Chapitre 9

Les vacances sont bientôt finies et je vais pouvoir savoir si j'ai obtenu l'affectation dont je rêve depuis si longtemps. Je m'ennuie durant ce long mois où je ne peux rien faire. Passer des heures avec Percée à découvrir la Station c'est agréable, mais plus tellement à la fin. Je tourne en rond et ressasse les mêmes informations. Rien de nouveau n'entre dans mon esprit et je commence même à regretter les cours.

"À quoi tu penses ?

-Au fait que les salles sombres et tristes où l'on avait cours me manquent.

-Quoi ?!"

Allongée sur le lit de ma petite-amie, uniquement vêtues de nos boxers, je la vois se redresser sur son coude et me dominer de toute sa hauteur. Si son visage n'affichait pas autant de surprise, je pourrais presque me laisser tenter par d'autres parties de son corps.

"Comment tu peux avoir souffert des années sur des sièges désagréables et sur les sujets du Concours et regretter tout cela ?

-Peut-être parce que ce sont les années où nous nous sommes rencontrées. On était amies, maintenant on sort ensemble mais ce ne sera plus pareil. On ne passera plus toutes nos journées ensemble. On se verra seulement quand on aura fini nos journées de travail et avant que le couvre-feu ne soit annoncé. Et ce ne sera pas assez."

Une moue triste sur le visage parvient facilement à la faire craquer pour qu'elle m'embrasse et que je puisse fondre dans cet échange. Sentir son amour est tout ce qu'il me faut pour passer une bonne journée. Et je sais que notre histoire ne sera plus aussi facile lorsque les affectations seront données.

Mes mains finissent par se poser sur son corps que je connais désormais par cœur et je ne nie pas vouloir aller plus loin. Bien que nous ayons fait l'amour plusieurs fois depuis la première, je ne me lasse pas de ces étreintes charnelles. J'aime le découvrir comme personne ne le peut, me sentir vivante et entourée.

"Ali, il... Il faut que l'on arrête."

Je me suspends, prête à l'embrasser à nouveau alors même que je la sens se reculer. Bien que ce ne soit pas encore concret, je sens déjà la situation m'échapper et je sens aussi que je vais haïr ce qu'il va suivre. J'aimerais remonter le temps pour revenir à ce jeudi où je l'ai découverte pour la première fois. Ou changer le cours des choses pour que ce qui va se dérouler incessamment sous peu n'existe pas.

"Comment ça ? Si tu ne veux pas que l'on couche ensemble, ce n'est pas grave. On peut juste rester allongées et discuter. Tu sais que je ne te forcerai jamais.

-Ce n'est pas ça Ali. C'est... Cela va bien plus loin que de s'allonger et de discuter. Mais enfin ! Regarde-nous !"

Mon cœur se serre et je sais qu'à la fin de cette conversation, il sera brisé en milliard de petits morceaux irrécupérables. Je ne sais pas où tout cela va mais sûrement pas dans le paradis spatial dont je rêve.

"Je nous regarde Percée. Et je crois bien que, actuellement, nous ne voyons pas la même chose. Et c'est bien la première fois.

-Je... Je suis désolée Ali mais... Mais on le savait depuis le début que tout cela... Que toi, moi... Nous quoi... Enfin, soyons lucides ! Notre histoire ne pouvait pas durer."

La colère monte en moi à chaque fois qu'elle tente d'exprimer ce qu'elle ressent. Un sentiment de haine que je dirige envers mon mini-moi. Je lui en veux d'avoir fait confiance à quelqu'un d'autre qu'à elle. Je la déteste pour avoir laisser tomber ses barrières et offert mon cœur à la pire des trahisons.

Je pourrais en vouloir à Percée, à son changement d'avis soudain mais c'est totalement impossible. Une partie de moi l'aime beaucoup trop pour lui souhaiter le moindre mal. Cette partie même qui souffre.

"Pourquoi ne peut-elle pas durer ? Je t'aime et tu m'aimes. Je sais que tu tiens à moi alors ne tâche pas de me mentir. 

-Rien n'est plus possible parce que dans quelques jours, comme tu as si bien su le faire remarquer, nous aurons nos affectations. Nos vies vont changer et nous n'aurons pas le choix que de nous séparer."

Je sais qu'elle n'a pas totalement tort. Je tente d'oublier tout ce qui va nous être imposé dans quelques jours mais ce n'est pas la meilleure des solutions. Repousser dans un coin ce qui me gêne ne me fera pas avancer.

