"Le sujet du cours aujourd'hui sera la Révolution française. Reprenez vos documents, nous allons continuer.

-Monsieur ! Ne pourrait-on pas plutôt parler de la fin de la Terre ?"

Un brouhaha résonne alors dans la pièce alors que tous mes camarades sont unanimes pour laisser l'événement marquant de la France de côté et s'intéresser à ce passage bien plus sombre de l'Histoire mondiale. Pour ma part, mon cœur balance entre les deux.

Un regard à ma camarade m'indique que le doute n'est pas permis pour elle. La tête sur sa tablette, elle relit le cours précédent et tente de mémoriser les dates des évènements qui précèdent la Révolution. Sur la moitié gauche de son écran, on retrouve ses notes. Sur la moitié droite, il s'agit d'une page du réseau avec les informations de base qui ont été recensées. De son doigt agile, elle change de page pour obtenir plus de renseignements sur ce que je crois être les révoltes vendéennes.

Pour ma part, bien que j'aime l'Histoire, je ne suis plus trop attentive depuis que j'ai découvert qu'une Aliénor avait régné sur la France et l'Angleterre. J'en ai même discuté à la maison.

***

"Papa ! Papa !"

Je déboule en trombe dans l'appartement après avoir résumé mon cours de la journée avec Percée à l'Eden. Actuellement, nous étudions l'Europe au XIIème siècle et la dynastie des Plantagenêt a attiré mon attention alors que j'entendais le nom de sa femme. 

"Oui mon cœur ?

-Tu savais qu'il existait une Aliénor dans l'Histoire de France et d'Angleterre.

-Bien sûr ma puce, pourquoi penses-tu que tu portes ce prénom ?"

Je l'ai regardé avec de grands yeux, faisant chaque jour un peu plus, le lien avec le cours que je suis.

Le lendemain soir, je rejoins Percée à l'Eden après lui avoir envoyé un message. Nous sommes en jour de repos mais je ne pouvais pas garder mes heures de recherches acharnées pour moi. Étant à ce jour ma seule amie, c'est sur elle que tombe le sort de m'écouter déblatérer mes nouvelles connaissances. Je me dis cependant qu'elle le veut bien puisqu'elle n'a cessé de me coller depuis trois ans. Elle a réussi à me faire céder mais il lui faut bien subir une contrepartie.

"Alors Ali ? Qu'est-ce qui t'arrives aujourd'hui ?"

Je ne réponds pas, préférant m'installer sur une chaise de l'Eden avant d'entamer cette conversation. Bien que les examens de l'année passée n'aient rien révélé sur moi, que je tente d'être un peu plus normale, j'ai toujours besoin d'avoir des règles pour dicter ma vie et me permettre de ne pas me perdre.

Elle tire la chaise en face de moi et s'y installe à son tour. Je note qu'elle porte la même tenue qu'hier, ce qui signifie qu'ils ne sont pas passés à la désinfection. Cela me choque quelque peu, moi qui change tous les jours de vêtements. Je me demande si cela peut être source de maladie ou non.

"J'ai découvert pourquoi mes parents m'ont appelé Aliénor ?

-Par rapport à la reine ?

-Oui."

Je lui raconte le lien que se sont amusés à faire mes parents entre notre nom de famille et mon prénom ainsi que les heures de recherches que j'ai pu réaliser pour obtenir tout un tas de détails plus croustillants les uns que les autres. 

Je lui explique la passion pour l'Histoire qu'ont mes parents, peut-être un critère qui leur a permis de s'unir. Je lui décris la curiosité pour le passé que je me découvre et que cette année de cours va m'aider à mieux développer.

"Et du coup, je me suis demandé si Percée était aussi un personnage. Tu t'étais déjà posé la question aujourd'hui ?

-Euh... Non."

Je sens de l'hésitation dans sa voix mais je n'y fais pas réellement attention. Je suis prise dans ma lancée et je suis trop heureuse de mes découvertes pour ne pas lui dire. Un de mes défauts avec mon besoin d'ordre et mes problèmes d'attachement, c'est mes difficultés à gérer convenablement mes émotions. Quand elles sont trop fortes, elles m'entraînent.

"Il s'agit du fils de Zeus, un dieu grec. Il naît d'une sombre histoire de cœur brisé et de fécondation peu consentie. Abandonné, il est recueilli par un roi.

