Chapitre 23
Cette journée est étrangement calme, comparée aux derniers jours. Aurélia ne m'a pas recontacté depuis ses révélations et je l'accepte. Je suppose qu'elle comme moi, avons besoin d'y réfléchir, chacune de son côté. J'ai toujours du mal à concevoir que mon amie ait pu un jour être ainsi. Néanmoins, il s'agit de la vérité et je vais devoir faire avec. Même si son discours aurait dû m'effrayer, m'horrifier, je ne ressens que de la peine pour elle. Les probabilités ne sont pas de mon côté, mais en contrepartie, ma douleur n'est jamais très intense. Aurélia, c'est tout le contraire. J'aimerais des nouvelles, mais je sais qu'il me faut patienter. Lorsqu'elle se sentira prête, elle me téléphonera. J'espère que son envie de me voir avec son frère l'aidera dans ce but. En attendant, je suis chez moi et je bosse la psychologie.
Après plusieurs heures, je décide de me chercher un verre de lait, parce que c'est toujours remotivant de boire du lait. J'ouvre le frigidaire, prends la bouteille, remplis un verre, range la bouteille, porte le verre à mes lèvres. Et c'est le drame. Je sursaute, parce que la sonnerie retentit et le verre se brise, répandant le lait au sol. Quelle était la probabilité que cela arrive de façon si synchronisée ? J'hésite entre ouvrir ou ramasser d'abord. Me disant que ce n'est que le facteur, le seul qui sonne à cette porte, je me dirige vers la porte. Surprise, ce n'est pas la personne escomptée.
— Mike ?
Ma bouche est grande ouverte et les mots s'envolent dans un pays imaginaire. Aurélia s'est-elle attelée à la tâche plus vite que je ne le pensais ? Ou son frère vient-il me voir parce qu'elle va mal ?
— Tu as l'air d'avoir vu un fantôme, se moque-t-il.
J'élimine la seconde option. Il m'a l'air bien trop joyeux pour cela.
— Pardon, mais ta venue est...
— Improbable ?
Ne me parlez pas de probabilité, s'il vous plait !
— Il fait beau et j'ai pensé qu'un ciné, ce serait pas mal.
Aurélia l'a-t-elle ensorcelé finalement ? Mike frappe à ma porte et me propose un cinéma. Juste nous deux ? Telle est la question. A priori, je ne vois personne d'autre avec lui, mais, c'est bien connu, les héros, dans les histoires, arrivent toujours à organiser des plans foireux.
— Oui ? Non ? Peut-être ?
Je suis un peu désorientée, je crois. Il y a dix minutes, je me plaignais du silence et voilà que par enchantement, l'objet de mes pensées se trouvent devant moi. Même si le secret d'Aurélia est encore bien vivace dans mon esprit. Peut-être que le futur enseignant me le fera oublier ?
— Euh... ouais... D'accord. Par contre, entre, parce que je dois rattraper mes bêtises d'abord.
Il s'exécute tout en me fixant curieusement.
— J'ai sursauté au « ding-dong », j'en ai lâché mon verre. Je vais chercher la serpillière !
Le temps de trouver mon moyen de nettoyage, Mike a disparu de l'entrée. Je ne prends qu'une seconde à le retrouver dans la cuisine, ramassant les débris de verre qu'il trouve.
— Repose ça, tu vas te couper !
J'ai l'impression de gronder Sophie et j'éclate de rire. Il m'observe, perdu.
— Désolée. Ma remarque était stupide, on n'a plus cinq ans et ça n'arrive que dans les fictions à Aurélia que l'on se coupe.
Tandis que j'arrive avec la serpillière, il s'écarte pour me laisser le champ libre.
— Ah non, pour Aurélia, ce ne sont que les filles qui se blessent.
— C'est vrai !
Je termine rapidement de ramasser, puis vais chercher mes affaires. Me voilà parée à... Peut-on l'appeler rendez-vous ? Moi, j'en ai envie donc ce sera un rendez-vous ! Loin des dernières révélations.
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— Il était tellement nul ce film !
Les graphismes étaient horribles, le montage horrible, les personnages horribles, la romance horrible. Je ne sais pas comment lui trouver une qualité. Nous venons tout juste de sortir de la séance et je suis dégoûtée d'avoir payé 5 euros pour regarder un truc aussi stupide.
— Je crois que c'est la quatrième fois que tu le dis, sourit Mike.
La quatrième fois que Mike parle de tout, sauf de son avis. S'il l'a apprécié, il a le droit de le dire. Certes, je ne comprendrais pas son choix, mais il en a le droit.
— On a perdu notre temps ET notre argent.
Je secoue la tête tout en pensant qu'avec 5 euros, je pouvais m'acheter une part de cheesecake. Eux, ils en valent la peine.
— J'ai bien aimé Sulli. Je trouve que ses réactions étaient réalistes.
— Plus que tout le reste, ça c'est évident !
Je secoue une nouvelle fois la tête. Je ne laisserai plus Mike choisir, c'est une catastrophe.
Tandis que nous marchons sans but, un attroupement nous double à la sortie du cinéma. Parmi eux, je remarque une tête noire que je reconnais. Visiblement, elle ne me remarque pas, puisqu'elle poursuit sa route. Je la stoppe en tirant sur son sac.
— Hé, je peux savoir ce que vous avez ! crie-t-elle en se débattant.
Elle m'avise ensuite et s'exclame :
— Minah !
La tête de Mike fait son apparition et elle s'exclame :
— Mike !
A défaut de ne pas nous reconnaitre, Sophie a au moins retenu nos prénoms !