"Je refuse que l'on se quitte. Qu'importe ce que les statistiques choisiront pour nous, je ne veux pas que l'on se quitte. J'ai... J'ai même parlé de toi à la psychologue. Je sais que cela peut nous aider à avancer, on n'est plus toutes seules.

-Tu as quoi ? Mais enfin Aliénor qu'est-ce qui t'as pris ?! Les couples homosexuels ne sont pas acceptés dans la Station. Et ceux depuis que celle-ci a décollée il y plus d'un siècle et demi. Le raconter à quelqu'un d'aussi haut placé, c'est comme se jeter dans la gueule du loup. On va devenir quoi maintenant ?!"

Debout au pied du lit, elle fait les cent pas. Sa poitrine et ses cheveux rebondissent à chacun d'entre eux et cette vision qui me réjouissait il y a quelques minutes, me détruit aujourd'hui. Je sais que tout ce que je veux ne me sera plus jamais accessible, son corps en faisant partie.

"Rhabille-toi ?

-Pardon. 

-Prends. Tes affaires. Et. Dégages. D'ici."

À chaque partie de sa phrase, elle me lance mes vêtements à la tête, me laissant plus beaucoup de choix. Elle même est actuellement en train de passer un t-shirt, mettant définitivement fin à tous mes espoirs. Mon haut dans les mains, je retiens difficilement mes larmes alors que je cache à mon tour ma nudité.

"Tu es sûre de toi ?

-Certaine. Maintenant va-t-en."

Ses mots sont durs, tranchants comme des couteaux alors que tout en moi est déjà souffrant. Elle me tient la porte de sa chambre et j'ai à peine le temps de la quitter qu'elle s'empresse de venir m'ouvrir celle qui donne sur le couloir.

"En tout cas, sache que je t'attendrai toute ma vie. Je t'aime mon étoile."

Contrairement à celle de sa chambre, Percée prend son élan pour la claquer dans mon dos, me laissant désormais bien seule. Personne d'autre ne me voit et c'est bien le seul point positif de cette rupture.

Honteuse et totalement abattue, je retiens encore un peu mes larmes, juste le temps de rejoindre l'appartement pour me laisser aller. La gamine de douze ans, seule, associable et pressée ressort subitement alors que je commence à courir dans ce couloir dont les néons faibles permettent de cacher mes traits. Je traverse l'Eden sans relever la tête jusqu'à ce que je finisse par arriver devant la porte de l'appartement. Plus qu'un simple scan et je serais à l'abri de tout.

"Et ma princesse est enfin... rentrée..."

J'ai mal calculé tout ce qui arrive actuellement. Je pensais que tout le monde était encore coincé au travail, que papa et maman ne seraient pas encore rentrés. Pourtant ils sont là, assis sur le canapé, tous les deux la tête tournée vers moi, inquiets. Je ne peux que les comprendre en imaginant mon visage rougit par les larmes et la colère, mes vêtements mal mis comme les amants chassés du lit ou mes cheveux en bataille suite à ma course.

"Qu'est-ce qu'il se passe ma puce ?"

Maman s'approche doucement de moi, comme on le ferait devant un animal blessé ou effrayé. Pourtant, je n'ai pas peur d'elle, je fonce même dans ses bras dès qu'elle est assez près de moi. Mes larmes glissent à nouveau sur mes joues pour échouer sur son t-shirt. Mon corps tressaute sous les sanglots et ni les bras de maman autour de mes épaules, ni la main de papa sur mes cheveux ne parviennent à me calmer.

"Qu'est-ce qui se passe Ali ? Pourquoi es-tu es dans cet état ?

-J'ai tout fait comme vous me l'avez toujours dit. J'ai... J'ai ouvert mon cœur, je suis tombée amoureuse, j'ai vécu cette histoire comme une folle et j'en ai parlé à la psychologue. J'ai tout fait pour que nous puissions vivre ensemble mais... Mais c'est fini. On vient de rompre et.. Et je... J'ai si mal..."

Papa et maman ont vécu la même aventure que moi. Tombés amoureux sur les chaises de l'école, ils ont su rester discrets jusqu'à ce que leurs affectations soient annoncées. Ils ont fait connaître leur coup de cœur jusqu'au plus haut dirigeant et ont pu s'installer ensemble. Ils m'ont toujours dit que c'était la meilleure chose à faire, que l'amour gagnait toujours. Et je les ai cru.

