Chapitre 20

La bouche grande ouverte, Aurélia me fixe, une envie de meurtre dans ses prunelles. Pour Léo, comme pour moi. J'ai gardé cet épisode de ma vie pour moi. Je n'en suis pas fière, même s'il m'a permis de grandir.

Je glisse la main dans mon sac et en ressors mon journal. Il commence à la date de ma première rencontre avec Léo et s'achève sur mon combat pour oublier. Je ne pense pas avoir de talent pour l'écriture, mais qu'importe. Ces mots, ce sont eux que j'ai employés pour avancer. Pour me relever. Ils font partie de moi et ils sont moi. J'en suis fière, même si tout n'est pas parfait.

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— Tu auras plus de détails là-dedans. Je n'ai raconté que la fin, le reste était une illusion.

Cela ne vaut pas la peine d'être évoqué. Et pourtant, ce mirage, je l'ai aimé.

Aurélia se saisit du carnet, sans lui jeter un regard.

— Un journal ?

Sa voix tremble, tout autant que ses lèvres et ses mains. Est-elle furieuse ou peinée ? Malgré moi je grimace. Je ne veux pas de pitié. Voilà, j'ai été dupée, mais je m'en suis remise et ce n'est pas si dramatique que cela tout compte fait. Il a perdu le pari.

— Au départ, il était pour toi. Je voulais que tu écrives notre histoire.

J'en étais tellement fière. Tout était si mignon, si léger, si simple.

— Ensuite, il est juste devenu mon défouloir et maintenant... je suppose qu'il peut toujours t'inspirer.

Je hausse les épaules, ne sachant pas trop ce qu'elle peut en faire.

Subitement, elle pose le carnet et se rapproche de moi.

— Minah, tu ne crois quand même pas que je vais m'en servir dans « MinMi », n'est-ce pas ?

Bien sûr que si. C'est bien pour cela que je le lui laisse.

— Tu as mon autorisation.

— Sûrement pas ! siffle-t-elle en se levant.

Mains sur les hanches, elle me foudroie du regard. Je déglutis. Qu'ai-je dit de mal ?

— L'histoire de «MinMi » est trop belle pour que je l'entache de la sorte !

Fiction que je n'ai toujours pas lue.

— Fais ce que tu veux, je voulais de toute façon brûler ce truc.

L'horreur se peint sur son visage.

— Ce truc ? Comment tu peux parler ainsi ? Ce truc, c'est une partie de toi, imbécile !

Elle se saisit du journal et l'abat sur ma tête.

— Putain Aurélia, je suis pas en béton !

Son regard ne change pas. Toujours foudroyant, je le sens pourtant se transformer légèrement.

— Ce truc, c'est ton histoire et il est hors de question de le brûler ou de le jeter ! Comment je peux être amie avec quelqu'un qui méprise tant les mots, se lamente-t-elle en secouant la tête.

— Pourrai-je le lire aussi ?

J'ai presque oublié sa présence, tant je me focalise sur Aurélia. Avant que je n'ouvre la bouche, cette dernière me devance. Le doigt pointé vers son frère, elle s'écrie :

— Et toi ? Comment tu veux que j'écrive une bonne histoire si tu ne réagis jamais comme on s'y attend ?! « Je peux le lire ? » c'est quoi cette question ! C'est sûrement pas la bonne réaction !

Certes, mais elle oublie que nous sommes loin de « MinMi ». La fiction ne ressemble pas à la réalité.

— C'est ce qui fait une bonne histoire, non ?

Je ne sais pas comment il peut la défier si calmement. Sa sœur a l'air d'être enragée, il ne manque que la fumée et le feu !

Je m'apprête à signaler que sa réaction n'est pas commune non plus, lorsqu'elle baisse les bras et s'accroupit devant moi.

— Mon Dieu, je suis tellement triste pour toi.

— J'ai déjà suffisamment pleuré, ne t'en fais pas.

— Evidemment que non ! s'exclame-t-elle en me prenant dans ses bras.

— Je...

— Tais-toi, me coupe-t-elle.

Elle se met ensuite à me tapoter le dos et j'ai l'impression d'être une enfant.

— Ce Léo, c'est un con. Franchement, si j'avais su, je l'aurais tailladé en pièce hier. Il mérite un peu plus qu'une baffe ! Et ses amis, ils ne valent pas mieux ! Et cette réplique à la fin, « ton pari se fait la malle », c'est grandiose ! Je ne suis pas capable d'une phrase aussi détonante que ça, même en imagination.

