Dacquoise aux noisettes
Ce qui frappa Salomé en premier lorsqu'elle entra dans la pâtisserie ce fut l'odeur délicate de citron et de propre. Ce n'était pas désagréable certes, mais comme anachronique dans le contexte d'un magasin de gâteaux. Ça aurait dû sentir les fourneaux, le sucre, les fruits qui cuisent à petits bouillons, les pâtés qui dorent dans le four. Mais rien de tout cela. La boutique était très élégante, le marbre du sol était veiné d'or et d'émeraude, dans les vitrines les petits gâteaux individuels étaient rangés comme des bijoux et à y regarder de plus près : ils y ressemblaient. Le glaçage de l'un était si brillant que Salomé y devinait sa silhouette, le second était d'un vert chatoyant semblable à celui de la boutique, à leur côté se tenait une demi-sphère rose et blanche qui contenait en son milieu une framboise aux formes parfaites. Ça continuait ainsi pour une succession d'une quinzaine de jolies portions. Á l'extrémité de la vitrine on pouvait trouver un présentoir qui mettait en avant sur des socles immaculés les gros gâteaux de 12 ou 16 parts : on aurait dit les Dieux de l'Olympe. Non seulement il y en avait de toutes les couleurs ou presque mais leur beauté et leur délicatesse illuminaient toute la boutique.
A l'extrémité gauche on pouvait remarquer de délicats petits sandwichs triangulaires et les étiquettes descriptives en dessous rivalisaient d'ingrédients luxueux et raffinés.
Salomé regarda avec envie chaque pièce du présentoir puis s'installa à une table et attendit. Elle fit exprès de toussoter pour que l'on remarqua sa présence et attendit encore 5 bonnes minutes avant que quelqu'un sorte de l'arrière-boutique. « Ce n'est pas très professionnel » se dit-elle comme pour trouver un défaut d'urgence à autant de précision pâtissière. Elle entendit un gros éclat de voix qui provenait des cuisines, quelqu'un se faisait rabrouer d'une façon que Salomé avait plusieurs fois expérimentée lorsqu'elle travaillait dans les restaurants étoilés. Elle eut mal au cœur pour le pauvre apprenti ou le commis qui faisait les frais de son manque d'expérience. Une petite vendeuse aux cheveux blonds impeccablement attachés et laqués fit son apparition. Elle était habillée dans un tailleur jupe vert, sobre et chic comme tout le reste de la boutique. Salomé remarqua immédiatement son sourire factice et ses yeux rouges. Elle contourna le comptoir sur lequel étaient placés des bonbonnières en verre remplies de biscuits aux formes adorables pour s'approcher de la table de Salomé.
— Bonjour Madame, vous désirez ?
— Bonjour, je vais prendre un chocolat chaud s'il vous plait ainsi qu'un sandwich piémontais et un Écureuil s'il vous plait.
— Je vous amène ça dans un instant.
Salomé se rendait compte peu à peu de l'ampleur de la tâche qui l'attendait : remettre en route un petit salon de thé-restaurant c'était déjà quelque chose, mais la concurrence d'une pâtisserie haut de gamme n'allait strictement rien arranger. Lorsque sa commande arriva elle commit l'erreur de contempler un peu trop longtemps les assiettes, elle ne s'aperçut pas que la vendeuse fila droit dans les cuisines pour la faire passer pour une critique gastronomique. Absorbée par ses pensées, elle ne remarqua pas le regard braqué sur elle planqué derrière l'entrebâillement de la porte.
Le Piémontais était réalisé avec un pain ciabatta chaud légèrement imprégné d'une huile d'olive vierge au parfum herbacé, il était garni de tomates confites maison, moelleuses et savoureuses sans être trop sèches ni élastiques. Une chiffonnade de jambon italien coupé fin comme du papier à cigarette, quelques feuilles de roquettes et des lamelles de cèpes frais poêlés à l'ail et au basilic. En bouche ça explosait de saveurs et de textures, les ingrédients étaient frais et de bonne qualité : ce n'était pas un sandwich, c'était une réussite à emporter.
L'Écureuil, comme on pouvait s'en douter, était un entremet à la noisette. En soi il n'avait rien de très original pensa Salomé. Elle but un peu d'eau et fendit le gâteau en deux à l'aide de sa cuillère. Dacquoise noisette, croustillant praliné, insert abricot, mousse noisette et glaçage miroir assorti. La première cuillère lui fit ravaler son premier jugement : la justesse et l'équilibre des saveurs la traversèrent droit au cœur. Aussi gourmand soit-il, cet entremet de débordait pas de sucre et l'insert des fruits jaunes apportait l'acidité nécessaire à l'harmonie tout entière du gâteau sans jamais détrôner la noisette qui tenait le rôle-titre.
