CHAPITRE 1

CHAPITRE 1

"Childhood"

              Le nez rougi par le froid, Solhee grelottait dans les bras de son père. Ses belles boucles brunes étaient rassemblées dans un bonnet en laine vert, son cou protégé par une écharpe qui mangeait son menton et ses doigts plongés dans les poches de sa doudoune restaient quand bien même frigorifiés. Pourtant, malgré ce froid glacial, ses yeux dégageaient une agréable chaleur. Une étincelle brillait au fond de son regard : la neige lui brûlait les joues, elle ne connaissait pas cette sensation. Tout comme elle ne connaissait pas ce nouvel environnement, cette nouvelle allée, cette nouvelle porte d'entrée, ce nouveau hall d'entrée, et tiens ! Cet homme-là, elle le connaissait ! Les bras tendus, elle peinait à s'exprimer mais parvenait à se faire entendre comme une reine.

Minho céda délicatement l'enfant à son aîné avant de retirer ses chaussures. Il se pencha pour enlever celles de Solhee puis se redressa pour saluer son frère. Ces longues heures de route lui avaient paru interminables. La neige masquait le verglas sur le bitume ; la chaussée glissait dangereusement. Si cela ne tenait qu'à lui, il n'aurait pas pris la route par ce temps, encore moins avec sa fille sur la banquette arrière. Pour autant, le voilà dans le village de son enfance, dans la maison de son enfance, buvant le café avec Hajoon, qu'il n'avait pas vu depuis presque un an.

Confortablement installés sur le canapé, chacun sentait la chaleur regagner leurs extrémités. Discutant de simples banalités, les deux adultes rattrapaient le temps perdu tandis que silencieuse, Solhee s'amusait à touiller son chocolat chaud comme son père le faisait avec son café. Du coin de l'œil, elle l'observait changer de sens, récupérer le sucre encore solide dans le fond, tinter la cuillère sur le rebord en verre. Puis, elle se mit en tête de déguster sa boisson à la cuillère afin de faire durer le plaisir. Le bruit de succion brisa l'atmosphère tranquille qui planait et finit par motiver Minho à récupérer les cartons de la voiture tant que l'accalmie persistait.

« Besoin d'aide ?, s'enquit son hôte.

— Non, ça va : on n'a pas pris grand-chose. Garde le monstre, je m'occupe de tout. »

L'aîné esquissa un sourire amusé et laissa à Minho un peu d'intimité, conscient qu'il en manquait cruellement maintenant qu'une espiègle petite créature vivait à ses côtés. Pour lui faciliter la tâche, il se hâta de lui faire de la place dans la chambre d'ami, là où ils éliraient domicile. Les bras chargés de cartons en tout genre, d'anciennes affaires de leurs feux parents qu'il n'avait toujours pas eu le courage de trier, il effectuait des allers-retours jusqu'au garage où il les entreposerait en attendant.

Sur ses talons, Solhee marchait maladroitement. Elle le suivait comme son ombre, parfois si près qu'il manquait de trébucher en l'emportant au passage. De temps à autre, elle babillait. Ses rires envahissaient l'espace, résonnaient entre les murs, laissaient une trace de son séjour comme au marqueur indélébile. Dans ses bras, quelques babioles trouvées à même le sol : une voiture télécommandée, un manuel d'histoire géographie et une paire de gants en laine jaune.

Quand Minho revint avec les valises sous les bras, une discrète odeur de tabac dissimulée par celle de la menthe accrochait à ses vêtements. Derrière lui, les effluves traînaient quelques secondes avant de se dissiper dans l'atmosphère générale de la pièce. Nostalgique, il semblait pensif. De manière automatique, il déposa les bagages à plat sur le sol de la chambre et prit place sur le lit.

Tant de temps s'était écoulé. Etait-il parti vivre sa vie ou fuir celle-ci ? Une éternité le séparait de ces années adolescentes où lui et son frère faisaient le mur pour aller en soirée, où il se gavait de bonbons jusqu'à s'en donner mal au ventre, où il se levait tôt sans rechigner uniquement pour voir le lever du soleil. Mais où était donc partie sa spontanéité ? Son impatience ? Son intrépidité ?

Toujours en crise existentielle, son regard se déporta sur le dernier carton posé sur la commode comme mis en valeur. Le semblant de soleil tapait dessus comme une évidence et attiré comme un papillon l'est par la lumière, il s'en approcha. En l'ouvrant, il découvrit de vieux albums photos. Une vague de souvenir l'assaillit lorsqu'il saisit le premier de la pile. C'est à ce moment-là que Solhee entra en trombe. La tête inclinée vers le haut, elle lui lança un regard inquisiteur. « Qu'est-ce que papa fait planté comme ça, à côté de la porte ? », voilà ce qu'elle devait se demander.

« Viens, l'invita-t-il simplement en retournant s'asseoir sur les couvertures. »

D'un pas pressé, l'enfant le suivit puis grimpa sur le lit avec difficulté. Minho patienta quelques secondes, amusé par ses acrobaties mais ne lui vint pas en aide. Elle y arriverait seule, comme une grande. Confortablement installée après avoir testé le rebond du matelas, elle s'appuya contre le bras de son père, les yeux brillant d'une curiosité nouvelle.

