Chapitre 18
— On te ramène ? interroge Aurélia.
Je me place de biais, afin de la pouvoir la voir. Elle s'est visiblement approchée à pas de loup, parce que je ne l'ai pas entendue se rapprocher.
— Je veux aussi connaitre l'histoire.
Elle semble m'en vouloir et elle ne connait encore aucun détail.
— Pas ce soir, Aurélia. Je veux rentrer chez moi.
Je la supplie presque.
— Tu m'as promis. Demain, ok ?
Je hoche la tête. Pas sûre que demain, je sois plus courageuse.
— Tu sais que je fais ce que je dis.
Malheureusement, je n'aurais pas le choix.
— Bien. Je monte en voiture avec Eliott, si tu n'en parleras pas.
— Pourquoi j'en parlerais avec ton frère plutôt qu'avec toi ?
Elle a un sourire en coin avant de s'en aller. Je dois l'interpréter comment ? Mike s'en fiche de toute façon ! Il est là, comme un pot de fleur en décoration !
— Tant pis, décrété-je.
Nous montons alors en voiture. Le silence est... Je ne sais pas. Léo neutralise mes sentiments. Est-ce qu'il m'a vue partir avec les autres ? Est-ce qu'il est déçu ? Est-ce qu'il va m'appeler ? Est-ce que... Bon sang Minah, arrête avec les questions. Tu ne souhaites pas connaitre les réponses !
— Tu en es où dans ta reconversion ? interroge Mike, l'air de rien.
Je suis certaine qu'il perçoit mon anxiété. Je ne sais pas vraiment ce que je veux : qu'il me pousse à parler ou qu'il accepte mon refus implicite ? Je pense que sa position de décoration me convenait.
— J'essaie de prendre de l'avance sur les cours, histoire d'être au même niveau que les autres. C'est plus difficile que prévu, mais je pense qu'avec beaucoup de travail, je vais y arriver. Et toi, pas trop angoissé pour septembre ?
— Absolument pas. J'ai vraiment hâte d'avoir ma classe et d'apprendre de mes erreurs.
Un Dieu vivant. Sophie a raison sur ce point. Est-ce que Mike a déjà vraiment déçu quelqu'un ? Peut-être Ashley ? C'est sûr, puisqu'il a choisi une voie qui ne lui convient pas. D'ailleurs, garde-t-il contact avec elle ? Comment s'est déroulé la rupture ? L'a-t-il affrontée ?
— Le métier d'enseignant est fascinant, même si extrêmement fatiguant. Les maternelles sont les plus terribles, mais ce sont aussi les plus attendrissants. Ils font des bêtises et ne s'en rendent pas forcément compte. Je crois que j'aimerais avoir ce niveau, il développerait davantage ma patience.
Je secoue la tête. Il n'a pas besoin d'améliorer quoi que ce soit !
— Tu es déjà très patient et les enfants t'aiment déjà, non ?
— Individuellement, je n'ai pas de problème. Quand ils sont en groupe, c'est un peu plus difficile.
Oh, c'est vrai qu'une tête qui pleure et plus facile à gérer que 20 têtes en même temps. Je m'imagine 20 Sophie et je grimace. Ce doit être horrible.
— Et les profs, poursuit le conducteur, s'ils ne désirent pas continuellement apprendre, ça peut devenir très vite compliqué. Le type d'élèves change très souvent et on doit constamment s'adapter.
Je souris.
— Je pense que tu feras un très bon prof.
N'en déplaise à certains !
— Merci.
Je reporte mon attention sur l'extérieur et reconnais ma rue. Je suis impatiente de rentrer chez moi. Je vais monter dans ma chambre, laisser mon regard se perdre et... déprimer. Bon, le plan n'est pas génial, mais je crois que ça m'aidera ?
A peine suis-je sortie du véhicule que Mike me stoppe. Pour une fois, il n'a pas lu sur mon visage mes intentions. Je lui fais alors face et attends. A-t-il quelque chose à m'annoncer ? Peut-être compte-t-il relancer le sujet de ma fuite ? Ou évoquer Ashley ? Ou sa sœur et son ami ? Peut-être qu'il va me remercier, c'est en partie grâce à moi que les choses ont évolué.
— Est-ce qu'on est amis ? lâche-t-il soudain.
Je crois que ma bouche s'ouvre en grand, parce que de toutes mes suppositions, celle-ci était de loin la plus improbable. Elle sort de nulle part ! En quoi est-ce un élément majeur en cette fin d'après-midi, alors que je ne souhaite que prendre la tangente ?
— Même si l'amitié ne se résume pas au nombre d'heures passées ensemble, je ne pense pas que toi et moi, on soit amis. On est...
On est quoi d'ailleurs ? On aime passer du temps ensemble, c'est sûr. Mais on ne se contacte pas en dehors d'occasions spéciales, comme aujourd'hui. On n'est pas juste des connaissances non plus, même si de sa vie, je n'en sais pas grand-chose. Peut-être que je devrais me mettre à lire « MinMi », pour en apprendre plus. Je secoue la tête. Quelle idée grotesque ! Ce n'est pas de cette manière que je me sentirais plus proche de lui ! « MinMi » est une fiction, rien qu'une fiction.
— On est entre des connaissances et des amis, je pense.
Je ne sais pas si j'ai envie qu'il bascule dans la catégorie supérieure. Entre amis, c'est plus difficile lorsqu'il y a des sentiments, non ? Est-ce que c'est réciproque ? Est-ce que je vais le perdre ? Est-ce qu'on se parlera moins ? Est-ce qu'on sera mal à l'aise ? Toutes ses questions empêchent de devenir davantage qu'amis. Léo apparait dans ma mémoire et je relègue au deuxième plan ce souci. Je m'en préoccuperai plus tard.