— Qu'est-ce que vous faites là ? s'interroge ma sœur.
Elle fronce les sourcils en nous dévisageant tour à tour. Elle a l'air de ne pas trop y croire. Je la comprends un peu, pour une fois.
— La même chose que vous, je suppose.
— Un ciné ?
J'hoche la tête.
— A deux ?
Nouvelle confirmation. Son regard s'illumine et elle approuve ses propres pensées en remuant la tête.
— Et toi ? Pourquoi ce comité ?
Elle grimace.
— Maman m'a inscrite à une espèce de colonie de vacances, hyper pourrie. Ça fait même pas une semaine et j'en ai marre. J'ai l'impression d'être entourée de bébé.
Une seconde, je retiens mon souffle, peinée. C'est en partie ma faute si elle se retrouve avec eux. Ma mère m'a demandé de l'héberger quinze jours, histoire que le couple puisse partir en amoureux. J'ai refusé, espérant qu'elle comprenne que ce n'est pas à la carte ce genre de chose. Surtout quand on refuse la garde partagée.
— Mais t'en fais pas, je gère !
Sophie sourit, mais cela ne change rien. Elle est coincée avec des gens qui n'ont rien en commun avec elle. Il ne manquerait plus que ce soit une colonie croyante et que ma sœur soit obligée de prier, elle qui ne croit que ce qu'elle voit !
— Façon Sophie ? lui souris-je.
La petite-fille de douze ans lève ses pouces en l'air, puis pose son regard sur Mike. Je l'ai oublié, d'ailleurs. Il est si discret !
— Surveille-la bien pour moi, ok ?
— Sans faute, lui retourne-t-il avec un clin d'œil.
Ma petite sœur part ensuite rejoindre ses camarades, le sourire peiné. Elle aurait aimé pouvoir rester avec nous. J'aurais dû le lui proposer et je n'ai rien fait.
— Ça ne va pas ? m'interroge doucement le frère d'Aurélia.
Je me tourne vers lui, laissant Sophie avec sa colonie. Le moment présent, il est ici.
— Ma mère m'a demandé de la garder et j'ai refusé. Je pensais bêtement qu'elle comprendrait mal agir.
— Tu veux qu'on aille au parc ?
— Ok !
Même si je ne comprends pas très bien le rapport avec ma phrase. Peut-être qu'il ne sait simplement pas quoi répondre ? Moi-même, je trouve ça compliqué. Néanmoins, le parc est une bonne idée. Situé à un quart d'heure de marche, il nous faut passer par un pont et j'adore admirer l'eau ruisseler. Le mouvement des petites vagues est apaisant et les reflets sont envoûtants. Je pense que c'est pile ce qu'il me faut aujourd'hui. Cela remettra sans doute mes idées en ordre.
— As-tu pensé à laisser tomber ?
Je pivote ma tête vers lui tout en lui demandant de quoi il parle.
— Pour ta mère. Tu penses à Sophie en agissant de la sorte, mais est-ce que cela lui rend service finalement ?
Evidemment que non. C'est elle seule qui subit les conséquences. Pourtant, à chaque fois, je ne peux pas m'empêcher de me dire que ce sera différent. Que ma mère va enfin saisir qu'elle fait du mal à ma sœur, en la laissant comme un animal.
— C'est difficile d'abandonner. Sophie n'a jamais vraiment vécu avec mon père, alors elle ne se rebellera jamais comme je l'ai fait.
Je repense à l'année de mes 8 ans. J'ai enchainé les bêtises, montant crescendo dans leur gravité. Je suis même arrivée à tenter une fugue. Certes, je suis simplement allée chez mon parent, mais pour l'enfant que j'étais, c'était incroyable ! En fin de compte, j'ai obtenu ce que je désirais : vivre avec mon père.
— Pour elle, l'attitude à ma mère est normale, alors elle serre les dents et subit. J'aimerais lui éviter ça sur le long terme, pas simplement jusqu'à sa majorité.
J'ai peur qu'elle ne soit purement et simplement mise à la porte à sa majorité, peut-être avant, dans la mesure où mon père est capable de l'accueillir. Ce serait tellement cruel et injuste ! Mais, je n'en serais pas étonnée.
— Penses-tu sincèrement que ta mère changera ?
Non. Plus elle vieillit, plus elle devient méchante et égoïste. Elle ne pense qu'à ses manucures, qu'à ses voyages, qu'à ses intérêts. Ma sœur, c'est un bonus. Elle aime recevoir les compliments à son sujet. « Votre fille est bien resplendissante. » « Votre fille est intelligente ! » « Votre fille vous ressemble tant ! » C'est sûr que moi, je ne peux pas lui procurer tant de fierté. Je ne lui ressemble en aucun point, qu'importe l'angle avec lequel on regarde nos personnes.
— J'y ai déjà réfléchi et je ne peux pas simplement baisser les bras.
— Je pense que Sophie apprendrait davantage au contact de ton père et toi. Elle comprendrait qu'elle ne doit rien attendre de votre mère.
Sans le consulter, je m'arrête face à l'étendue d'eau. Je m'adosse au garde-corps et laisse mon regard se perdre parmi les cygnes qui nagent là.
— Peut-être que c'est la solution la plus censée... soufflé-je.
J'imagine le vent qui s'intensifie et emporte mes mots, loin, comme une prière. Dans la même seconde, je pense à mon amie et je me dois de questionner Mike.
— Aurélia, elle t'a parlé de quelque chose ?
Je lui lance un regard en biais et la surprise qui s'affiche sur son visage, me laisse penser que oui, Aurélia a évoqué notre conversation.
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