Salomé était tellement enthousiasmée par les goûts qu'elle découvrait que le monde s'effaça autour d'elle à la seconde bouchée. Chacune de ses papilles travaillait à décrypter le moindre élément, la composition et la cuisson ou non de ceux-ci. Elle ne s'aperçut pas que l'homme qui l'observait à la dérobée venait d'entrer derrière la vitrine pour mettre en place une nouvelle fournée de parts individuelles. Celles-ci étaient d'un jaune étincelant comme recouvertes d'or liquide.
Il observa la jeune femme déguster sa commande, silencieux comme un chat devant une souris. Lorsqu'elle reposa enfin sa cuillère, il se permit d'intervenir.
— Ça vous a plu ? demanda le pâtissier avec un fort accent suédois.
— C'était merveilleux, répondit Salomé en ouvrant les yeux.
Salomé avait pour ainsi dire le souffle coupé devant son assiette, elle tourna la tête pour mieux l'exprimer à l'auteur de ce rêve gustatif. Au moment où elle posa les yeux sur Lukas Stenbock, elle comprit que tout était perdu, le salon de thé, ses ambitions de cuisinière et au passage son cœur sec depuis quelques années.
Lukas ne ressemblait en rien à l'image d'Epinal que l'on se fait d'un pâtissier. Il était gigantesque, au moins 1m90, se dit la jeune femme. Assorti lui aussi à la boutique, il portait un t-shirt du même ton que celui de sa vendeuse et un jean à la découpe parfaite. Les plateaux d'entremets n'étaient certainement pas les seuls responsables de la taille de ses biceps et encore moins de la carrure générale du suédois. Ses cheveux un peu plus clairs sur les pointes étaient ramassés en un chignon strict au-dessus de son crâne et sa barbe taillée par un expert mettait en valeur des yeux d'une teinte caramel doré. Lukas était à l'image de ses créations : sublime, impeccable et terriblement appétissant.
— Vous faites du sport à la salle ? demanda Lukas avec un coup d'œil à la tenue de sa cliente.
— Á la salle ?
— Je me disais que vous deviez être inscrite à la salle de la rue des Roitelets, mais je ne vous y ai jamais croisée.
— Ahahah, non en fait je... je cours. Je fais mes séances seules, je préfère courir sur la plage, mentit Salomé.
— La salle c'est pratique les jours de pluie et on fait des progrès rapides.
— Je vais y réfléchir alors, merci pour la suggestion.
Lukas sourit à sa cliente puis se retourna et claqua des doigts en direction de sa vendeuse. La petite blonde au garde à vous obéit avec la rapidité d'un chien de berger bien dressé, son patron ne daigna pas lui adresser un regard mais sourit à nouveau à Salomé avant de repartir derrière ses gâteaux.
— Á bientôt alors ? Ici ou à la salle des Roitelets.
— Oui, oui bien sûr, à bientôt rougit-elle.
Salomé était sous le charme. Elle venait de rencontrer l'homme de sa vie, c'était certain : il réalisait les pâtisseries les plus délicates qu'elle n'avait jamais goûtées, cultivait un corps de rêve pendant son temps libre et avait un accent exotique à tomber. Tout occupée à imaginer la splendide silhouette qu'elle se forgerait une fois inscrite à la salle et la somptueuse robe blanche qu'elle porterait le jour de leur noces, Salomé ne remarqua même pas le goût acre de poudre industrielle coupée à l'eau qui composait sa boisson chocolatée.
Ingrédients
100g de poudre de noisettes
4 blancs d'œufs
100g de sucre glace
30g de sucre en poudre
40g de noisettes concassées (facultatif)
Tour de main
§ Préchauffer le four à 180° C
§ Mélanger la poudre de noisettes et le sucre glace dans un saladier. Le faire VRAIMENT et ne pas se dire que ça ne sert à rien puisque-de-toutes-façons-on-va-touiller-après
§ Monter les blancs en neige dans un autre saladier et incorporer PROGRESSIVEMENT (aller, on va dire en 4 fois) le sucre en poudre. Le faire VRAIMENT et ne pas se dire que ça ne sert à rien puisque-de-toutes-façons-on-va-touiller-après. Monter la meringue très ferme
§ Incorporer PROGRESSIVEMENT le mélange blancs-sucre à la préparation noisette-sucre glace. Le faire VRAIMENT et ne pas se dire que ça ne sert à rien puisque-de-toutes-façons-on-va-touiller-après
§ Se répéter comme un mantra « La pâtisserie c'est comme l'amour : peu importe les ingrédients, c'est grâce aux petits détails que ça marche »
§ Verser la préparation finale sur une plaque recouverte de papier cuisson (oui, sulfurisé si vous préférez). Parsemer de noisettes concassées
§ Enfourner 20 minutes à four chaud
§ Attendre que la dacquoise ait refroidi avant de la démouler
§ Dans un premier temps vous pouvez la manger comme ça, avec une boisson chaude. Si vous commencez à bien vous débrouillez en pâtisserie vous pouvez utiliser cette recette pour remplacer les pains au lait industriels du premier chapitre par exemple... Si vous commencer à bien maîtriser l'histoire, je vous propose de lire la suite pour accommoder au mieux cette petite merveille
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