Chapitre 2
Je me saisis du jus de pomme, remplis le verre, range et monte dans la chambre d'Aurélia. Je dépose l'objet, puis je m'assois comme un sac sur son lit, avant de m'allonger.
— Ton verre a tenté de se téléporter ? questionne-t-elle immédiatement.
Elle me lorgne, comme si je venais de commettre un crime. C'est sa façon à elle de me demander ce qui m'a pris autant de temps et de me le reprocher gentiment. L'écrivaine n'est pas à faire attendre en pleine concentration !
— J'ai croisé ton frère, chuchoté-je.
Je retiens la leçon tout de même !
Comme si je n'avais rien dit, elle boit cul sec son jus. Elle avait soif dites donc !
— Et donc ? Il n'était pas en caleçon, non ?
Sitôt, je me l'imagine, puis ferme fort les yeux pour laisser filer les images. Ils sont de la même famille, bon sang. Mon amie l'a-t-elle oublié ?
— Aurélia, évite ce genre de commentaire sur ton frère, s'il te plait.
— Ok. Mais est-ce que tu as un autre sujet ? Tu es en boucle.
Innocemment, je me redresse et tente de faire la moue la plus craquante possible. Même si, entre nous, la fille en face de moi est la plus forte à ce jeu.
— Je vais lire ton chapitre ?
Instantanément, elle irradie de bonheur et me laisse la place sur le fauteuil. Elle s'assoit, pour sa part, sur son lit et me fixe. C'était comment détourner le sujet de la conversation en quelques secondes chrono !
Dès les premières lignes, je replonge dans son univers, où des fées et des dragons volent en tout sens. Évidemment, mon amie est là pour m'en sortir.
— Si tu veux, j'écrirais une histoire sur vous.
— Qui « nous » ?
Le regard levé vers elle, je penche la tête de côté.
— Aitch ! Fais pas ça, c'est trop mignon !
Je ris en secouant la tête, puis me concentre à nouveau sur le roman. Bien sûr, je n'arrive plus à comprendre une seule ligne. Aurélia aime trop parler.
— Sur toi et Mike.
— Ne raconte pas n'importe quoi.
De un, il n'y aucune raison de parler de Mike et moi, de deux, c'est son frère.
— J'te jure, j'en ai trop envie ! C'est hyper inspirant comme situation !
Je la foudroie du regard. Il n'y a rien d'inspirant du tout.
— Aurélia, ou je lis ton histoire, ou nous parlons. Les deux, je peux pas.
Elle fait claquer sa langue sur son palet, tout en me pointant du doigt.
— Tu vois ce que j'éprouve quand j'écris et que tu me parles ! s'insurge mon amie.
Je soupire. D'accord, je la comprends mieux.
— Parlons, décrète-t-elle.
Elle me semble beaucoup trop sérieuse et cela m'inquiète. Que va-t-elle m'annoncer ?
— Je t'écoute.
Mon regard rivé sur sa personne, je suis tout ouïe.
— Bon alors voilà. Depuis la première fois que t'es venue, je sens un potentiel énorme sur les événements ! Je vois trop bien un début jusqu'à maintenant et puis, un cours qui dérape. Genre t'es pas trop bien à cause de tes parents et du coup, t'arrives pas à te concentrer. Le débile, lui, il a la main sur le cœur, alors il te demande ce qu'il y a et là boum, ça part en vrille. Vous passez des heures à parler et ça se finit...
— Ça part en vrille, oui, la coupé-je en agitant mes mains devant moi.
Le problème des inspirations soudaines de mon amie : leur réalisme. Elle insère dans ces récits des faits qui pourraient réellement se produire, c'est flippant. Je la décourage donc toujours d'écrire une histoire de moins de dix mille mots, et il est évident que cette aventure ne peut pas dépasser cette limite. Les cours avec son frère ne vont pas déraper, et Aurélia se contentera de faire déraper son histoire.
— Mais je ferais plusieurs centaines de vues avec ce genre de truc !
La plupart de ses histoires sont empreintes de sincérité et elle y met tout son cœur. Malheureusement, parfois, l'appât du gain la conduit à ce genre de comportement puéril. Ce ne sont pas les vues qui importent, mais la qualité de ce qu'on écrit. Mon amie n'a rien à prouver : elle est déjà une grande autrice. Elle reçoit, par ailleurs, des centaines de commentaires par semaine.
— Je me fiche de tes vues qui ne veulent rien dire.
— Plus j'ai de vues, plus j'ai de chance d'être remarquée.
Je grogne avant de la fusiller du regard. Sur ce point, elle n'a pas tort.
— Écris ton histoire si tu veux, mais oublie-moi dedans.
Ses lèvres s'étirent en un sourire raté et elle fait s'entrechoquer un doigt de chaque main entre eux.
— Aurélia ?
Elle a forcément fait une bêtise !
— Eh bien, j'ai essayé, vraiment ! Mais j'arrive pas à m'imaginer d'autres perso à la place. C'est vous qui devez porter cette histoire, je le sens.
Je me frappe le front avec la paume de ma main. Quand elle écrit, la jeune fille ressent une certaine osmose avec ses personnages. Et visiblement, cette fois ne fait pas exception.
— Ton histoire, là, je te connais, elle ira beaucoup trop loin et c'est carrément bizarre. C'est ton frère.
Ce qui ne semble pas, le moins du monde, la déranger. Au vu de la façon dont elle traite le membre de sa famille, ce n'est pas très étonnant.
— Au moins, j'ai pas besoin de demander les droits d'auteur, rétorque-t-elle en croisant les bras.
Il n'y a que moi que cela gêne, visiblement.
— Aurélia, c'est non.
J'essaie de paraitre assurée et ferme, mais je la connais, elle gagne presque toujours.