-Génial. Je ne connais pas ma mère mais je ne suis pas sûre que mon père soit ce genre d'homme.

-Par la suite, il y a un mariage entre le roi et la mère de Persée. Le souverain demande au jeune homme de tuer Méduse, une femme dont les cheveux sont des serpents. D'ailleurs, si tu croises son regard, tu deviens une statue. C'est flippant.

-Je crois que je préfère ton personnage."

J'avoue qu'au début, je trouvais moi aussi cette histoire de mythologie compliquée, mais finalement, je trouve cela bien fascinant. Des histoires de familles, de trahisons et d'alliances. Cela est tout aussi haletant que les séries que mes parents peuvent regarder les soirs où je ne reste pas avec eux, ou après que je sois partie me coucher.

"Il obtient le soutien de trois dieux et parvient à tuer le monstre, sauve une princesse ainsi que plein d'autres exploits. Il y a une constellation à son nom dans le ciel mais... Je ne sais pas si on peut la voir depuis la Station.

-C'est intéressant mais, moi, je ne suis pas sûre de savoir pourquoi mon père m'a appelé comme cela. Tu veux que je...

-Percée est une étoile et toi, tu es celle qui illumine l'obscurité laissée par le départ de ta mère. Et puis, c'est un personnage plutôt stylé."

Notre conversation ne dure pas beaucoup plus longtemps, l'alarme met fin à nos débats. Je la quitte donc, convaincue que le lendemain, je la retrouverai à côté de moi dans la salle des 8ème année.

***

"Vous voulez réellement que l'on aborde la grande épidémie ? C'est d'accord."

Le chaos s'empare presque de la pièce alors que tous nos camarades semblent euphoriques à l'idée d'étudier l'évènement qui nous a confiné comme des rats dans une boîte de sardines. Aucune pièce ne peut offrir d'échappatoire ici, juste quelques posters collés aux murs depuis que la Station est en orbite. Les couleurs sont bien ternes comparées à celles que l'on peut apercevoir sur la Terre.

"Est-ce que l'un d'entre vous saurait me dire comment était le contexte politique à ce moment-là ?"

La question est piège parce que, la plupart du temps, les gens connaissent l'évènement mais rarement tout ce qui a pu se produire précédemment et entraîner la fin du monde connu.

Alors que je repense à tout ce que j'ai lu, la main à côté de la mienne se lève. Je suis surprise. Cette année, Percée n'a pas été du genre active. Elle suivait le cours, réussissait ses examens mais semblait comme éteinte lors des cours.

"Percée ?

-Il y a de grandes tensions entre différentes alliances. Le continent africain s'est fortement développé grâce aux nouvelles technologies, entraînant un appauvrissement des autres. L'Union Européenne a autorisé l'entrée de la Suisse, la Norvège et les pays de la mer Adriatique mais aussi le retour du Royaume-Uni. Petit à petit, les pays sont devenus des régions et l'organisation un état. L'Eurasie est née de la fusion avec la grande Chine, faisant désormais face à un continent africain très, voire trop riche et surpuissant. Le continent américain n'a pas réellement évolué. Seule la jalousie des politiciens américains a grandi. Ces super-puissances sont dangereuses et, alors que le danger devait venir de l'Afrique, c'est un laboratoire américain qui a volontairement diffusé un virus en Eurasie. En moins d'une semaine, la moitié de la population du vieux continent a disparu.

-C'est un bon résumé mademoiselle Marchand. Quelqu'un aurait envie de m'en dire plus ? Sur la maladie elle-même ?"

Je reste abasourdie face au monologue que vient de faire mon amie. Le programme pour le moment ne porte pas du tout sur ce siècle et je n'ai donc pas encore commencé mes recherches. Pourtant, je suis toujours la plus curieuse de nous deux.

"Mademoiselle Sam ?

-La maladie est encore inconnue car il est impossible de l'étudier sur la Station, celle-ci est un espace trop confiné. Cependant, on sait qu'elle entraîne une forte fièvre, des vomissements et une altération de la peau. Les plus faibles mouraient dans la journée tandis que les plus forts pouvaient tenir jusqu'à une semaine. Malgré leurs recherches, les médecins n'ont pas eu le temps de trouver de remède."

