Chapitre 16
Plusieurs heures plus tard, nous nous trouvons sous le saule pleureur et j'attends leurs premières tentatives de lancer le sujet Eliott/Aurélia. Ils ont été sage jusqu'à présent, mais je me doute que c'est pour mieux briller ensuite.
— Tu publies quand la suite de « MinMi » ? interroge Zack, en engouffrant une chips dans sa bouche.
Je me crispe et ma main s'arrête près de mes lèvres. Cette chips ne me semble plus appétissante. C'est de la provocation, on est d'accord ? Il n'évoque pas ce sujet innocemment, impossible.
— C'est vrai qu'il y a un moment que l'histoire est en suspens. Tu as d'autres fictions en tête ?
Plus je côtoie Eliott, plus je me dis que ces deux-là iraient très bien ensemble. Ma chips me semble alors être la meilleure au monde et je la mange en souriant.
— Ma sœur en a toujours des milliers en tête.
— C'est l'inspiration qui me manque. Mes principaux protagonistes ne me donnent plus rien à me mettre sous la dent.
Pour appuyer ses dires, elles nous observent tour à tour. Je continue simplement de mâcher ma chips.
— Ah bon ? sourient les amis.
Mike et moi, on se contente de se fixer. Pour ma part, je me dis que les choses sont très bien ainsi. J'ai trop de pensées pour y accorder de l'importance. Lui, je me demande bien quel est son avis à propos de cette histoire. La suit-il toujours avec attention ?
— Tu n'as qu'à t'inspirer de cette après-midi. Ton personnage est aussi dans l'histoire, non ?
Aurélia a les yeux qui brillent, prête à se saisir d'un ordinateur et de laisser ses doigts filer à la vitesse de la lumière. Elle devra cependant attendre ce soir. La sortie n'est pas terminée.
— Tu veux dire mettre le fait qu'Aurélia ait dû convaincre Minah de venir ?
Je tique un peu, parce qu'elle parle de nous à la troisième personne, mais confirme ses propos.
— Argh, je déteste quand elle se lance de cette façon, se plaint Zack.
Eliott, lui n'est pas de cet avis, car à l'instar de mon amie, il lui lance un regard noir.
— Tu dis que c'est l'anniversaire à Mike, que Minah doit absolument être présente. Evidemment, les amis du protagoniste sont des idiots avec des idées idiotes -j'en profite pour une petite piqûre de rappel- et tout cela se finit en grosse dispute.
— Pourquoi ça doit se finir mal ? boude Aurélia.
Parce que notre histoire ne peut que mal se finir ? Je ravale ma pensée. Les choses ont changé : Mike n'est plus avec Ashley. Pour autant, il ne me donne pas l'impression d'être intéressé. « MinMi » le rend curieux, pas moi.
— Pourquoi ça doit toujours se finir bien ? rétorqué-je.
— Mike et Minah ont assez souffert comme ça ! plaide-t-elle.
Elle accompagne ses mots d'un lancer de chips dans ma direction.
— Pourquoi ? Ils ont vécu quoi ?
— Tu ne lis pas ? s'étonne Eliott, à côté de moi.
— Pourquoi je lirais ?
Cela me semble toujours étrange et je ne suis pas certaine que cela aide mes pensées à se calmer.
— Parce que ça te concerne, réplique Raphaël.
— C'est une fiction. Jusqu'à preuve du contraire, son frère et moi, on ne s'est jamais tenu la main, et encore moins embrassé.
Etrangement, les regards se dirigent vers Mike. Ont-ils vraiment besoin qu'il confirme ? Aurélia me fixe avant de hocher la tête. Qu'est-ce que j'ai bien fait ? Puis, la petite ampoule s'allume et je lui lance un pouce.
— Tu es géniale, me souffle-t-elle en me le retournant.
Eliott, nous observe alors, sans comprendre.
— Je vais continuer sur cette voie, continue de parler de « MinMi ».
— Qu'est-ce... tente Eliott, mais Aurélia le fait taire d'un geste. Ok, souffle-t-il ensuite.
Il fait pleinement confiance à mon amie, et j'espère que malgré tout, d'ici la fin de la journée, son cadeau d'anniversaire soit bien un baiser. J'espère pouvoir le filmer au passage et rappeler à Aurélia qu'elle m'a caché son existence durant de très longues années.
Je sens soudain que les regards ont changé de direction.
— Oui ?
— Vous n'allez pas nous faire croire que tout est inventé, quand même, s'avance Zack.
— Bien sûr que non, s'indigne Aurélia. L'emmerdeur et Minah s'entendent réellement bien.
