Chapitre 25

— Jamais deux sans trois ? questionné-je.

Mike et moi sommes devant ma maison. Après notre promenade de la veille, il est revenu cette après-midi, pour remettre ça. Nous n'avons pas beaucoup parlé sur le trajet, parce que j'étais plongée dans la beauté de la nature. Pourtant, j'ai trouvé les heures passées avec lui absolument formidables. Je pense que c'est pour cette raison que je m'attache tant à sa personne : il ne se perd pas en conversation inutile. S'il n'a rien d'intéressant à dire, il se tait. Juste sa présence, ça me suffit. Dommage que je n'ai pas encore le courage de lui demander d'admirer le coucher de soleil ensemble.

— Tous les jours la même chose, ça devient lassant.

S'il ne vient pas, j'irais seule. Je devrais prendre le bus, mais les cygnes en valent la peine. Et j'espère recroiser ma sœur. Elle a visiblement éteint son téléphone, puisque je tombe sur messagerie à chaque fois. J'ai pourtant appelé hier soir, ce matin, à midi et en début d'après-midi. Je souhaite lui proposer de venir chez papa, la semaine prochaine. Maman ne comprendra jamais, j'ai plus de chance avec Sophie.

— Chaque jour la nature est différente. Aujourd'hui seuls les canards répondaient à l'appel et les rues étaient davantage bondées. Ce n'est jamais la même chose.

— J'abdique !

Devant son sourire et son regard, je ressens un élan de courage. Je peux bien tâter le terrain, non ?

— Mike, tu...

C'est bien évidemment le moment où mon portable choisit de sonner. Je l'ai gardé sur moi toute la journée, espérant avoir des nouvelles de Sophie et elle me recontacte au pire moment ! C'est ce que je crois, jusqu'à ce que je ne vois « Aurélia » sur mon fond d'écran. Deux jours de silence et un appel. Si elle est mal, je veux la réconforter. Mais cela signifie ne jamais finir ma phrase. Mon amitié compte bien plus que son frère, alors, je décroche et laisse mon élan de courage retomber comme un soufflet.

— Bonjour ?

Je suis incertaine. De quelle humeur est-elle ?

Mike m'articule le nom de sa sœur et j'hoche la tête.

— Tu m'exaspéreras toujours avec tes demi-questions, grogne-t-elle.

Je suis automatiquement soulagée. Elle a l'air d'aller bien.

— Deux jours sans moi et tu pensais que j'allais changer ? J'en attendais mieux de ta part, Aurélia.

— Tu sais, le temps et moi, on se perd souvent de vue.

Ça c'est bien vrai ! Ses œuvres la perdent toujours. Peut-être qu'Eliott la fera revenir sur Terre plus souvent ?

— Le crétin est avec toi ?

Quelle classe, comme toujours ! Je décide de mettre sur haut-parleur, espérant que cela fera reparaitre mon courage.

— Pourquoi il serait avec moi ?

Elle mérite de patauger un peu !

— Alors, hier il est parti à l'arrivée d'Eliott et aujourd'hui rebelote ! D'habitude, il doit toujours préparer deux semaines à l'avance ses sorties. Conclusion : il est avec toi.

Je bouscule donc sa routine. C'est un point positif, je suppose.

— Tu exagères, petite-sœur.

Mike se rapproche et sa moue me rappelle celle à sa sœur. Ils sont trop craquants, quand ils boudent !

— Ah tu vois, j'ai raison ! Et ne m'appelle pas « petite », je le suis déjà en taille, inutile d'appuyer sur mon âge, l'imbécile. Et attends, Minah tu as mis sur haut-parleur ?

L'incompréhension est si flagrante et la question si logique, que j'hésite à le lui confirmer. Aurélia semble un peu différente de d'habitude. Normalement, ce genre de détails ne l'intéresse pas.

— Je me suis dit que ça pouvait être drôle.

