Chapitre 14

On dit que les apparences sont parfois trompeuses et je crois bien que c'est vrai. En vain, j'ai espéré durant des semaines avoir de ses nouvelles, une explication avec lui, mais mon portable ne s'est jamais allumé sur son nom. Mike est resté loin de moi, jusqu'aux annonces des résultats, le 5 mai. Aurélia m'en a parlé et elle attend avec anxiété le classement de son « imbécile de frère ». Si sa place est suffisamment haute, il accède aux oraux du CRPE, sinon il devra retenter l'année prochaine. C'est ce pourquoi il s'est tant acharné depuis septembre et même s'il n'a donné aucune nouvelle, j'espère qu'il a obtenu sa place. Au moment où je reçois un message de mon amie, le nom de son frère apparait sur mon écran. Je ne comprends pas sa décision et sa logique. Alors, c'est anxieuse que je décroche.

— Allô ?

— J'ai tout déchiré.

Je ne laisse qu'une seconde passée avant d'exploser de joie pour lui. La deuxième épreuve lui tend donc les bras. Plus qu'un pas avant de pouvoir exercer son métier ! Même s'il m'a ignorée durant des semaines, je ne me sens pas capable de le lui reprocher maintenant.

— C'est grâce à toi et tes cours, lance-t-il.

Les écrits se composent de deux épreuves : le français et les mathématiques. J'ai ma part de responsabilité, mais pas que.

— Tu aurais réussi sans moi aussi. Tu veux vraiment devenir instituteur.

— Je peux t'offrir un brownie pour te remercier ?

— Oui, bien sûr.

Attendez, quoi ? Non, j'ai parlé trop vite ! Je ne peux pas juste accepter après deux mois sans nouvelles !

— Demain ?

— D'accord.

— Super, à demain alors !

Et l'appel se termine aussi vite qu'il a commencé. Purée, j'angoisse trop ! J'attends cette conversation depuis le 10 mars !


Le lendemain, je suis nerveuse. Trop nerveuse. J'ai l'impression que je vais aller lui déclarer ma flamme, alors que rien de tel ne se produira. Pourquoi serait-ce le cas ? Cela fait deux mois que nous ne nous sommes pas parlés. C'est si long ! Et surtout, nous ne sommes jamais revenus sur cette phrase que Sophie a lancée. Vous vous plaisez. Elle n'a jamais été aussi proche de la vérité.

A mon arrivé au salon de thé -celui où j'ai eu droit à deux disputes avec ma sœur, je me demande pourquoi il l'a choisi.- il est déjà là. En deux mois, il n'a pas beaucoup changé. Il a les mêmes cheveux noirs et le même regard brun. Il semble fatigué, mais heureux. Il a travaillé tellement dur pour en arriver là !

Lorsqu'il me remarque, il sourit et me fait un signe de la main. Je le lui rends tout en m'approchant. Il a l'air si joyeux !

— Je suis en retard ou tu es en avance ?

— Je suis en avance, explique Mike.

Ouf. Je n'aime pas les retards, parce qu'ils donnent une mauvaise image de soi. Ce n'est pas comme si je m'inquiétais de ce qu'il pense de moi.

Je remarque alors qu'un brownie se trouve déjà devant ma place. Je rêve ? Mon étonnement doit se voir, puisque le futur enseignant se justifie.

— J'ai raté ton anniversaire, non ?

De deux jours seulement.

— Aurélia ?

Il confirme et je soupire. Je n'aime pas mon anniversaire. Toutes les catastrophes qui me sont arrivées se sont déroulées ce jour-là. Il est synonyme de tristesse, pas de joie. Je ne l'ai pas fêté et ai expédié les messages me le souhaitant. Aurélia s'est contentée de m'inviter au centre-commercial, sans le mentionner.

Une seconde s'écoule avant que je fouille dans mon sac. Moi aussi j'ai un cadeau. Je comptais le transmettre via Aurélia, mais si je le rencontre, c'est tant mieux. Je ne sais pas pourquoi j'ai tenu à lui offrir quelque chose. Il a fait le mort durant deux mois. C'est blessant. Et en même temps, normal. Qui sommes-nous l'un pour l'autre ? Nous n'avons échangé que pour son concours.