Le livre dans ses mains étaient d'un rose flamboyant. Quelques lettres piochées dans diverses magazines formaient un titre sur la couverture mais elle était encore bien trop jeune pour déceler ce qu'il y avait inscrit. Malgré tout, elle saisit le prénom de son père qu'elle avait appris à reconnaître avec le temps. Minho.

« Regarde, c'est papa quand il avait ton âge, présenta Minho. »

Solhee gazouilla en voyant le petit garçon à la coupe au bol qui partageait les traits de son papa. Elle tendit la main, les doigts en éventail pour tourner la page. Minho la laissa faire en veillant à ce qu'elle reste douce dans ses gestes et n'abîme pas sa trouvaille. Pendant une petite demi-heure, ils retracèrent son enfance, le sourire aux lèvres. Étonnement, Hajoon n'était jamais venu récupérer le carton. L'avait-il laissé là exprès ?

Il ne fallut pas bien longtemps avant que le jeune homme n'entende de légers ronflements provenir de sa fille. Fatiguée par le voyage, elle s'était échouée contre son bras. D'un geste lent, il l'allongea puis en silence, saisit le doudou qu'il avait laissé sur sa valise. Aussitôt déposé contre sa poitrine, elle le porta à sa bouche et Minho s'éloigna, attendri. Pour ne pas la déranger, il s'installa à même le sol, le dos appuyé contre le sommier et poursuivit son voyage dans le temps.

Quand le sommeil commença lui aussi à le gagner, Hajoon entra dans la chambre avec un plateau repas à la main. La douce odeur du plat gagna les narines du cadet qui s'empressa de manger laissant un bol de côté pour quand Solhee se réveillerait.

« T'en penses quoi ?, s'enquit l'aîné.

— C'est délicieux. Je suis surpris que ça ne soit pas empoisonné.

— T'en fais pas, c'est juste que ça a pas encore fait effet. »

Minho pouffa légèrement en reprenant une bouchée.

« Tu l'as laissé exprès ?, demanda-t-il en désignant le carton d'un coup de menton.

— Je me suis dit que ça te ferait du bien de t'y replonger. La dernière fois que t'es venu, c'est quand... enfin, tu sais. Je voulais que tu gardes de bons souvenirs de cette maison.

— Merci, répondit Minho, touché. »

A nouveau, son regard se posa sur l'album. Il en caressa la couverture, laissant tomber sa cuillère.

« Parfois, nos parents me manquent. »

Il se mordit la lèvre. Il ne savait pas trop pourquoi il se confiait soudainement. La fatigue du trajet, les complications du divorce, tous ces mois écoulés sans voir son frère avec qui il partageait une grande complicité, l'ensemble débordait ce soir. Il fallait que ça sorte.

« Je m'en veux d'imposer ça à Solhee. Je ne pensais pas que ça allait finir comme ça. Elle était vraiment tout ce dont je pouvais rêver. Je me suis fait avoir comme un bleu.

— T'y es pour rien, tu sais ? »

Ses yeux restèrent fixé sur son assiette. Il saisit un morceau de viande avec ses baguettes puis le reposa pour prendre un légume, avant de changer d'avis, encore.

« Je sais. C'est juste qu'elle est si jeune et j'aurais aimé qu'elle ait une enfance plus... traditionnelle. Au lieu de ça, elle se retrouve ballotée à droite à gauche. »

Il se tut quelques secondes.

« Je crois que ce qui m'énerve le plus, c'est le fait de l'avoir présentée aux parents. J'arrive pas à supporter l'idée que leur dernière image de moi, c'était avec elle. Si je refais ma vie, ils n'auront jamais connu la personne avec qui je serais. Et cette personne ne connaîtra jamais le jajangmyeon de papa, ni les vêtements en laine qui grattent de maman.

— Je pense que le plus important, c'est qu'ils te sachent heureux. Même si tu recommences ta vie, ils sont partis sur un bon souvenir : Solhee. Et je suis sûr qu'ils te regardent de là-haut et qu'ils sont fiers du moindre de tes faits et gestes. »

Le cadet sourit à cette idée. Il ne savait pas s'il croyait à une vie après la mort mais pour ses parents, il pouvait faire une exception. Les savoir à ses côtés était un concept rassurant auquel il était prêt à se rattacher.

L'ambiance mélancolique partiellement retombée, Hajoon se leva et récupéra les restes ainsi que le plateau. Il rapporterait son repas à Solhee quand elle se réveillerait. En attendant, il comptait bien laisser à Minho un peu d'espace afin qu'il puisse se reposer convenablement. La journée avait été bien longue.

Quand Minho partit se coucher après s'être brossé les dents et mis en pyjama, il n'eut pas le cœur à réveiller sa fille. Il préféra s'allonger à ses côtés et la regarder, ses pensées divaguant. Impossible de mettre son cerveau en veille hormis quand la prunelle de ses yeux se trouvait face à lui. Dès lors, il n'existait plus qu'elle et le souvenir amer que son ex-femme avait laissé.

C'est totalement hors de ma zone de confort ; j'espère de tout cœur que vous avez aimé <3

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