— Tu vis dangereusement ! Imagine j'aurais parlé de trucs plus... perso ?

— Tu parles pour moi ou pour toi ? ris-je.

— Pour toi !

Ça n'aurait que pousser mon audace à revenir.

— Qu'est-ce que tu me veux ? relance Mike.

— Juste vérifier que tu étais en vie, le désespérant.

Encore ces purées de probabilités. Elle devait s'inquiéter juste à ce moment ? Pourquoi pas cinq minutes plus tard, hein ?

— Mission accomplie, commente le concerné. Eliott respire toujours ?

LE sujet à ne pas évoquer. Il est sans fin !

— Il est encore avec moi, donc oui.

Et elle téléphone ? C'est une blague ! Suis-je si malchance que cela ?

— Tu insinues qu'il n'aura plus de souffle une fois parti ?

Ma question est davantage rhétorique, Aurélia le pense.

— On est une moitié de l'autre, évidemment que respirer est plus difficile tout seul.

Le pense-t-elle sincèrement ? Je n'y crois pas. Tobias la bouleverse encore bien trop.

— Vérifie qu'il est toujours en vie, j'ai peur qu'il ne survive pas à cette conversation.

Tandis que Mike et moi rions, un toussotement retentit, juste à côté de moi. Oh là, je sens les ennuis poindre le bout de leur nez.

— Bonjour, M. Salis, le salue Mike tandis que je m'étonne qu'il soit déjà rentré.

Est-il plus tard que je ne le pense ?

— Oui, Sophie m'a appelé en me disant qu'elle s'inquiétait de tes nombreux appels.

— Oups ?

Puis me rendant compte de ce qu'il dit, j'en lâche presque mon portable. Pourquoi ne m'a-t-elle tout simplement pas répondu ?

— Attend tu as pu l'avoir en ligne ? J'essaie depuis hier soir !

— Je t'expliquerais plus tard. Je peux savoir ce que toi tu fais ?

Il louche sur Mike de façon très explicite et j'ai presque envie de me cacher. D'accord, je lui ai assuré, ce matin, que j'allais bosser toute la journée. Je n'ai rien fait, est-ce un crime ? Un petit crime alors. De toute façon, je comprends à son regard qu'il pense que je lui mens. Je ne sors pas (encore) avec Mike, bon sang. Je ne cacherais pas ce fait, c'est inutile.

— Bonjour M. Salis ! s'exclame Aurélia à travers mon téléphone.

Bonne diversion ! Mon père la salue à son tour, mais il me fait clairement saisir qu'il ne lâche pas l'affaire. Aucun problème papa, je suis prête. Ou pas.

— J'espère que vous allez bien depuis Noël. Ça vous dirait de revenir pour un barbecue ? On a décidé d'inviter pleins d'amis pour terminer l'été en beauté.

Ah bon ? Première nouvelle. J'espère qu'Aurélia est prête à défendre son mensonge jusqu'à la fin, sinon, mon père me fera encore moins confiance.

— Je travaille, répond mon père en s'approchant du combiné.

Il n'a surtout aucune envie de s'y rendre.

— Ne vous en faites pas, la date n'est pas fixée. On s'organise pour le moment et un samedi soir est tout à fait possible.

Pas mal Aurélia ! Ai-je déjà dit que cette fille est incroyable ? Pas assez, je pense.

— D'accord.

— Vous pourrez rencontrer Eliott, mon petit-ami et Minah pourra apprendre à le connaitre. Elle ne l'a vu qu'une fois.

— Pourquoi ne pas venir ce soir ?

— Pardon ? répliqué-je.

J'interroge mon père du regard et ne mets qu'une seconde pour mettre en place les pièces du puzzle. Ai-je précisé que mon père a aussi de la ressource ? Incroyable.

