Chapitre 19
Le lendemain, me rendre chez Aurélia est des plus stressant. J'hésite toujours entre simplement lui tendre le journal ou à l'expliquer plus brièvement à l'oral. Au cas où, je n'y parvienne pas, j'ai emmené le carnet. Sait-on jamais.
A mon arrivée, mon amie me conduit directement à sa chambre. Elle se met en tailleur sur sa chaise de bureau et m'invite à prendre place sur son lit. Ce que je fais.
— Je ne donnerais qu'une seule fois les explications, donc tu peux venir Mike.
Comme je l'ai pressenti, il est derrière la porte. Il reste dans son embrasure, comme s'il était curieux tout en reconnaissant qu'il ne mérite pas vraiment ces informations. Une nouvelle fois, je repousse ces déductions loin dans ma mémoire.
— Bon.
J'inspire un grand coup. Par où je commence ? Le début ? Ce serait long, non ?
— Léo, le gars d'hier, il était dans ma classe durant ces deux ans. Il est plutôt bon élève populaire et... c'est tout en fait, pour lui.
J'ai bien d'autres qualifications qui me viennent le concernant, mais je n'en connais pas la fiabilité. Il était attachant, protecteur, brillant. Puis, j'ai découvert une autre facette de lui et le château s'est effondré.
— Minah ne fait pas des trucs comme ça ! J'ai flippé !
Je souris et tandis que je poursuis, je retombe dans les souvenirs, vieux d'un an, comme s'ils étaient toujours mon présent.
— On est vraiment obligé d'y aller ?
Je gonfle mes joues, espérant le faire craquer. La plupart du temps, cela fonctionne et il cède à mes caprices. Pas cette fois. Il reserre son emprise sur ma main et colle un baiser sur ma joue.
— Oui. Je leur ai promis qu'on viendrait et ce que je dis...
— Je le fais, complété-je, les yeux levés vers le ciel.
Le jour se couche petit à petit, bien que le mois de février commence à être derrière nous. Je me souviens de la date du jour et boude un peu plus. Demain, nous fêterons nos deux mois et je ne sais pas pourquoi, mais j'y accorde de l'importance.
Nous arrivons chez Karen, une minute en avance, mais nous sommes les derniers. C'est étonnant, d'habitude personne n'arrive à l'heure. Ils ont tous une excuse : choix des vêtements, appels inopinés, casse-croute. Enfin, je m'en fiche pas mal. Je sais très bien qu'ils ne parviennent pas à arriver à l'heure. C'est pareil pour les cours et cela fait grincer des dents les professeurs.
— Salut tout le monde !
Ils sourient et nous renvoient l'ascenseur. Léo et moi nous installons dans le cercle, des coussins étant disposés. J'ai toujours trouvé que cela donne l'impression d'être dans une secte et que l'on va se mettre à invoquer les morts. Alors, certes, nous ne faisons rien de tel, mais parfois, nos commentaires haineux envers les autres me chagrinent. Pourquoi les mépriser de ne pas être semblables ? D'autant que je leur ressemble davantage qu'aux amis de Léo. Il ne m'a jamais défendue, parce qu'il n'en a jamais eu besoin. Ses amis ne s'en prennent pas à moi. Je n'ai jamais pensé à lui demander s'il s'agit d'une de ses requêtes. Enfin, la raison, je m'en fiche pas mal. Seul le résultat compte pour cette fois.
— Alors quelles nouvelles de votre côté ? s'enquit Tristan tout en mastiquant des chips.
— La routine.
J'essaie toujours de rester la plus vague possible, parce que je n'aime pas leur parler de Léo et moi. Ils sont bien trop attentifs dans ces moments, comme s'ils cherchent la petite bête. Je ne pense pas qu'il m'ait réellement acceptée parmi eux, mais pour leur ami, ils font un effort. Et cela me convient. Je n'ai pas besoin d'amis comme eux.
— Rho, tu ne racontes jamais rien ! se plaint Karen. Anna adore pourtant nous raconter des détails sur son histoire !
La dite Anna sourit en feignant l'innocence. Je ne suis pas comme eux et malgré tous leurs efforts, ils ne parviennent pas à le saisir.
— Minah aime le suspense et les secrets, me défend mon petit-ami.
Il m'attire à lui et me serre.
— Désolée.
