Chapitre 11

J'ai l'impression que plusieurs heures se sont écoulées et que ce dessert est infini. Je crains que Sophie, trop énervée ne se soit faite ramener par Mike. Je me répète, qu'il m'aurait prévenue dans ce cas. Mais cela ne réduit pas mon stress. Je crois avoir compris un peu plus ma sœur et je ne compte pas la rendre à ma mère tout de suite. J'espère ne pas me tromper, sinon, une énième dispute éclatera et, deux en une seule journée, c'est beaucoup.

Mon portable sonne enfin.

On se rejoint à l'entrée ?

Ce n'est pas Sophie -mais Mike- et j'ai peur qu'elle ne m'adresse plus la parole pendant un moment. Je sais l'avoir blessée et je suis l'adulte. Je suis censée prendre sur moi. Cependant, tout le monde a ses limites.

Oui.

Je m'y trouve déjà, de toute manière. Je prends garde à inspirer et expirer correctement avant sa venue. De loin, je l'aperçois qui se stoppe. Becca lui dit quelques mots, Mike et Ashley également. Je me doute que cette dernière ne soit pas tendre avec moi. Si elle te menace, hurle. Lui a-t-elle sans doute conseillé. Sophie n'hésite pas avant d'avancer. Fière et arrogante, elle s'approche de moi. Je l'imagine déjà tourner brusquement la tête pour me faire comprendre qu'elle est fâchée. Je ne lui en laisserais pas l'occasion cette fois. Elle n'est pas encore tout à fait devant moi, que je lui lance :

— J'ai réfléchi.

L'annonce la déstabilise puisqu'elle manque de tomber. Elle se stoppe devant moi, son visage me disant « Ouais, et ? ». Je prends le temps de m'abaisser à son niveau. Son jeu ne m'atteindra pas. Cette fois, c'est moi qui mènerais la danse.

— J'ai essayé de comprendre certaines de tes réflexions et je pense que ta logique est un peu plus ordonnée pour moi. Je m'excuse donc pour ce verre, qui n'est pas une attitude correcte.

Elle hoche la tête, sans changer d'expression.

— A présent, j'aimerais que tu fasses ce que je te demande. Ça va te sembler un peu bizarre au début, mais quand on aura fini, je t'expliquerais. Ok ?

— Aucun reproche ?

Ce n'est pas mon but. J'espère allumer une ampoule dans le noir de son esprit.

— Promis.

— Alors, ok. Je fais quoi ?

Je me redresse soulagée. Sophie a l'air d'être plus intelligente que je ne le pense. Mike lui a-t-il encore parlé en trouvant les bons mots ?

— Tu as du maquillage avec toi ?

Elle hoche la tête, ce qui ne m'étonne pas.

— Suis-moi.

Je m'assois sur un banc, puis la fixe.

— D'après toi, je ne prends pas soin de mon apparence, pourquoi ?

Ma sœur semble immédiatement saisir ce que je souhaite.

— Vraiment ? questionne-t-elle un sourire aux lèvres.

— Prend tes trucs bizarres et maquille-moi. Mais juste la moitié du visage, c'est important.

Cette partie la fait un peu froncer les sourcils. Cependant, elle passe très vite dessus et se met à la tâche. Je ne fais aucun commentaire, ne l'arrête à aucun moment -et mon Dieu, combien j'en ai envie- et la laisse s'en donner à cœur joie. Je ne comprends pas son engouement pour cet artifice, même si je conçois les sentiments qu'il peut donner. Confiance en soi. Sentiment de supériorité. L'impression d'être quelqu'un d'autre.

Une fois qu'elle a fini, je lui prends la main et l'emmène dans un magasin de vêtement. Il n'est nullement choisi au hasard. J'ai déjà fait le tour, plus tôt, afin de savoir exactement ce qui conviendrait. C'est donc sans hésitation que je me saisis d'une robe et de chaussures et entre dans la cabine d'essayage. Avant de me montrer, je prends garde à masquer la partie maquillée de mon visage. J'espère que mon stratagème va fonctionner.

— Est-ce que je suis jolie maintenant ?

Son regard brille, je n'ai donc pas besoin de sa réponse. Pourtant, je veux qu'elle la formalise. Les mots sont importants.

— Oui, c'est beaucoup mieux.

Je cache cette fois l'autre partie de mon visage.

— Et maintenant ?

— Tu l'es encore plus !

Son engouement ne m'étonne guère. Sophie a l'habitude de ce genre d'association. Elle passe tant de temps sur Instagram, à s'extasier devant les mannequins aussi fins qu'une branche, aussi maquillés que possible. Mais ce n'est pas ça, la vie ordinaire. J'espère qu'elle y réfléchira, ce soir, en se couchant.

— J'ai l'impression de ressembler à une poupée, tu ne trouves pas ?

Elle fait la moue, m'observe avec soin, s'approche, s'éloigne, me fait pivoter sur moi-même. Puis hoche finalement la tête.

— C'est vrai que ça te rend... bizarre ?

Je m'accroupis à sa hauteur, tout en me félicitant d'avoir privilégié le maquillage pour les grandes occasions.

— C'est exactement ce que je ressens, Sophie. Sais-tu pourquoi ?

— Non, soupire-t-elle.

— Parce que ce visage, ce n'est pas moi. Tu caches mes défauts et sublimes mes qualités. C'est comme dire à quelqu'un qu'il est merveilleux et raconter à un autre que tu le trouves exécrable. C'est porter un masque, et je n'aime pas ça. Cette robe, oui elle me va, mais il fait froid dehors. Pourquoi ferais-je semblant d'être bien, alors que je meurs de froid ? Evidemment, que je me sens jolie là-dedans et tout le monde s'accordera à dire que ça m'embellit. Mais si moi, j'y suis mal, à quoi cela sert-il ? Aux autres ? Et moi ? Que suis-je censée faire de mes sentiments ?