— Trop tard, j'ai commencé.
Son regard innocent, couplé à ses gestes d'enfant, me font craquer. Je répète : il devrait être interdit d'être si mignonne à vingt ans.
— Publie-la après la fin des cours et ne compte pas sur moi pour lire.
Sur ce point, elle ne devrait pas être trop pénible. Elle a tellement d'autres fictions à me partager !
— Super ! Tu sais que je t'aime, hein ?
— Je peux ? demandé-je en désignant l'ordinateur.
Elle hoche la tête et je peux enfin apprécier ma lecture. Même si cette histoire s'ancre dans un coin de ma tête.
# # # # #
— Tu as cinq minutes ? questionné-je Mike à la fin du cours.
Une semaine est passée depuis l'annonce d'Aurélia et chaque fois que je regarde son frère, je m'imagine son histoire. Je suis traumatisée.
— Ton problème me concerne ? rétorque-t-il en s'arrêtant de ranger.
Comment a-t-il deviné ? Peut-être que sa sœur n'est pas si stupide, avec son idée d'une Minah peinée et d'un Mike au petit soin.
— Ton visage, explique mon élève en souriant.
Ah ben oui. Il me l'a dit la semaine passée, je suis trop expressive.
— Tu suis un peu la vie d'Aurélia ?
Cette dernière n'a jamais évoqué davantage que la petite-amie détestée, je ne sais donc pas grand-chose sur la façon dont Mike la traite. Je ne pense pas qu'il soit aussi méchant qu'elle à son encontre.
— Elle m'appelle par tous les noms possibles sauf le mien, mais elle reste ma sœur. Je vérifie qu'elle ne deal pas, si ça répond à ta question.
Je hoche la tête et regarde aux alentours si la jeune femme n'a pas décidé de sortir. Il ne manquerait plus qu'elle ajoute cette scène à son mini-roman ! Je reporte ensuite mon attention sur lui. Son regard est bien différent de celui de sa sœur. Si Aurélia a des yeux bleus très clairs, ceux de son frère sont d'un brun extrêmement foncé. C'est assez perturbant de les trouver plus beaux que ceux de mon amie. Les yeux bleus me font normalement toujours craquer. Ils m'ont déjà fait craquer par le passé.
— Est-ce que tu lis ses histoires ?
Je n'ai pas tourné autour du pot, puisque c'est inutile. Il n'y a pas de bonnes façons de l'annoncer, il faut simplement le faire.
— Oh ! s'exclame-t-il avant de rire.
Je ne comprends pas ce qu'il y a de drôle. Alors je l'observe, perdue.
— C'est son nouvel écrit qui te dérange ? m'interroge-t-il, soudain très sérieux.
Son nouvel écrit ? Quoi ! Elle a publié sans rien me dire ! Elle avait pourtant promis d'attendre la fin des sessions ! Si elle redescend dans notre monde avant mon départ, je l'étripe.
— Attends, elle a déjà mis quelque chose en ligne ?
Je veux être certaine qu'on parle du même ouvrage.
— Oui, la semaine dernière. Juste après ton départ.
— Je vais la buter.
J'en ai très envie sur le moment. Cependant, le frère se met à rire. Merci de ne pas se moquer aussi ouvertement. Je suis la professeure particulière, à ce que je sache. Le respect, où est-il ?
— Ce n'est pas drôle.
Mon ton cassant fait s'envoler la légèreté du moment.
— Elle ne connait aucune limite.
Malgré moi, je grimace en m'imaginant, trente secondes, ce que son histoire pourrait devenir. Puis je m'aperçois à quel point je serais gênée, si Mike décide de lire cette chose. C'est impossible, hein ? Mike est sensé, il ne s'aventurerait pas dans un roman dont il est le personnage principal, n'est-ce pas ?
— Ce n'est qu'une fiction, plaide mon élève.
— Une fiction dont nous sommes les principaux protagonistes. Je connais Aurélia, je la lis depuis que je l'ai rencontrée, ça va vriller un moment ou un autre.
Sans doute plus tôt qu'on ne le pense, d'ailleurs.
— Tu lui en as parlé ?
— Bien sûr !
— Et tu lui as finalement donné l'autorisation, non ?
J'ouvre la bouche, puis la referme. D'accord, le serpent vient de se mordre la queue.
— Aurélia est trop mignonne pour qu'on lui refuse quoi que ce soit, argumente-t-il.
J'aurais plutôt dit qu'elle parvient toujours à ses fins, mais bon, ce n'est que mon avis.
Je suis frappée par la différence de registre lorsqu'il évoque sa sœur et lorsque la sœur l'évoque. Ce sont deux respects totalement opposés.
— Je lui ai demandé d'attendre, grogné-je.
— Quand on parle écriture, Aurélia n'a aucune patience.
Je soupire et avoue ma défaite. Sa sœur est imbattable.
— Ça ne te dérange vraiment pas ?
Je veux être certaine que ce ne sera pas un problème pour lui, ni maintenant, ni plus tard. Pour moi, cela restera un problème, maintenant, demain et plus tard.
— Non. Aurélia fait tout le temps ça. Quand elle a rencontré Eliott, elle s'est mise à écrire. Quand elle a rencontré Zack, elle a écrit. Quand elle a rencontré Raphaël, elle a écrit. Quand elle a rencontré la petite-sœur d'Ashley, elle a écrit. Chaque nouvelle tête lui donne envie de coucher sur papier une histoire. J'y suis habitué.
Cependant, on parle de lui et de moi, cette fois. Aurélia nous connait depuis un moment, il me semble et de notre rencontre, elle n'a rien vu !
— Ok, si ça te va, je laisse couler.
Même si je garde dans un coin de ma tête que je ne dois surtout, surtout pas la lire.
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