La conversation dérive sur divers sujets, les cours, les examens et bien évidemment notre avis sur les autres. Comme si nous pouvions les juger. Martin s'est habillé trois fois d'affilé de la même façon et alors ? Fiona est venue avec un vieux pull et un jean délavé, et alors ? Gaëtan a répondu sèchement à sa petite-amie, et alors ? Je peux continuer ainsi à l'infini, tant ils ne sont jamais à court de critiques. Souvent, j'ai peur que je sois l'une de leur victime, une fois que je ne suis plus avec eux. J'essaie de me rassurer sans cesse, me répétant que Léo est là pour me défendre.
Ils décident subitement de jouer à action/vérité. Je tente évidemment de m'éclipser. Ce jeu, c'est l'enfer, le diable. Les vérités sont toujours indiscrètes et les actions gênantes. Je n'aime aucunes des deux. Et je sens qu'en cette fin de soirée, ils sont bien inspirés.
— On sera gentil, promis ! plaide Tristan.
L'échange de regard entre lui et les autres ne passe pas inaperçu. Qu'ont-ils prévu de me faire faire encore ?
Il est vrai, qu'au départ, ils sont sympathiques. Je me laisse bien entendu bercer par leur vérité déjà connue et leurs actions qui font simplement sourire. Puis vient le moment que je redoute depuis le début. L'instant où la soirée part en vrille.
— Est-ce que vous l'avez fait ?
Je crois que je n'ai pas besoin de formuler la réponse pour qu'ils la comprennent. Léo à côté de moi s'agite. Visiblement, il n'aime pas en parler non plus. Et à juste titre bon sang ! Ça ne regarde que nous ! Inutile d'apposer une grosse pancarte.
— Alors ?
Je déteste leur façon de me pousser à dire les choses. Je n'ai pas envie, et alors ? Il n'y a qu'eux qui s'amusent de me mettre mal à l'aise !
— Non, finis-je par souffler.
Ils hochent la tête de façon unanime et j'espère recevoir un appel, n'importe qui n'importe quoi. Tant que je peux quitter cette maison, je suis d'accord.
Je pense alors à Aurélia, mais déchante très vite. La période qu'elle vit est plutôt sombre. Elle espère vivre un jour de l'écriture et pour y parvenir, elle a rejoint une prépa littéraire. Elle a décidé de se donner à 2000%, quitte à y laisser quelques plumes. Je la soutiens totalement et cela passe par l'absence de messages et d'appels. J'attends qu'elle s'autorise à souffler. De ce fait, je suis certaine qu'elle ne me sortira pas de là, elle doit être en train de réviser pour son prochain examen.
— Minah, tu es avec nous ? m'interpelle Karen.
Je cligne des yeux et lâche un rapide « oui ». En vérité, je suis à des années lumières d'ici. J'envie Aurélia qui est capable de s'imaginer des mondes inconnus et intrépides. Moi, je n'ai pas d'imagination. Seuls mes souvenirs peuvent hanter mes pensées. Cela ne me permet pas de m'évader, malheureusement. Je suis juste encore plus mal.
— Action ou vérité ?
Si je dis vérité, ils reviendront sur ma relation avec Léo, si je dis action, ils m'obligeront à agir avec Léo. Je préfère encore les mots que les actions. Ça fait en général moins mal.
— Vérité.
— Wow deux fois de suite, Minah est joueuse ce soir !
Tandis qu'ils réfléchissent, Léo me glisse un « Ça va ? ». Bien sûr que non, ça ne va pas. J'ai besoin de lui faire un dessin ou quoi ? Je n'ai pas le luxe de lui répondre, la question tombe dans le brouhaha ambiant.
— Tu comptes le faire ?
Je crois que les mots sont insuffisants pour exprimer mon étonnement et ma fureur. Qu'ils se mêlent de leurs affaires bon sang ! Je n'ai pas besoin de leur curiosité mal placée !
— Je pense que ça ne vous regarde pas.
Je sens que ma réponse est une erreur. Les regards s'échangent et les lèvres s'étirent. Ils n'attendaient que cela : un refus. Je ne sais pas ce que je fais là. Ils ne sont clairement pas mes amis, je n'ai rien en commun avec ces vautours.
— Tu as un gage !
Je me sens soudainement loin de tout et me demande ce que va faire mon petit-ami. Il doit me soutenir, non ? Il ne me laissera pas seule, si ?
