Chapitre 2

"Aliénor ! Attends-moi !"

Je quitte la salle de classe pour me rendre à l'Eden afin de réviser. Le grand arbre est toujours là, tout comme ses bancs et ses infrastructures de jeux pour enfants. Si je me fie aux photos de la Terre, l'Eden correspond aux nombreux parcs. À cette heure-là, les plus jeunes n'ont pas encore quitté leurs salles et les adultes sont encore en train de travailler. J'ai la chance de sortir en avance car je n'ai pas besoin du cours de soutien dispensé par notre professeur. 

C'est aussi le cas pour Percée qui me poursuit, ne voulant pas rester seule. Après son arrivée en fin d'année précédente, nous ne nous sommes pas vues durant le mois de vacances. C'était la période de Noël et j'ai passé beaucoup de temps avec ma famille, à lire la liste de romans sur ma tablette ou à me préparer pour l'année suivante. 

"Aliénor ! Mais ralentis bon sang !"

Je n'ai plus vraiment le choix alors que j'entends ses pas s'accélérer, signe qu'elle court. L'écho contre les murs métalliques en est presque assourdissant pour moi qui aime tant le silence. La petite fille agitée s'est bien calmée en quelques mois. Il faut dire que maman a eu un accident de travail il y a quelques semaines, l'obligeant à arrêter de travailler. Obligée de rester à l'appartement, elle n'a gagné aucun crédit durant ce temps et il nous faut désormais faire attention pour ne pas être trop endettés.

Je me stoppe en attendant qu'elle me rattrape. Ce qui ne lui prend que quelques secondes, déjà beaucoup trop pour moi. D'ailleurs, quand son corps finit par toucher le mien, je serre les dents. Je n'aime pas réellement que l'on me touche mais c'est un paramètre qu'elle ne connaît pas.

"Je sais que tu vas réviser et je me suis dit qu'on pourrait le faire ensemble."

Je ne sais pas réellement quoi faire. Je rêverais de la rejeter et de lui demander de me laisser en paix. Pourtant, je ne le fais pas. Je suis bien trop polie et je sais que papa et maman serait contents de me voir en compagnie de quelqu'un d'autre lorsqu'ils sortiront de leur travail. Je suis une enfant joyeuse mais solitaire. Bien qu'ils ne m'en parlent pas, je suis qu'ils s'inquiètent pour moi.

"Il y a des tables à l'Eden, c'est là-bas que je vais.

-Parfait ! "

Elle me devance et sautille gaiement pour rejoindre la centre de la Station. Ses boucles brunes se tendent et se détendent à chacun de ses pas, dans un rythme hypnotisant. Quittant l'espace bureauceates, nous tombons sur l'Eden. C'est l'avantage de la Station. Construite en étoile, tout converge vers le grand arbre. Quelques réseaux secondaires peuvent permettre de le contourner mais ils servent essentiellement à la maintenance.

En entrant, seules trois personnes sont présentes. Je me dirige donc vers ma table favorite où je laisse tomber ma tablette. Un éclair apparaît aussitôt sur l'écran, signe qu'elle est en chargement. Une information futile quand on sait qu'elle a passé ces dernières heures sur ma table de cours, elle aussi équipé d'un chargement à induction.

"Par quoi veux-tu commencer ?

-La spatial.

-Génial, j'adore cette matière !"

Je soupire à nouveau. Si seulement elle avait pu détester, peut-être m'aurait-elle laissé seule. Finalement, je doute que cela fasse parti de ses manières.

"Ok, passons aux bases. Cite les différentes planètes du système solaire."

Bien que cela paraisse être un apprentissage logique lorsque l'on vit dans une boite de conserve au milieu de l'espace, l'étude de ce qui nous entoure ne commence que cette année. Comprendre le système solaire, les mécanismes de l'espace et les conditions de survie de l'Homme dans ces conditions ont été considéré plus adapté à un public de treize ans. En réalité, les plus curieux ont déjà fait bon nombre de recherche depuis qu'ils sont en âge de lire.

"Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Ainsi que Pluton, bien qu'elle ne soit plus réellement considérée comme telle.

-Bravo ! Dans l'ordre en plus ! Maintenant, à quelle distance se trouve la Station de la Terre ?

-Environ cinq-cents kilomètres, bien que celle-ci bouge régulièrement."