— Bon, puisque c'est le moment des cadeaux, tiens.

Je fais glisser la boite vers lui et m'efforce de ne pas m'attarder sur sa réaction. Pourtant, je finis par lever le regard sur lui. Il a l'air surpris, mais touché.

— Je n'ai pas anniversaire, plaide-t-il.

Je suis au courant, je me suis informée auprès de sa sœur.

— Tu as réussi les épreuves écrites, non ? Je me suis dit que tu aurais besoin d'un bon stylo, en tant qu'instituteur.

Il se saisit de la boîte tout en me remerciant. Un instant, je pense que sa réaction est disproportionnée pour un cadeau aussi basique que celui-ci. Néanmoins, je n'ai jamais rien compris à sa logique.

Un silence gênant finit par s'installer. Les mots de ma sœur résonnent dans mon esprit. Vous vous plaisez. Peut-être qu'il n'y a qu'un seul de nous pour lequel c'est vrai.

— Qui est Eliott ?

Visiblement, ce n'est pas la question qu'il attendait. Cela le déçoit-il ? Je ne réfléchis plus très bien, lorsque le stress m'envahit. Je ne sais moi-même pas pourquoi son nom m'est venu à l'esprit.

— Tu en as déjà parlé plusieurs fois et ta sœur a réagi. Mais elle ne m'a jamais parlé de lui.

Et je n'ai pas cherché à en savoir plus, de peur qu'elle n'en profite pour parler de ma vieille histoire.

— Paul, lâche-t-il simplement.

Il ne me faut qu'une seconde pour faire le lien. Paul, le protagoniste qui revient si souvent dans les écrits d'Aurélia ! Elle lui a même dédié à un roman, qui n'a pas de fin d'ailleurs. Est-ce parce qu'elle ne lui parle plus ? Je l'ai questionnée maintes fois à propos de ce personnage, mais elle n'a jamais daigné me répondre. Je pense comprendre pourquoi à présent.

— Il ne lit pas ses histoires ?

— Eliott m'a toujours dit non, mais même s'il lisait, il ne dirait rien.

De ce côté-là, je le comprends. Aurélia va toujours beaucoup trop loin, elle oublie de qui elle s'inspire.

— Trop timide ?

— Plus que ça, désespère Mike. Eliott et moi, on est ami depuis le lycée et il connait ma sœur depuis aussi longtemps. Tu vois dans les films, quand les personnages principaux échangent un regard et tu sens qu'ils vont finir ensemble ?

Je hoche la tête. C'est tout ce que je déteste. Pourquoi faut-il toujours que ce soit si simple que ça l'amour ?

— C'est exactement ce que j'ai ressenti quand ils se sont rencontrés. Ils se sont beaucoup parlés durant le lycée, puis avec la fac, Eliott a eu moins de temps. Maintenant, ils se voient peu. Pourtant, chaque fois que je les revois ensemble, je fais le même constat. J'en ai parlé à ma sœur, mais elle trouve toujours une excuse. Pareil pour Eliott.

Un voile sombre passe devant ses yeux. Mike ne dit pas tout.

— Je pense que s'ils sont destinés à être ensemble, ils finiront par l'être.

Enfin, j'espère. Après toutes les histoires d'amour qu'Aurélia a écrites, ce serait un comble qu'elle n'ose pas vivre la sienne.

— S'ils ne veulent pas voir, ils ne verront jamais rien, rétorque Mike.

Il a l'air agacé, ce que je ne comprends pas vraiment.

— Comme toi, pour Ashley ?

Il manque de lâcher sa cuillère.

— Aurélia ?

Je confirme d'un hochement de tête avant d'avaler une bouchée de brownie. J'ai été maladroite d'évoquer de cette façon le sujet. Je n'y peux rien s'il me préoccupe tant. La coïncidence est vraiment grosse !

— Comme moi pour Ashley, oui.

Je sens qu'il n'a pas envie d'en parler. Mais je ne peux pas simplement laisser de côté ce fait. Il a quitté sa petite-amie, trois jours après la remarque de ma sœur. L'un est forcément conséquence de l'autre. Non ?