— Le bisou, le bisou ! scandent-ils alors tous.
Et après ? Que vont-il me demander ?
Je jette un œil à Léo, il hausse les épaules, petit sourire.
Qu'est-ce que je fais ici, bon sang ?
— Ohhhhhh !
Du coin de l'œil, je les vois lever les mains vers le plafond. Non, je ne fixe pas mon petit-ami pour accéder à leur demande. Je le fixe pour savoir s'il est avec eux, ou avec moi. A la lueur qui brille dans ses yeux, je sais qu'il ne me soutiendra pas, pas cette fois. Lui, il aime ces soirées débiles où l'alcool coule à flot et où les bouches se délient. Je n'ai besoin d'aucun artifice pour dire ou faire ce dont j'ai envie. Et là, en cet instant, je ne veux pas d'un bisou.
Je bondis sur mes pieds et rassemble mes affaires. Léo réagit de suite, tente de me retenir, plaide la « rigolade ». Je n'ai pas envie de rire. Je rêve moins de romantisme que la moyenne des filles, mais il y a des sujets sur lesquels je suis intraitable. Léo ne veut pas me soutenir ? Tant pis, il finira cette soirée seul, à boire pour oublier. Moi, je compte oublier dans mon lit.
Je me détache de lui et marche à grandes enjambées vers la sortie. J'ai déjà ouvert la porte, lorsque le regard de mon petit-ami me revient en mémoire. Bon sang, il a vraiment l'air peiné que je m'en aille. Je claque la porte et rebrousse chemin. Ils crient tellement fort, qu'ils ne m'entendent pas. Et mon cœur se serre soudain.
— Purée, elle est une rebelle incroyable ! s'exclame Karen.
— Nous qui pensions qu'un seul mois suffirait !
Le souffle court et les larmes au coin de l'œil, je me force à rester immobile, cachée derrière le mur. Même si ça fait mal, même si je veux hurler, je dois entendre la suite. La vérité. Leur vérité.
— On va tous perdre notre pari si ça continue !
Mes jambes peinent à me soutenir et ma main étouffe mon propre cri. Je ne me suis jamais sentie aussi honteuse. Je me suis laissée bercer par ses mots flatteurs et son sourire d'ange.
— Moi, je vous l'avais dit. Minah, elle est une coriace qui tient à ses idées.
Mon cœur se serre davantage. J'ai l'impression que quelque chose m'empêche de respirer. Je repense à nous et l'envie de pleurer s'intensifie. Pourtant, je m'avance doucement.
— Mais pas de problème, elle finira par céder.
Le sourire vainqueur de Léo me brise un peu plus. Cependant, je suis soudainement emplie d'une nouvelle énergie. Il croit avoir déjà gagné. Mais il n'en est rien. Je vais le mettre échec et mat et partir avec éclat.
— Ah oui ? Tu crois ça ?
Tous les regards convergent vers moi. Celui, horrifié de mon « petit-ami » me satisfait.
— Minah, tu n'étais pas partie ?
Sa moue est horriblement craquante. Si seulement elle était sincère.
— Non, je voulais revenir et m'excuser. Mais je crois que je n'en ai pas besoin, n'est-ce pas ?
— Attend, on va t'expliquer, tente Tristan.
Je le foudroie du regard. Qu'il ose encore ouvrir la bouche et je l'assomme.
— Minah ce n'est pas ce que tu crois.
— Les mensonges te vont bien finalement. Tu devrais faire acteur, tu as une brillante carrière qui t'attend.
Il s'avance vers moi, tente de me toucher les bras. Je souris et expire longuement.
— Je t'aime, plaide-t-il.
Est-il réellement sérieux ? Il sait que j'ai entendu et il essaie encore ! Son pari est si important que ça ?
Un instant, je profite de la douceur de ses mots. Les imprègne dans ma tête, mon corps et mon cœur. Les scelle dans ma mémoire, mes cellules et mon cœur. Puis, je lève le regard vers lui, lui fais mon plus beau sourire -qui doit être une catastrophe, puisque je pleure- et attend qu'il sourit à son tour. Enfin, je lève ma main et le gifle. La marque rouge se grave sur sa peau. J'espère qu'elle s'ancre dans sa chair.
— Navrée de te l'annoncer, ton pari se fait la malle.
Et je tourne les talons, sans un regard en arrière.
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