Chapitre 12
Arrivée devant la porte de mon nouveau logement, je panique. Après m'être relevée du mur contre lequel je m'étais laissée tomber, j'ai envoyé un message à papa et maman pour les prévenir que je devais rejoindre mon appartement et rencontrer l'homme qui m'y attend. Ils m'ont simplement répondu que c'était normal, qu'une nouvelle page de ma vie commençait et que je devais prendre mon envol.
Ma main tremble alors que je veux présenter ma tablette au scanner pour ouvrir la porte. L'angoisse me terrasse comme jamais je ne l'avais été. Quand je passerai cette porte, je quitterai définitivement l'enfance et c'est quelque chose d'encore plus gros que le simple fait de rencontrer un homme.
Mon futur mari.
Les règles de la Station ne m'ont jamais semblé aussi cruelles et j'ai envie d'ouvrir un sas et d'en finir avec toute cette histoire. Je ne veux pas que ma vie se résume à attendre que la mort me prenne, malheureuse à jamais.
Prenant mon courage à deux mains, je pose ma tablette sur le scan et attend le petit bruit synonyme d'ouverture de la porte. Je la pousse avec le peu d'énergie qui me reste pour pénétrer dans la pièce principale de l'appartement. Dos à moi, assis sur le canapé, je devine un homme assis, la tête penchée sur ce qui doit être sa tablette. Sa coupe de cheveux, du genre plutôt classique et efficace, est semblable à celle de la photo.
"Bonjour."
Ma voix est faible, peu assurée et je sens mon cœur tomber dans mes talons alors que l'inconnu, qui n'en devra bientôt plus en être un, se tourne vers moi. Ses yeux gris, les mêmes que ceux qui m'ont fixée par l'écran, se plantent dans les miens avant de me scruter.
"Bonjour Aliénor."
Il me sourit, affichant une dentition parfaite. Mon regard le juge et une remarque me vient aussitôt. Il est sûr que, bien que je ne me trouve pas exceptionnelle, son patrimoine génétique à lui est incroyable. Il semble sortir tout droit d'un livre, aucun défaut ne semble paraître.
"Je ne sais pas encore comment tu t'en sors et comme, pour ma part, j'avais du mal au début, j'ai voulu alléger ton quotidien en achetant des rations pour le mois à venir.
-Merci. J'ai déjà pas mal de côté grâce à des stages alors on pourra partager les frais.
-D'accord. Cool. Je... Je te propose de manger et pour la suite, on verra tout cela demain."
Oui. Demain. Dans une autre journée, un autre état d'esprit. Je sais qu'une nuit ne suffira pas pour me permettre d'accepter la situation mais il s'agit déjà de quelques heures de gagner. Après un repas gênant et silencieux, je rejoins la douche avant de m'effondrer sur un lit. Je ne dors pas dans la chambre parentale, celle que nous sommes censée partager. Cela se fera plus tard. Peut-être demain. Ou dans quelques semaines. Ou jamais.
***
Les mains encore fripées d'avoir étudié les poissons toute la journée, j'emprunte les couloirs pour rejoindre l'Eden où papa et maman m'attendent. J'ai demandé à les voir un court instant avant de retourner chez moi afin de discuter et de me sentir mieux.
"Alors ma puce ? Comment ça se passe ?"
Assis sur une chaise, mon père m'attend impatiemment alors que ma mère, comme à son habitude, tente de le tempérer. Je prends rapidement place face à lui et laisse ma tête tomber dans mes bras.
"J'ai obtenu un hébergement standard plus, c'est déjà pas mal. Et avec, j'ai hérité d'un médecin, Liam Jones, qui, pour l'instant, m'a l'air sympathique.
-Je suis contente pour toi. Avec ton père, nous serons heureux de le rencontrer quand tu te sentiras prête.
-Merci.
-Mais actuellement, il se passe quoi dans ta petite tête ?"
Je craque alors, mes larmes coulant doucement sur mes joues.
"Je... Je me sens mal. J'ai l'impression d'avoir été projetée dans un autre monde. Liam est peut-être sympa mais je l'ai vu qu'une heure, rien me dit que cela sera suffisant à l'avenir et... Et cette histoire d'enfants. J'ai deux ans pour avoir le premier avant que les punitions ne tombent.
-Le premier.
-La loi en exige deux désormais. Mais déjà qu'un me semblait insurmontable, deux me paraît.... Je n'ai même pas de mot pour décrire ce sentiment. Je... J'aimerai fermer les yeux et retrouver Percée mais..."
Je craque totalement alors que la main de mon père vient se poser sur mon épaule et que ma mère fait le tour de la table pour me prendre dans ses bras. Il me faut plusieurs minutes pour me calmer puis je finis par quitter mes parents, désireuse de rentrer me reposer.
À mon arrivée, l'appartement est vide alors j'en profite pour m'allonger sur le canapé, bien plus grand car j'y loge sans avoir à passer mes jambes au-dessus de l'accoudoir, et ferme les yeux pour m'endormir.
"Debout marmotte."
Un doigt caresse délicatement ma joue tandis que les paroles montent doucement vers mon cerveau. Il me faut un petit instant pour réaliser qu'il s'agit du deuxième habitant mais, trop à l'aise, je décide de ne pas bouger et de profiter de ce doux moment.
"Il va être l'heure de manger. Je te laisse te réveiller et on dînera devant un film."
Il s'agit de quelque chose que papa et maman n'ont jamais accepté. L'heure de manger en est une et l'heure du film une autre. Prenant mon temps, je me tourne sur le dos tout en m'étirant, gémissant sous l'effet de mes muscles qui se tendent.
"Ration à l'avoine pour ce soir. Cela nous changera du soja."