Toujours avec ses surnoms touchants. Même si « s'entendre réellement bien » est exagéré. Nos conversations ne sont pas assez nombreuses pour le confirmer.
— Je pense que tout est à peu près vrai, sauf les rapprochements ?
Je demande confirmation à l'autrice qui hoche la tête avec sérieux.
— C'est ça. Et lors de l'épisode au salon de thé, le premier j'entends, c'est moi qui ai suivi mon amie et pas ce gros débile. Bien évidemment, la deuxième fois, n'a pas abouti à un baiser. Cet idiot n'a même pas consolé Minah. Franchement, je ne comprends toujours pas comment tu as pu la laisser partir dans cet état.
La sœur fusille à présent le frère. Ce dernier lève les yeux au ciel. A priori, ils ont déjà eu cette conversation.
— Elle n'avait pas besoin de moi.
Je déglutis, parce que de la fumée semble s'échapper de la jeune fille à présent. Ce n'était pas le truc à dire.
— Tu la cernes pourtant très bien, d'habitude, poursuit Mike.
La romancière se tourne alors vers moi, sourcils haussés.
— Euh... Tu attends quoi de moi, là ?
Pas une confirmation, j'espère. Aurélia va être déçue et ses rayons lasers me seront destinés !
— Tu n'avais vraiment pas besoin de lui ? D'une main tendue ? De mots réconfortants ? D'une présence rassurante ?
Je la sens presque en train de s'imaginer le coucher sur papier. Mon amie commence à partir dans sa fiction. Cependant, son histoire, elle n'a rien de réel.
— Non ?
— Minah !
Nouveau paquet de chips qui s'envole.
— Tu es d'un romantisme horrible !
Cette fois, j'explose de rire. Son espoir est vain, depuis le début. Romantique ? Je crois qu'on ne vit pas dans le même monde. La dernière fois que je m'y suis risquée, ça s'est mal fini.
— Mais, ce n'est pas grave. Je me console avec la Minah de mon imaginaire. Au moins, elle a des réactions normales, elle.
— Comme ?
Je m'attends à une énumération de plusieurs faits (notamment le fait d'agir un peu plus), mais l'écrivaine en herbe me fusille du regard et lance :
— Rougir, pardi ! Franchement tu es tellement expressive au niveau de ton visage, que je ne comprends pas comment tu peux ne pas rougir.
— Pourquoi toutes les filles devraient être ainsi ?
C'est tellement cliché ! Les garçons aussi le peuvent, non ? Être gêné, c'est commun à tout le monde. Enfin, certains en sont immunisés. Aurélia ne rougit que très peu, comble de l'ironie pour elle ! Et son frère est rarement gêné... Peut-être que je devrais le tester ? Sûrement pas, je ne suis pas ainsi.
— Parce que rougir, c'est hyper mignon ! s'emballe Aurélia, ce qui me ramène à la piscine.
Je ris une nouvelle fois, parce qu'Eliott a écarté tous les paquets de chips de son chemin. Elle n'a plus rien à me jeter, mais elle cherche à tâtons quelque chose.
— Du coup, tu trouves Eliott mignon ? propose Raphaël.
Aurélia tombe immédiatement de sa tour. Moi, je l'observe en penchant la tête. Voilà qui est intéressant, malgré tout.
— Il n'a pas besoin de rougir pour ça, non ?
Je vois dans les yeux de mon amie une lueur de gratitude. Minah 1 – les fauteurs de trouble 0.
— Toi non plus Aurélia d'ailleurs. Tu respires le mignon dans tout ce que tu fais.
Même si c'est vrai, je le précise dans le seul but de détourner la conversation d'Eliott. Je pense que si l'on place un œuf sur son visage, il pourrait cuir.
— Ce n'est pas son deuxième prénom ? commente Mike.
Les autres approuvent avec un hochement de tête. Est pris, qui croyez prendre. Je suis tellement maligne, franchement. Mike m'a un peu aidée, c'est vrai.
— Plus sérieusement Minah, tu n'essaies pas de minimiser le truc pour ne pas que ce débile se sente coupable ?
Notre mission détournement de la conversation est certes important, mais Aurélia ne va-t-elle pas un peu trop loin ? Le sujet était clos, pourquoi le rouvrir ?
— Ok, on va reprendre. Le premier clash, oui, j'avais besoin de toi. Mais parce que Sophie a dit qu'elle ne souhaitait plus me voir, droit dans les yeux. Evidemment que j'avais besoin qu'on me dise qu'elle ne le pensait pas.
Elle hoche la tête, concentrée et sérieuse. Je sens qu'elle cherche l'inspiration pour notre histoire.