Tout le monde ici sait comment s'est passée la fin de la vie terrestre. La maladie qui a frappée n'est pas un mystère. Pourtant, l'entendre et l'imaginer me font froid dans le dos. Comme si mon corps à moi aussi était en train de souffrir là-bas.

"C'est exact. J'ai maintenant une dernière question. Quelle a été la solution trouvée pour sauver le monde ?"

Ce coup-ci, c'est moi qui lève la main. J'ai déjà laissé mes camarades répondre à plusieurs questions mais je veux conclure la discussion, montrer que je suis toujours une bonne élève.

"Mademoiselle Richard ! À vous l'honneur.

-La solution a été une mise en sûreté de groupes de personnes saines afin de les protéger de la maladie. Enfermés dans des bunkers, ils n'ont pas su que le gouvernement eurasien a décidé d'une irradiation de toute la planète afin de tuer les personnes contaminées et de détruire le virus. Cette partie-là a fonctionné mais il n'avait pas pensé au fait que c'était aussi condamner les autres à rester cachés. Si nous, nous sommes en vie, c'est parce que nos ancêtres sont montés dans l'espace six mois avant l'épidémie pour étudier la vie en apesanteur. Ils se sont réunis après la catastrophe et ont mis en place toute l'organisation actuelle de la Station.

-Exactement. Et on ne remerciera jamais assez monsieur Armand Richard pour le courage qu'il a eu de prendre la tête du vaisseau."

L'alarme retentit au même instant, nous indiquant la fin des cours pour nous. Prenant mon temps, je rejoins Percée à la sortie de la salle. Silencieusement, nous rejoignons l'Eden mais mon amie ne s'arrête pas. Elle continue vers l'espace agricole. Je n'ai jamais été là-bas, qu'importe si mon objectif est d'y travailler.

"Tu vas où ?

-J'ai découvert la section il y a quelques jours. Là-bas, il y a plusieurs arbres et beaucoup de plantes. On peut tous s'y promener mais personne n'y va, ils ont trop peur que le soja de leur portion devienne mauvais peut-être."

Je la suis dans ce couloir inconnu, mais semblable à tous les autres. Des portes fermées, sûrement des laboratoires, s'alignent sur de nombreux mètres. Alors que nous arrivons au bout, le plus incroyable des spectacles s'offre à moi.

Un dôme en verre s'élève au-dessus de nos têtes, à une hauteur qui me donne mal au cou. Il est beaucoup plus grand que la lucarne de ma chambre ou la baie de l'Eden. Le long du dôme, un système de plantes grimpantes et d'alimentation d'eau circule dans un ballet magnifique. Un cercle d'arbre en contrebas les accueille. De nombreux bacs à plantes sont installés dans la pièce, uniquement reliés par l'eau. Sous nos pieds, on peut admirer les conduits d'eau et notamment les habitants qui en profitent.

"L'aquaponie est une pratique incroyable.

-Oui. L'homme nourrit les poissons. Leur rejet permet de nourrir les plantes qui, en parallèle, purifient l'eau. C'est très ingénieux.

-À ce que je vois, tu es déjà prête à travailler ici. Les poissons peuvent parfois être trop nombreux. Ils sont donc servis à manger aux plus riches et, s'il en reste, broyés dans nos portions."

Je repense aux discussions que pouvait avoir mon père avec moi ou ma mère mais impossible de savoir s'il a déjà parlé de poissons. Notre famille n'est plus aussi appréciée qu'avant mais l'Élite fait tout ce qu'elle peut pour nous pousser peu à peu vers l'oubli. Des rôles plus faibles, des mariages moins grandioses ou des appartements plus petits. Peut-être que le poisson a disparu dès le début, dans un souci d'économie sûrement.

"Les Richard ont toujours eu quelque chose de mystique au sein de la Station. Mais sache que pour moi, Aliénor Richard, tu seras bien plus qu'un nom. Tu es une étoile dans le ciel, une parmi tant d'autres mais pourtant si spéciale et reconnaissable. Même quand tu travailleras ici, je viendrai te voir pour te rappeler à quel point tu es spéciale."

Elle dépose un baiser léger sur ma joue avant de repartir, me laissant seule à contempler l'immensité de l'espace. En moi, tout devient différent. 

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Un peu d'histoire pour pouvoir situer la Station et Aliénor.

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