Je lui prends les mains, tant qu'elle est attentive.

— Est-ce vraiment beau, de s'entourer d'artifices pour cacher ce qui déplait ? Tu ne te sens pas complexée dès que tu retires ce maquillage ? Dès que tu t'habilles différemment ? N'as-tu pas peur qu'on te dise que tu es moche, juste parce que tu ne portes plus ta robe à fleurs ? Moi, je ne veux pas avoir peur. Moi, je veux pouvoir sortir, me dire que oui, je ne plais pas à tout le monde, et alors ? C'est normal que nous ressentions les choses différemment. Nous sommes différents. Et surtout, plus que tout, lorsque je prends soin de moi, je veux pouvoir entendre ces mots tu es jolie. Te l'a-t-on déjà dit ? Le problème avec les gens, c'est que dès que tu fais toujours quelque chose, cela devient banal et quand c'est banal, on ne fait plus attention. Cette robe et ce maquillage, bien sûr que je ne les bannis pas pour autant. Le jour où je voudrais attirer l'attention de quelqu'un, je les porterais. Pour l'heure, je ne pense pas qu'une femme doive toujours être attirante et raffinée.

Je crois que j'ai un peu trop forcée en une seule fois, car Sophie peine à respirer. Ses yeux sont grand ouverts et j'ai peur qu'elle ne tombe si je lâche ses mains. Elle me dévisage sans un mot, tandis que les minutes filent.

— Excusez-moi, on pourrait avoir la cabine ?

Je laisse ma sœur et me change pour libérer la place. Elle ne bouge toujours pas et je ne sais pas quoi faire. Puis, soudain, elle se met à pleurer silencieusement. Instinctivement, je la serre contre moi.

— Pardon, je ne voulais pas pleurer.

Je la serre plus fort, désolée qu'elle ne s'accorde pas même ce luxe : se libérer. Sa ressemblance avec ma mère est encore plus frappante.

Elle s'éloigne de moi tout en séchant ses larmes.

— Je me fiche pas mal que Ashley me trouve horrible ou que les garçons ne se retournent pas sur mon chemin. Mais, ce que toi tu penses, ça me fait mal. Je ressens dans ces moments tant nos différences de vies et je m'attriste toujours que nous ne soyons pas plus souvent réunies. Nous ne serions peut-être toujours pas d'accord, mais au moins, on accepterait que l'autre ne soit pas comme nous.

Je vérifie qu'elle me suit toujours, puis en viens à ma touche finale.

— Je ne te demande pas de réponse dans l'immédiat et ne t'en voudrais pas si tu refuses, ok ?

Elle plisse les yeux, se demandant de quoi je parle, car je n'ai encore formulé aucune question.

— J'aimerais que tu réfléchisses à la possibilité de passer du temps avec papa. Une semaine ou deux, pas plus. Je pense que cela te permettrait déjà de prendre conscience que, le monde de maman, ce n'est pas le seul qui puisse être enviable.

— Alors, tu devras vivre avec maman pendant ce temps.

Mon cœur se brise soudain en comprenant ce que Sophie a toujours voulu. Que je sois acceptée par notre mère. Que cette dernière me complimente, comme elle complimente ma sœur.

— Je ne peux pas, avoué-je sans détour.

La déception se lit sur son visage et Sophie s'apprête à me repousser, lorsque je poursuis.

— Juste avant mes 18 ans, j'ai essayé de renouer avec elle, mais...

Je prends une profonde inspiration.

— Je ne pourrai jamais lui pardonner qu'elle veuille faire de moi quelqu'un que je ne suis pas.

— Moi aussi, j'essaie.

— Tu as douze ans, Sophie. Tu ne peux pas encore saisir toutes les facettes de ce qui nous entoure. Tu peux encore grandir.

— Tu m'abandonneras sinon ?

Je lève les yeux au ciel.

— Bien sûr que non. Je t'ai attendue, à chaque fois.

— Alors, d'accord, je vais réfléchir.

— Merci.

Je me relève et je m'étonne de voir à travers la vitre le trio. Ashley me lance un regard grave, Becca s'agite, s'inquiétant pour son amie et Mike me fait un pouce. Je fais un signe OK avec mes doigts, tout en souriant. Il sourit, puis invite ses deux accompagnatrices à s'en aller.

— Mike, tu l'aimes ? m'interroge ma sœur.

Je me crispe devant sa franchise puis, une fois la surprise passée, je réponds :

— Non, ce n'est pas de l'amour.

Plutôt de l'intérêt.

— Pourtant, tu es contente quand tu le vois. Et il est aussi gentil. Il trouve toujours les bons mots pour me parler.

Oh ça, j'ai remarqué ! Il a un vrai feeling avec les enfants ! Peut-être est-ce parce qu'il s'intéresse à leur psychologie ? Pour Noël, il m'a offert un livre à ce propos. « Pour m'aider avec Sophie » a-t-il plaidé tandis que je refusais. Je n'avais pas encore vu le titre.

— Tu devrais continuer à lui parler. J'ai l'impression qu'il arrive à déteindre sur toi.

Je suppose que c'est un compliment, non ?

Tandis que je la raccompagne en bus, je me dis que pour la première fois, j'ai eu le sentiment d'avoir une sœur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top