des pincettes ! l'avertit sa petite-amie en reprenant sa place. Minah va montrer les crocs sinon.

Je fronce les sourcils, m'attendant au pire. Cependant, sa bouche reste finalement close.

— Tu te demandais ? relancé-je.

— Elle t'invite à poursuivre, reformule ma voisine.

Je pense que c'était clair.

— Est-ce que les sentiments qu'Aurélia retranscrit sont les tiens ?

— Pardon ?

Je l'observe les yeux grands ouverts, ne croyant pas tout à fait à sa question. D'accord, Aurélia utilise la première personne pour son histoire, mais cela ne veut rien dire ! Même si elle respecte plus ou moins ma personnalité...

— Les faux Mike et Minah, ils n'ont pas le même genre de comportement que les autres personnages. Tout est vraiment différent et comme elle s'inspire de faits très réels, je m'interroge.

Est-il un crétin de le faire, là, maintenant, devant Mike et avec mon père qui peut surgir à tout moment ?

— Sophie te possède ?

Aurélia pouffe à côté de moi et Mike a l'air déçu de mon détournement de situation. Il faut dire que je suis peu encline à répondre à cela.

— Elle aussi, elle sort parfois ce genre de remarque, comme si elle demandait une glace.

— Désolé. Dès fois, je m'emporte. J'aime simplement beaucoup « MinMi ».

— Quelle est ton histoire préférée ? rebondit Mike.

L'impression de déjà-vu s'implante encore plus et je jette un œil à ma voisine. Elle ne semble pas y voir de référence et j'hésite à le voir comme une bonne nouvelle.

— « Ellia ».

J'éclate de rire et lance à Aurélia :

— Est-ce qu'on lui dit ?

Le fait-il exprès ? N'est-il pas flagrant qu'Ellia soit un mixte d'Aurélia et d'Eliott ?

L'ambiance de ce roman est totalement différente de « Took ». L'histoire est légère, sans prise de tête. La relation se forme peu à peu, grâce au frère de la principale protagoniste. Vraiment, les points communs sautent au milieu de la figure ! Même si Aurélia évoque Paul, plutôt qu'Eliott, il ne faut pas être un génie pour le deviner !

— Non, ordonne mon amie.

— Eliott et Aurélia, formule pourtant Mike. Comme Mike et Minah.

Je n'ai pas le loisir de me moquer de la tête de Eliott. Ses yeux écarquillés et sa recherche d'une fuite immédiate sont amusants. En revanche, le regard de la personne face à moi me semble bien trop sérieux et... emplie de sous-entendu. Je suis gênée, mais je ne détourne pas les yeux, ce serait avouer quelque chose, même si ce quelque chose m'échappe.

— Vous pourriez nous raconter l'info aussi ? quémande sa sœur.

Je sors de ma rêverie et lui rétorque :

— Quelle info ?

— Je ne sais pas, vous sembliez discuter sans un mot.

— Ce n'était pas le cas.

Enfin, je crois. Son « hum, hum » est des plus explicite, et je décide donc de contre-attaquer.

— Dis Eliott, pour toi, qu'elle est le plus gros défaut de ta petite-amie ?

S'il répond le même que moi, j'approuverais à 100% leur relation. Aurélia aussi. A côté de moi, elle gonfle ses joues, se retenant d'annoncer que ce n'est pas du jeu.

— Le défaut qui engendre tous les autres ?

Aurélia n'apprécie pas vraiment d'entendre cela de la bouche de son petit-ami de quelques jours. Je suppose que le fait qu'elle le connaisse depuis bien plus longtemps va jouer en sa faveur.

J'hoche la tête.

— Son manque de confiance en soi.

Je souris, car il n'a pas hésité.

— C'était un test ? s'alarme-t-il.

Je ris cette fois.

— Bien sûr que non.

— Bien sûr que si ! plaide Aurélia. Tu l'as testé !

— J'ai simplement vérifié que nous étions sur la même longueur d'onde, puisque tu sais, je ne l'ai vu qu'une fois.

La jeune écrivaine boude puis soupire.

— J'aurais dû t'en parler, en effet. Mais tu sais, les choses ne sont pas simples...

— Parce qu'elles le sont pour moi ?

Bon sang, je devrais commencer à tourner sept fois ma langue dans la bouche avant de causer !

— Comment ça ? s'inquiètent de concert les étudiants.

Je prie Aurélia du regard qu'elle me vienne en aide. Ce n'est pas vraiment le lieu pour en parler.

— Je sais que c'est une trahison, mais c'est justifié, non ?

Je hoche la tête, « Took » me revenant en mémoire. Je n'ai pas besoin de plus.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? insiste Eliott.

Aurélia, le sourire peiné, lui lance :

— Je t'expliquerai, lorsque je n'aurai plus peur.

« De ton regard, de ton jugement, de ta réaction. » Je l'entends presque compléter la phrase pour elle-même.

Eliott hoche la tête avec gravité et, à travers ce geste, je ressens tout l'amour qu'il porte à mon amie. Bon sang, c'est tellement banal et tellement expressif à la fois !

— Je comprends pour quelle raison elle t'aime.

N'ai-je pas dit de penser davantage à mes mots ? Je crois que je suis en train de rater cette mission !

— Minah ? s'étonne Mike.

— Eliott est tout simplement trop mignon, trop craquant, trop attendrissant ! s'enflamme Aurélia.

Je ne m'étale pas sur le sujet, car ce que je pense refroidirait un peu l'ambiance. Eliott est comme une pommade cicatrisante, un pansement qui s'appose doucement. C'est ce dont Aurélia a besoin. D'attention, de réconfort, de tendresse. Peut-être que pour le moment, elle ne l'aime pas autant que lui l'aime, mais je suis convaincue qu'un jour ce sera le cas.

— Ecris pour Aurélia, fais-lui tout pleins de compliments. Soit niais à souhait, Eliott. Aurélia t'aimera encore plus.

J'obtiens un rougissement de la part des principaux concernés. C'est ce moment que choisit mon père pour nous inviter à manger.

D'un mouvement commun, nous nous levons et rejoignons la salle à manger. Je n'ai même pas vu que le soleil était descendu si bas. Mon pauvre crépuscule ne m'attendra pas.

La table est déjà dressée et les assiettes remplies. Waouh, Aurélia ne s'est pas contentée de bouder, finalement !

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