"Les résultats ne vont plus tarder à tomber, le stress lui a peut-être fait dire n'importe quoi. Et puis, peut-être l'administration vous jugera apte à vivre ensemble. Laisse-lui le temps de revenir, je suis sûr que son avis va changer."

Moi je doute. Quand je revois le regard de Percée, sa rage et la manière dont j'ai dû quitter sa chambre, je ne pense pas que tout cela changera pour revenir comme avant.

"Est-ce qu'on le connaît ce jeune homme ? Peut-être que nous pourrions lui faire entendre raison ?

-C'est... C'est Percée, Maman. J'aime Percée Marchand à en crever.

-Oh..."

Oui, il n'y a rien de plus à dire à ce stade. Percée a raison et c'est bien le pire. La Station n'acceptera jamais de nous laisser vivre notre histoire. Qu'importe si l'on se bat ou si l'on hurle, la seule chose que l'on gagnera, ce sera peine perdue. L'humanité entière compte sur une poignée d'humains perdus dans l'espace, cet environnement hostile où ils ne devraient pas être.

"Sais-tu si vous avez choisi la même spécialité ?

-Je.. Je ne crois pas..

-Alors peut-être que de la tenir loin de toi pendant quelque temps, surtout pendant ton apprentissage, te permettra de soigner ton cœur. Je ne te demande pas de rayer ce que tu ressens pour elle, je dis juste que cela serait l'occasion de guérir."

Je ne réponds pas et sèche mes joues d'un geste rageur. L'alarme du couvre-feu retentit en même temps que maman se décide à sortir les rations. Je ne parviens pas à manger la mienne. Je ne fais que picorer cette pâte étrange sans parvenir à déglutir, le chagrin me coupant la gorge.

Le soir, alors que mes parents sont prêts à regarder un film, je préfère m'éclipser et rejoindre la douche. L'eau qui coule sur mon corps, le savon qui vient me défaire de l'odeur Percée. Mes larmes coulent à nouveau, se mêlant à l'eau du pommeau de douche. Je respire enfin. J'aimerais pouvoir hurler mais cela s'entendrait dans le reste de la Station alors je me contente de l'imaginer.

Une fois propre, je rejoins ma chambre où je prends enfin le temps d'allumer ma tablette. Celle-ci m'indique la réception d'un message.

Adieu ma lionne...
Je t'envoie ces dernières
photos de nous...
Oublie-moi...

Les clichés pris juste avant notre première fois viennent clore la conversation. Je suis tentée de lui répondre mais l'interface m'indique que cet utilisateur m'a bloqué. Je suis désormais seule, assise contre le montant de mon lit, en pleurs et détruite. D'un geste las, je lance l'application musique de ma tablette et me laisse porter par les paroles d'une chanson romantique triste.

Come on, come on
Don't leave me like this
I thought I had you figured out
Something's gone terribly wrong
You're all I wanted

J'aurais dû vivre les plus beaux jours de ma vie. Recevoir mon affectation, fêter cela avec papa, maman et ma petite-amie parfaite et que j'aime plus que tout. J'aurais dû sourire comme une folle, à m'en faire mal aux joues sans que je ne regrette rien.

À ma fenêtre, seule la Terre me permet de retrouver un peu de contenance. Elle est là, à la fois énorme et si petite. Elle semble briller un peu plus ce soir et je constate qu'aucun nuage ne vient gâcher la beauté des paysages que l'on peut apercevoir. Mes doigts glissent sur la fenêtre pour tracer les courbes des continents.

Je repense à ce soir où la pluie d'astéroïdes est tombée. Ils n'ont pas réalisé mon vœu, ils ne m'ont pas permis de la garder prêt de moi plus longtemps et je leur en veux. Je regrette d'avoir gâché ma chance et à partir d'aujourd'hui, ce sera différent.

Je ne finirai pas ma vie lovée au creux de Percée à profiter de son odeur et de son amour.

Je ne visiterai jamais la Terre parce que le destin a une façon bien à lui d'agencer nos vies.

Je serai juste moi, Aliénor Richard, fille de dix-huit qui espère obtenir son affectation.

Et j'évoluerai en fonction d'elle tout en restant la meilleure. 

>>>🛰️<<<

La semaine prochaine, il s'agira du dernier chapitre avant la partie 2. Oulala ça passe trop vite !

Désolée d'avoir sorti ma hache pour détruire tout ce que j'ai mis pas mal de chapitre à construire ! Maaaaiiiis c'est que le début 😅

À la semaine prochaine !

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