Nous continuons ainsi un long moment. Avril arrive bientôt et, avec lui, les examens de fin de trimestre. Je ne souhaite pas commencer avec des points de retard, ils seront bien trop difficiles à rattraper ensuite, quand tout se compliquera.

Il est dix-sept heures quand les premiers quittent le travail, en même temps que les plus jeunes sortent de cours. Il ne nous reste plus que trente minutes avant que mes parents ne me rejoignent.

"La date du premier homme dans l'espace ?

-Le 12 avril 1961, Youri Gagarine.

-Et celle du premier pas sur la Lune ?

-21 juillet 1969, Neil Amstrong."

Nous sommes en 2217. Cela fait 256 années que l'Homme cherche à conquérir l'espace. Une obsession qui a finit par résumé l'espèce humaine à environ cinq-cents personnes dans une boite à sardine. Mais c'était leur rêve pas le mien. Moi, j'aimerais être en vie le jour où ils enverront une expédition sur notre planète pour retourner y vivre.

Papa me dit que ce ne sera sûrement pas possible. Que je serai trop vieille pour pouvoir être envoyée là-bas, que ce serait condamner la place de quelqu'un d'autre. Il me dit que ce seront sûrement mes enfants, voire même mes petits enfants qui retourneront chez nous. 

Mais pas moi.

Moi je suis vouée à naître, grandir, vivre et mourir dans la Station. Comme mon grand-père. Comme mon père ?

"Comment fais-tu pour tout retenir ? Cela me semble tellement difficile et encore, j'ai sauté une classe et je suis donc sensé avoir des aptitudes incroyables !

-Tu ne travailles pas assez. Le Concours aura lieux plus vite qu'on ne le pense et si je ne révise pas assez, je ne pourrais pas avoir les meilleurs résultats de l'académie."

Papa et maman considère que j'étudie trop pour mon âge, que l'inquiétude du Concours peut attendre. Mais je n'y arrive pas. J'ai besoin de travailler pour ne rien laisser passer et m'assurer que mon rêve se réalisera.

L'alarme retentit. Dix-huit heure, les derniers vont pouvoir s'arrêter. Seuls les médecins, quelques scientifiques et les ingénieurs qui doivent régler une urgences sont encore en poste. L'Eden est d'ailleurs rapidement envahi par des enfants, des parents et des personnes âgées. Le bruit qui se répand dans le dôme est le signal même de la fin de les révisions. En tout cas ici.

"Tes parents travaillent dans quoi ?

-Ma mère est décédée à ma naissance et mon père est informaticien. Aujourd'hui, il devait améliorer le logiciel de captation de l'eau. Je ne trouve pas cela passionnant."

Le métier de son père n'est certes pas le plus intéressant pour elle, mais il est un maillon important de notre survie dans l'espace.

"Et toi ? Ils font quoi tes parents ?"

J'étais sur le point de répondre quand des voix que je reconnais résonnent dans la pièce. Papa et maman arrivent chacun d'un couloir différent et on a pour habitude de se retrouver à une table avant de rentrer. C'est le rituel qui a remplacé la course-poursuite dans les couloirs.

"Alors ma puce, comment s'est passée ta journée ?"

Papa vient s'asseoir à ma droite alors que maman se glisse à ma gauche. Elle a cette odeur caractéristique de l'hôpital et j'en déduis que c'est là qu'elle a passé sa journée. Cela arrive assez souvent car c'est un endroit qui mérite une hygiène impeccable et qui fonctionne à toutes heures de la journée.

"Plutôt bien. Nous venons de finir de réviser alors on peut rentrer."

Je suis déjà debout, prête à rejoindre l'espace rassurant du logement où je pourrai me doucher, enfiler mon pyjama et continuer de travailler sur le canapé ou dans mon lit.

"Tu... Tu ne nous présentes pas ?"

Un soupire m'échappe quand je réalise que la torture que m'inflige la présence d'une personne aussi proche de moi, n'est pas prête à se finir.

"Maman, voici Percée. Percée, ma mère, Alice. Elle est ménagère."

Maman lui sourit joyeusement alors que ma camarade lui serre la main. Je sens mon cœur se serrer un peu quand je réalise qu'une simple rencontre est capable de faire sourire maman. Est-ce parce qu'elle est heureuse de voir une nouvelle personne ? Ou est-ce parce qu'elle est heureuse pour moi ?