— Tu ne me parles que parce que je suis le frère à Aurélia ?
Je suis trop perturbée pour faire réellement attention à ce qu'il ressent. Je veux simplement rentrer chez moi. Laisse-moi me retrouver avec moi-même ! Et ce carnet, que je n'ai pas ouvert depuis longtemps.
— Non, je ne me force pas à te parler. Mais ton lien de sang avec elle, m'empêche d'un certain côté d'être ton amie.
Qu'est-ce que c'est que cette discussion ?
— Pardon, mais pourquoi on parle de ça ?
— Je voulais savoir qui j'étais pour toi.
Après deux mois sans nouvelles ? Après des conversations ratées et des silences ? C'est une bonne idée, oui.
— Ma réponse t'a déçu ?
— Non, pas du tout.
Deux interprétations : je ne suis qu'une connaissance à ses yeux et je viens de le rassurer ou il pense comme moi.
— Vraiment ?
S'il me disait là, maintenant, que je ne suis qu'une connaissance pour lui, je le prendrais mal. Encore plus, si je ne suis que l'amie de sa petite-sœur. C'est vraiment dégradant comme titre. Je ne suis pas que cela.
— Oui, je pense comme toi. On ne peut pas s'appeler amis.
— Au moins, nous sommes d'accord, lui souris-je. Bon, j'y vais. A demain.
— A demain, confirme-t-il avant que je ne m'éloigne.
Je suis impatiente d'enfin pouvoir être triste sans avoir de questions ! Puis, je déchante lorsque je ferme la porte d'entrée.
— Est-ce qu'on peut parler ? m'interroge mon père.
Assis sur le canapé, il a la mine grave. J'ai l'impression qu'on lui a annoncé une mauvaise nouvelle. Est-ce Sophie ? Depuis qu'elle a décidé de se prendre en main, il lui arrive de se disputer avec ses camarades. Ça ne va jamais très loin, mais c'est suffisamment important pour que mon père soit contacté.
J'acquiesce en m'asseyant sur le canapé deux places, face à lui. J'avale péniblement ma salive. Bon, papa ce serait gentil de m'expliquer, je stresse moi !
— Tu as bien arrêté les cours, n'est-ce pas ?
Toute la tension retombe d'un seul coup et je ris presque de son inquiétude. Il n'a toujours pas abandonné au sujet de Mike.
— Oui, depuis décembre tu sais. Et tu sais aussi qu'Aurélia est mon amie, il est donc normal que je vois de temps en temps son frère.
— Elle n'était pas là, il y a un instant.
Je soupire, pose mes coudes sur mes genoux et ma tête dans mes mains.
— D'accord, point pour toi. Mais Mike et moi, on n'est pas vraiment ami ni davantage. On s'apprécie et on se voit de temps en temps, quand je suis avec Aurélia. Mais lui et moi, ça ne va pas plus loin.
Il arque un sourcil, l'air de me dire « Ouais, t'es sûre de ça ? ». En réponse, je soupire et me laisse tomber sur le dossier. J'ai l'impression qu'il n'abandonnera jamais.
— Vous discutiez de quoi ?
Je lui lance un coussin, parce que son air sérieux et annonceur de catastrophe ne correspond pas à la situation. Il n'y a pas mort d'hommes !
— De mon choix d'aller en psycho et du sien d'être instituteur. Rien de palpitant. Pourquoi tu refuses de m'accorder du crédit ?
— J'ai été jeune moi aussi.
— Il y a trente ans ? ris-je.
Il en profite pour me renvoyer mon cadeau précédent.
— Tu veux peut-être devenir psychologue pour enfant, mais en attendant, tu n'y comprends rien aux garçons, ma fille.
Enfin il se détend !
— Je te l'accorde ! Je ne comprends rien à leur logique immature.
Je repense à Zack et Raphaël, puis à Léo et grimace. Tout m'échappe royalement !
— Mais puisque tu m'épies dans l'ombre, tu vas pouvoir m'éclairer ! Je t'écoute.
Mon père toussote en prenant soin d'éviter de fixer ses yeux sur moi.
— Ce Mike là, il ne te regarde pas comme une amie.
— Je sais, il me l'a dit.
Les gros yeux de mon paternel me font comprendre qu'il n'a pas la même pensée que moi.
— Je veux dire, avant. On a mis les choses au clair, on est que des connaissances qui s'apprécient.
Il se râcle la gorge. Quoi ? j'ai raté quelque chose ?
— J'ai mal interprété ?
— Tu en vois beaucoup des jeunes qui se disent clairement être des connaissances qui s'apprécient ?
J'ouvre la bouche, la referme.
— Eh bien, non, dis-je finalement. Mais je ne côtoie pas non plus la terre entière et je ne vois pas ce qui est étrange dans le fait d'en parler. C'est bien, non ?
Mon père se frappe le front, tandis que je me dis que nous sommes spéciaux.
— Tu ne vois pas le signal qu'il t'envoie en grand ?
Le seul signal que j'aperçois, c'est celui de Léo et ce n'est pas vraiment positif.
— Je n'aime pas les signaux, ils sont trop difficiles à déchiffrer, grimacé-je.
— Ce Mike là, il veut plus que de l'amitié. J'ai un bon pif sur ce genre de choses.
Je ris avant de décréter aller à ma chambre. Je ne suis pas tout à fait prête à y penser sérieusement. Mon problème numéro un, c'est Léo et le journal que j'ai écrit, il y a douze mois de cela. Je ne sais même pas pourquoi je ne l'ai pas brûlé, comme prévu.
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