— La deuxième fois, donc avec Ashley, ma sœur a juste été méchante. Je n'étais pas dévastée, simplement impuissante. J'essayais de la comprendre, sans y parvenir. Donc, non, je n'avais besoin d'aucune épaule pour pleurer. Juste de moi et de me poser pour réfléchir. La différence est plus claire ?
Avant qu'elle ne puisse répondre, Zack siffle.
— Stop là. Tu veux dire que toi, une fille, ne voulais pas d'attention ?
— Je ne suis pas un bébé qu'il faut materner, asséné-je abruptement.
Enfin, pas trop. Tout le monde a besoin d'attention à un moment ou un autre.
— Ok pardon !
Il ne le pense pas un seul instant, mais il s'agit d'un combat inutile.
— C'est... spécial ? suggère Eliott. Mais c'est pas plus mal, non ?
Je ne sais pas si Aurélia est ravie que son amoureux me défende, ou au contraire, jalouse que j'ai son attention.
— A la longue, ça doit être chiant de devoir toujours donner de l'attention, non ?
Aurélia est au bord de l'évanouissement. Elle, de l'attention, elle en a besoin. Beaucoup. Ces histoires ne sont pas romantiques à souhait pour rien et je ne m'évertue pas à la complimenter souvent pour rien. Malgré les apparences, elle manque de confiance en elle. Seule ses versions d'elle imaginaires en sont pourvues. Je ne comprends d'ailleurs pas d'où cela provient. Aurait-ce un rapport avec « Took » ? Cette histoire dont elle refuse de parler ?
Raphaël se frappe le front et Zack lève les yeux au ciel. Je reconnais qu'il a merdé ce coup-ci. Minah 1 – Les fauteurs de trouble 1.
— Pas forcément, argumente Mike. Si on l'aime, pourquoi serait-ce casse-pied ?
Pense-t-il à Ashley ? Regrette-t-il de l'avoir laissée tomber ? Pense-t-il lui avoir donné l'attention qu'elle méritait ? A quel point l'a-t-il aimé ?
— Je rejoins son avis, approuvé-je.
— Ça devient trop poussé comme réflexion, on va se baigner ? suggère Zack.
Sitôt, Raphaël bondit sur ses pieds. Mais ils ne sont que deux à partir. Minah 2 – Les fauteurs de trouble 1.
— Arghhhhhh ! s'exclame soudainement Aurélia.
Elle nous pointe du doigts, son frère et moi.
— Vous deux là, vous êtes trop compliqués ! Comment vous voulez que j'écrive la suite dans ces conditions ?
Ne l'écris pas ? Ai-je envie de lui suggérer, mais cela referait resurgir les rayons lasers. C'est donc calmement que je me lance dans un monologue.
— Tu te prends trop la tête. Pourquoi tu l'achèves pas juste sur cette journée ? C'est cool, non ? Minah se rend à l'anniversaire, la bande d'amis s'amusent comme des gosses dans l'eau, puis les deux personnages s'éloignent et bam kiss ! Fin de l'histoire !
Est-ce que je viens vraiment d'imaginer la fin de « MinMi » ? Moi qui n'ai pas lu une seule ligne ? C'est un comble !
— Je préfère largement cette version.
— Moi aussi, l'autre était vachement déprimante.
Ah que c'est beau l'entente dans un couple ! Surtout qu'ils hochent tous deux la tête, satisfait.
— Comment vous l'imaginez la fin ? demandé-je.
— Pas comme ça, avance Aurélia. Même si c'est une très bonne suggestion. J'attends vos pronostics !
Son enthousiasme me fait sourire. Parler d'histoire l'emballe toujours ! Peut-être est-ce de cette façon que devrait se terminer l'histoire de Paul, alias Eliott ?
La sœur fixe le frère intensément, mais celui-ci garde le silence.
— Allez ! Tu as tout lu jusqu'à présent ! Tu es le perso principal, mets-y du tien !
— Je réfléchis, grogne Mike.
Aurélia soupire et porte alors son attention sur Eliott.
— Ok, alors moi... Je vois pas du tout la journée d'aujourd'hui. Elle sort du cadre habituel. Hum... Je vois bien une troisième dispute à cause de la sœur. Y'aurait Mike, Minah, Sophie et un ami à Minah, mais genre un ami trop proche. Donc pour une fois, Sophie s'énerverait de leur proximité. Et... Mike prenant conscience qu'il la perdra, se déclare.
Je déteste les triangles amoureux.
— Aurélia, t'oublie la déclaration par contre. C'est trop niais.
Tout autant que les discours qui n'ont aucune profondeur.