"Et voici Alix, mon père. Il est informaticien."

Le même manège se répète alors que la jalousie et la colère montent en moi. Tout cela se teinte d'ailleurs d'une certaine tristesse aussi.

"Il nous reste deux heures avant le couvre-feu. Reste avec ton amie, on va rentrer."

Je suis prête à leur crier que je ne veux surtout pas rester ici mais c'est trop tard et il a beaucoup de monde autour de nous. Je suis donc là, toujours assise sur ma chaise, a regarder ma tablette dans l'espoir qu'une notification me sorte de là.

"Tes parents ont l'air adorables.

-Ils le sont."

Qu'est-ce que je peux dire de plus ? Mes parents m'aiment, on s'entend bien et je ne recule jamais quand vient l'heure de rentrer à la maison. Au contraire, c'est le moment que j'attends le plus.

"Je vois que tu n'as pas très envie d'être avec moi. Tu sais quoi, je vais prendre ma tablette et rejoindre mon logement où mon papa rentrera un peu plus tard. Comme cela, tu pourras rentrer chez toi aussi et passer ta soirée tranquille. On se retrouve à l'école demain et tous les jours. Quand tu seras vraiment prête, on restera ensemble avant le couvre-feu. À demain !"

Je hoche la tête et prends ma tablette, bien évidemment chargée, avant de courir jusque chez moi. Je ne sais pas comment a fait cette fille pour me comprendre aussi bien mais je suis heureuse de voir qu'elle ne s'est pas vexée. Un jour peut-être, je parviendrais à dire à papa et maman que je me suis faite une amie mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je pourrai seulement dire que j'ai révisé quelques heures avec une camarade de cours.

"Tu rentres déjà ?

-Oui, on avait terminé.

-D'accord."

Pour ne pas inquiéter mes parents, je ne reprends pas mes cours ce soir, j'ouvre plutôt mon roman. L'histoire m'absorbe aussitôt et je ne vois pas le temps passer. Mon casque sur la tête, je n'ai pas conscience du couvre-feu qui sonne et sursaute dès l'instant où maman vient s'asseoir à côté de moi.

"Ta ration est prête. Tu manges avec nous ?

-Bien sûr !"

Je pose tout sur la table basse en face du canapé et m'empresse de rejoindre papa à table. Les rations sont toujours identiques, une bouillie aux couleurs changeantes et aux goûts très peu variés. On considère qu'il s'agit des nutriments minimums attendus pour bien vivre. Aucun de nous n'est très musclé ou très grand, juste vivant.

Je me mets à repenser à mon roman. Quels goûts peuvent avoir les burgers ? Les sushis ? Selon l'auteur, les goûts d'un seul de ces menus peuvent être très variés en fonction des ingrédients mais j'ai bien du mal à imaginer. Ici, c'est soja, blé ou pois. Une pomme pour le dessert, un aliment de la planète toujours présent, bien qu'ici, impossible de les transformer en un dessert incroyable.

"Elle est gentille cette fille, tu la connais depuis longtemps ?

-Fin de l'année dernière. Elle était assez intelligente pour sauter une classe. Mais ce n'est pas grâce à son travail.

-Tu comptes la revoir ?

-Elle a dit qu'on se verrait tous les jours et que, peut-être, on pourrait devenir amies."

Je n'ai rien à ajouter tant cette fille est encore une énigme pour moi. Je veux rester rationnelle avant d'ajouter quelqu'un à mon entourage qui pourrait me priver de précieux instants de révision.

Quand on a fini de manger, maman passe nos assiettes à la désinfection pendant que je me lave et que papa choisit un film. Sur ce point-là, rien n'a changé. Nos habitudes sont les mêmes.

Quand le générique de fin apparaît, papa coupe l'écran et je leur dis "bonne nuit" avant de rejoindre ma chambre en quelques pas. Face à moi, la Terre me fait face pour ce soir. Je sais que je ne dormirai pas beaucoup, continuant ma lecture et prenant le temps d'admirer cette image. 

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Un petit rapprochement s'opère entre les deux jeunes filles mais Aliénor tient à garder sa carapace.

On se retrouve donc la semaine prochaine pour savoir si la plus jeune parviendra à se faire une place !

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