J'entends Aurélia demander à son amoureux, mais mon regard reste fixé sur mon père. Quel plan machiavélique. Heureusement que mon courage s'est fait la malle, j'aurais été dans le pétrin maintenant ! Passez toute la soirée en présence de Mike alors que je lui aurais demandé ce qu'il pensait de moi, impensable ! Les probabilités semblent m'être un peu plus favorable.

— On est ok ! On arrive dans un quart d'heure si ça vous va.

Déjà ? Non ! S'ils arrivent trop vite, Mike devra rester, lui aussi.

— Parfait, à tout de suite, réplique mon père, sourire en coin.

Mon écran s'efface, signe que mon amie a raccroché.

— Tu es redoutable.

— Je te l'ai dit, j'ai le pif pour ce genre de choses, me chuchote-t-il avec un geste de la main.

Je lève les yeux au ciel.

— Tu restes ici, j'espère ? demande-t-il à Mike.

Le regard posé sur nous, celui-ci tente de comprendre la situation. Il n'y a rien à comprendre, vraiment oublie.

Mike répond oui, sans vraiment revenir au moment présent. Mon père lui s'avance vers l'entrée, en nous invitant bien évidemment à le suivre.

— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? s'inquiète le frère.

Je fixe le dos de mon père et lâche :

— Une terrible tragédie : mon père s'est transformé en Aurélia.

Mike rit franchement avant de me rétorquer :

— Il reste génial, non ?

— Bien sûr ?

Il rit encore, avant que mon père ne nous fasse comprendre qu'il est temps de pénétrer la demeure. Moi, je me dis qu'il est génial, en fonction de son degré de transformation. J'espère qu'il n'est pas trop déterminé à me faire admettre mon mensonge -qui est la vérité. Je suis mal sinon. En attendant de le découvrir, je rentre chez moi, tout en ayant l'impression être une invitée et une suspecte. C'est désagréable comme sensation.

Je tente de m'éclipser dans ma chambre, lorsque mon père demande à Mike de le rejoindre à la cuisine. Purée, je crois que je suis dans le pétrin. Faite qu'Aurélia arrive très vite. Puisqu'elle est avec Eliott, je n'ai pas confiance en son temps de quinze minutes. Bon sang, comment je vais me sortir de là. Pour commencer, je m'éclipse vivement dans ma chambre.

— Je reviens.

Je file dans mes quartiers, en me rassurant. Si Mike est tout seul, cela se passera mieux. Il s'exprime très bien et n'est jamais ambigu. Deux très bonnes qualités face à mon père. Peut-être arrivera-t-il, là où j'ai échoué ? Le comble serait de parvenir à convaincre mon père et de sortir juste après avec Mike. Ce serait amusant. Qu'est-ce que je raconte-moi ? N'importe quoi !

Je pose mon sac sur mon bureau et mon regard croise la fenêtre. Peut-être restera-t-il suffisamment longtemps pour le voir ? Ou peut-être que je vais tout simplement négocier de nous poser dehors. Très bonne idée.

Je vérifie mon téléphone -même s'il n'y a rien à vérifier, je l'aurais entendu- puis envoie un message à Aurélia.

T'es où ?

En reposant l'objet de communication sur le bureau, j'aperçois mon reflet dans le miroir. Voilà une bonne idée : si je me change, je pourrais expliquer mon intérêt pour ma pièce ! Seulement voilà, je n'ai rien de plus décontracté que ce que je porte déjà. Donc mon idée retombe comme un soufflet. Puis, je souris : mes cheveux ! Je desserre l'élastique et le remplace par une pince. Bon, comme justification, pas sûre que ce soit très crédible, j'ai dû prendre deux minutes à tout casser.

Pourquoi je suis aussi stressée moi d'abord ? Je n'ai rien à cacher ! Décidée, je redescends à la cuisine. Je ne suis pas encore en bas des marches, que je m'immobilise. Combien de temps suis-je partie ? Entre 5 et 10 minutes non ? Comment la situation a-t-elle pu devenir ainsi ?

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