— Auré...

— Non, tu n'as pas assez pleuré, alors ferme ta bouche et concentre-toi.

— Pour...

— Tu n'y parviendras pas si tu ne laisses pas tes pensées s'envoler.

Sa douceur me saisit et je finis par laisser tomber. Fermant les yeux, je me laisse bercer par le rythme lent et contrôlé de sa main sur mon dos. Contre tout attente, bien que ce geste m'apaise, les larmes se mettent à couler. Délicatement, elles ruissellent sur mes joues et tombent sur le t-shirt à ma berceuse. Je ne suis pas dévastée, je suis triste et en même temps sereine. Je pleure simplement, tranquillement, comme si je faisais des adieux. Peut-être ai-je trop pleuré sur le moment et pas assez après.

Après plusieurs minutes, Aurélia se recule et me tapote les joues.

— Toujours faire confiance à la romancière, me sourit-elle.

Je lui souris en retour, tout en stoppant ses mains. Je ne suis pas une enfant.

— Merci.

— Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?

La question me déroute et je quitte mon amie des yeux.

— Ça date d'il y a un an et il essaie de te parler maintenant, persiste Mike.

La sœur se redresse instantanément et menace, à nouveau, de son doigt le jeune homme qui partage une partie de son sang.

— Tu ne peux vraiment pas agir de façon rationnelle ?

Elle claque sa langue contre son palet, le mécontentement revenu.

— Je suis rationnel, plaide de suite Mike.

Je suis de son côté. Le futur enseignant réfléchit toujours avant de parler. Il n'aime pas la spontanéité, parce qu'il ne souhaite pas tomber dans les automatismes. Donc, il est des plus rationnels en ce moment.

— Tu m'exaspères à te contenter de toujours regarder, puis de balancer des mots qui n'ont aucun sens ! Elle n'a aucune raison de lui adresser ne serait-ce qu'un regard, c'est compris ?

— Laisse-le finir, s'il te plait.

— Minah ! Il va juste t'embrouiller le cerveau avec des idées très mauvaises !

Mike a toujours eu de très bonnes idées et de très bons mots, jusqu'à présent.

— Ton frère ne parle certes pas beaucoup, mais lorsqu'il le fait, ces propos sont toujours avisés.

Elle grogne, mais abdique. Bien sûr, elle se tient toujours prête à lui asséner un coup sur la tête, si le pas est trop faux à son goût.

— Pourquoi il reviendrait, un an plus tard ? Pour s'expliquer ? Pour s'excuser ? Pour être sincère ? Tu n'as pas envie de savoir ?

Aurélia grince des dents. Son frère me donne de bonnes raisons de rencontrer Léo et elle déteste ça.

— Et prendre le risque d'être un nouveau pari ?

Ma question n'attend aucune réponse. Je préfère ne pas savoir, plutôt qu'il se pavane ensuite. Je ne lui ai pas pardonné.

— Qu'il gagne ou qu'il perde, qu'est-ce que ça peut te faire ? N'as-tu pas tourné la page ?

Touchée. Même si « tourner » n'est pas exactement le bon terme. Je parlerais plutôt de « noyer ». D'accord, ce n'est pas tout à fait la même chose.

— N'as-tu pas assez de recul pour ne considérer que ta victoire à toi ?

— Quelle victoire ? plaidé-je. Le pari se fait la malle et revient désespéré ?

— L'es-tu ?

Bonne question. Je jette un œil à Aurélia, espérant bêtement qu'elle pourrait me donner la réponse. Celle-ci accorde davantage de crédit à son frère, car elle a abandonné sa posture menaçante. Une main sur le journal, elle semble réfléchir et approuver plus ou moins le raisonnement à Mike.

— Stressée, anxieuse, terrifiée, oui. Je n'attends rien de sa part.

— Alors, qu'as-tu à perdre ?

Aurélia perd son calme et s'ébouriffe ses cheveux.

— Je déteste lui donner raison ! Mais Minah, c'est le meilleur conseil que j'ai entendu pour le moment.

— Le seul autre conseil, c'est le tien qui clame que je n'ai pas à lui adresser un regard, ce n'est pas bien difficile du coup.

Elle se vexe un instant avant de sourire. Et sous leur regard, je débloque Léo de Facebook et lui donne rendez-vous le lendemain, devant la piscine.

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