Soudain, Mike pose son couvert et me fixe. Je me rappelle alors à quel point ses pupilles sont incroyables.

— Vas-y, pose ta question.

Je soupire, avant de poser ma cuillère. Je déteste le fait d'être un livre ouvert.

— Tu n'as pas envie d'en parler.

Je tente en effet de me défiler. Mais face à la réalité, je ne suis plus très sûre de souhaiter en savoir plus.

— Ce n'est pas une question, réfute-t-il.

Je pourrais la transformer en interrogation, mais je n'en fais rien.

— Sophie a affirmé que tu essayais de l'aimer sans y parvenir et je ne comprends pas. Si c'est le cas, comment as-tu pu rester deux ans avec elle ?

Bien malgré moi, un nœud réside dans mon estomac. Qu'importe ma relation avec lui, s'il s'est joué d'elle, je ne pourrais pas lui reparler. Je sais bien trop ce que cela fait.

— Ashley a été ma coloc, avant d'être ma copine. J'ai passé énormément de temps avec elle. Même si elle n'apprécie pas le métier que j'ai choisi, elle a essayé de me soutenir durant ma licence.

Etonnant.

— Je crois que je me suis habitué à elle, sans me rendre compte que ce n'était pas de l'amour.

— Mais pourquoi Sophie a réussi à te le faire comprendre et pas Aurélia ? Elle déteste Ashley depuis le début.

Et sa sœur a tout essayé pour les séparer. Elle a été sèche et directe, tout autant que bienveillante et tendre. Elle est passée par divers caractères pour s'immiscer entre eux. Rien n'a fonctionné, pas même « MinMi ».

— C'est bien pour ça que je ne l'écoutais pas. Ma sœur ne s'est toujours concentrée que sur Ashley, pas sur moi.

Je soupire. Je ne vois jamais l'évidence. Comment vais-je parvenir à mener à bien mes nouvelles études ?

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Je me réoriente, c'est officiel depuis ce matin.

L'abrupté de l'information conduit Mike à froncer les sourcils. Je le comprends : je n'en ai parlé à personne, mais l'idée est dans ma tête depuis janvier. J'ai formulé mes vœux au cas où et je n'y croyais pas. Jusqu'à ce matin, où j'ai finalement appuyé sur ce bouton « soumettre sa candidature ». En juin, je saurais si je suis acceptée. Si ce n'est pas le cas, je retenterais l'année prochaine. Et l'année suivante. Je sais ce que je veux être à présent.

— Je reprends mes études à zéro, je veux devenir psychologue pour enfant.

L'annonce fait plus d'effet que ce que à quoi je m'attendais. Mike est passé de perdu à étonné puis à sceptique. Je sais que ce sera difficile, je n'ai pas de prédisposition dans la psychologie. Pourtant, j'y crois. Je veux aider les enfants, les comprendre, les guider, les soulager. Je me sens capable d'affronter les horreurs de la vie sans faillir.

— Je suis trop expressive et je ne comprends rien aux gens. Alors je suis parfaitement consciente que cela posera quelques problèmes. Seulement, si je n'essaie pas, j'ai l'impression de rater quelque chose.

Je réalise que le temps passé loin de lui n'a pas affecté tant ma vie que cela. Je n'ai pas cette impression de rater quelque chose. Pourquoi ?

Mike semble reprendre vie d'un seul coup. Il se redresse, reprend sa cuillère et regarde son brownie.

— On m'a toujours dit que j'étais fait pour être prof, et pourtant, mon premier stage a été une catastrophe. On peut toujours changer.

— Je suppose qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire ?

Je repique dans mon gâteau tandis que mon ami m'accorde un point. Un ami. Je crois bien qu'il n'est que cela. L'attirance et l'amour sont deux choses bien distinctes, n'est-ce pas ? Et très souvent on confond l'un avec l'autre.

Je contiens un soupir, pour ne pas attirer l'attention et me dis que, parfois, certains mensonges à soi-même font moins mal que la vérité.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top