— Tu veux que ça se finisse comment alors, hein ? Il faut une déclaration !
— Je sais pas moi... Une promesse ? Du style qu'ils vont vivre ensemble ou une phrase du genre « ils ne se quittèrent plus » ? Bref tout sauf la déclaration hyper kitch.
— Ils s'embrassent et c'est le cadeau d'anniversaire ! s'exclame Mike.
Il est évident qu'il ne ferait pas un bon romancier, mais au moins, il ne parle pas de déclaration.
— D'accord, je vais réfléchir à cette proposition, puisque vous êtes les principaux intéressés.
Hochement unanime de tout le monde. Mon plan B entre donc en action : laisser le couple entre eux.
— Je vais allez nager. Je vous laisse y réfléchir.
Mon regard est si insistant sur Mike qu'il finit par se lever aussi.
— Ça ne marchera pas si facilement, soupire-t-il. Même le coup du baiser pour l'anniversaire n'a pas fonctionné.
— Oh, à ta place, je ne parlerais pas trop vite.
Les deux jeunes gens ont clairement réagi positivement à la proposition. Ils ont échangé un regard lourd de sous-entendus. Cette fois, ils ne se défileront pas.
Je m'arrête, vérifie qu'ils ne m'observent pas, puis me dirige vers l'arbre le plus proche et me planque. Hors de question de rater ça.
— Tu y crois vraiment ?
— Dommage qu'on ne puisse pas les entendre. Si on s'approche, ils nous remarqueront.
Pour le moment, ils ne font que rire gênés. Eliott ne cesse de se passer une main derrière la nuque et Aurélia l'évite du regard.
A côté de moi, une famille joue avec un ballon, cela me donne une idée.
— Est-ce que vous pourriez leur envoyer le ballon ? Comme si vous aviez raté la passe ? On essaie de les rapprocher.
La maman me regarde en souriant, puis fait passer le message à sa fille. Quelques secondes plus tard, Eliott rattrape avec brio le ballon, juste avant qu'il n'atteigne Aurélia. La fillette le récupère avec un grand merci. Pourquoi Sophie n'a-t-elle jamais été aussi attendrissante plus jeune ? Je m'égare.
Eliott est alors devant Aurélia, un peu trop proche à leur goût puisqu'ils se mettent à être génés. Lorsque l'étudiant reprend sa place, je tape du pied frustrée. C'était l'occasion !
— Je t'avais prévenue.
Je bougonne. Puis, réalise que sa voix a été très proche de mon oreille. D'accord, je n'ai pas le rougissement facile, mais je n'en suis pas immunisée non plus. Il y a des limites ! Comme par exemple se tenir juste derrière moi, une main sur mon épaule. Pourquoi elle se tient là au fait ? Il veut me retenir ? Je ne compte m'élancer vers eux, cela les couperait dans leur élan, bien trop maigre encore.
Je m'efforce de m'occuper de la vue, plutôt que de tous les autres sens. Le ballon aura au moins créé le dialogue. Eliott semble plus à l'aise, il fait parfois de grands gestes de la main et sourit. Moi, j'essaie de leur envoyer de bonnes ondes. Allez Aurélia, le cadeau d'anniversaire. Je me dis qu'en le répétant suffisamment longtemps, cela finira par aboutir. Contre toute attente, Eliott finit par sortir une boite de son sac. Il reste du papier cadeau, donc aucun doute qu'il s'agisse de celui d'Aurélia.
— Qu'est-ce qu'elle lui a offert ?
— Un stylo.
— Vraiment ? questionné-je en pivotant légèrement vers Mike.
Nous sommes effectivement un peu trop proche. Certes nous nous cachons derrière un tronc, mais quand même, il y a une distance minimale d'espace vital à respecter !
Bon, cela ne m'empêche pas de lui sourire, sans rougir.
— Il voulait devenir prof, mais il a changé d'avis.
Mike tente-t-il de créer un parallèle entre leur situation et la nôtre ? Y'a-t-il une situation pour commencer ?
— Journaliste lui convient mieux.
D'où le stylo. Un carnet aurait peut-être été plus judicieux. Quoi que le stylo, il ne sera pas obligé de le jeter, s'il est rechargeable. Pas si mal que ça, Aurélia.
Une fois, retournée du bon sens, notre proximité me parait moins étrange. J'écarquille alors les yeux. Pause ! Il y a deux secondes, ils se parlaient, riaient et maintenant... Purée, j'ai raté ce moment ! Qui a embrassé l'autre en premier ?
— Toujours faire confiance à Minah.
— Incroyable, murmure Mike.
Minah 3 – Les fauteurs de trouble -10. Echec et mat les gars.
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