Je souris alors qu'il prend place sur le canapé, me laissant poser ma tête sur ses jambes le temps de finir de me réveiller. Bien que je ne sois pas aussi à l'aise qu'avec Percée, je me sens bien. Il allume l'écran et fait défiler les films avant que notre choix se porte sur un divertissement d'aventure. Je me redresse pour être plus à l'aise pour manger, tout en restant proche de Liam.
"Mes parents ont envie de te rencontrer.
-Les miens aussi mais je leur ai dit que tu étais un tout petit peu plus jeune, que tu avais du mal avec tout cela et que je veux que tu sois prête.
-Pourquoi es-tu toujours aussi gentil ?
-Parce que les statistiques ont décidé que nous sommes faits pour être ensemble et nous n'avons pas le choix. Dans l'année à venir, nous devrons décider d'une date de mariage et devenir mari et femme. Penses-tu que tout cela puisse être agréable si nous sommes en mauvais termes ?"
Je n'avais pas encore réfléchi en ce sens. Il est vrai que si je suis ici aujourd'hui, je suis censée rester jusqu'à la fin. Me marier, avoir des enfants et vivre avec lui. Cela me semble effrayant mais, alors qu'il me parle doucement, je me dis que cela peut être jouable.
"Je comprends. On aura qu'à les faire venir un dimanche où on ne travaillera pas pour profiter de la journée ensemble. Quant au mariage, aurais-tu une idée de date ? Il me semble que l'on est libre de choisir.
-Oui. Je ne voudrais pas que cela ait lieu en février, c'est le mois où je suis né, ni le tien pour que l'on puisse garder un esprit festif régulier. Je me suis marié en août avec Linda alors...
-Que penserais-tu d'octobre ? Cela nous laisse le temps de nous découvrir.
-Tu sais qu'il n'est pas possible pour nous d'avoir d'enfant avant le mariage. Et que nos délais sont courts pour...
-Nous sommes en pleine force de l'âge et il nous restera un an après. Je suis sûre qu'on y arrivera."
Il sourit et reporte son attention sur le film alors je l'imite. Nous passons donc de longues minutes à regarder le héros sauver le monde, celui même qui nous est inaccessible tant il est détruit. Quand le générique apparaît à l'écran, Liam est le premier à bouger. Je l'imite rapidement et, alors qu'il se contente de se changer pour la nuit, je préfère passer d'abord par la douche. Il ne me faut que quelques minutes avant de le retrouver. Ses cheveux sont décoiffés et ses yeux semblent lutter pour ne pas se fermer.
"Je sais que tu veux prendre ton temps et je comprends mais...
-Mais ?
-Mais j'aimerais qu'une intimité se crée entre nous, une sorte d'amitié améliorée."
Il est proche de moi. Trop proche ?
Le parfum de désinfectant de la section hospitalière me prend au nez mais elle est masquée par une autre plus masculine, la sienne. Un peu plus grand que moi, il m'oblige à lever les yeux pour l'observer.
"Et... Qu'est-ce que tu proposes ?
-Préfères-tu un baiser ou dormir avec moi dans le grand lit ?
-Je pense qu'un baiser sera suffisant. N'abusez pas de moi monsieur Jones.
-Alors je ferais avec ce que vous m'accorder mademoiselle Richard."
Ses lèvres viennent doucement à la rencontre des miennes alors que ses mains se posent sur mes hanches. Ses lèvres ne sont pas aussi douces et pulpeuses que celles de Percée mais elles sont malgré tout agréables. Mes mains viennent caresser ses joues. Elles sont parsemées d'une légère barbe de trois jours, piquant à mon contact. C'est différent, étrange mais pas si gênant.
Quand il s'éloigne, je me surprends même à regretter que cela prenne fin, j'aurais voulu rester proche de lui. Je ne peux pas dire que je l'aime, mais je suis en capacité d'affirmer que je commence peu à peu à m'attacher à lui.
"Bonne nuit Ali."
Il me sourit avant de fermer la porte de sa chambre, me laissant rejoindre la mienne. Quand je rejoins mon lit, j'ai l'impression d'être une autre femme. Quelqu'un de différente et de plus sûre d'elle. J'ai envie de prendre ma revanche sur mon début de vie, de profiter de celle-ci, quitte à jouer de tout. J'aimerai Liam comme on me le demande, après tout, il mérite mon respect et mon amour et cela peut-être amusant.
Le lendemain matin, je me lève après que le réveil de ma tablette m'ait coupé de mes rêveries. J'étais actuellement coincée dans un lit entre les corps de Liam et Percée, à devoir décider avec lequel je souhaite faire ma vie. Seulement, chacun m'attire avant de me repousser violemment, rendant le choix impossible.
En me levant, je tombe nez à nez avec un Liam torse nu, sortant juste de la douche. Il semble heureux et prêt à commencer sa journée.
"Bonjour vous. Bien dormie ?
-Comme une marmotte et vous ?
-Comme un bébé. D'ailleurs, j'aimerai récupérer quelque chose."
Il se penche sur moi et m'embrasse doucement, me prenant de cours. Pourtant, j'apprécie le contact et demande moi-même à ce qu'il ne s'éloigne pas quand il tente un mouvement de recul. Mes mains se posent sur son torse alors que les siennes jouent avec mon dos. Son contact contre moi est ferme et je ne doute pas qu'il doit s'occuper régulièrement en faisant du sport.
"Dois-je comprendre que mes lèvres t'appartiennent ?
-Pas encore réellement. Par contre, la dose de courage et de bonheur qu'elles me procurent, j'en avais besoin.
-Alors il ne faudrait pas que tu en manques aujourd'hui."
Je l'embrasse à nouveau, prenant l'initiative pour la première fois. La jeune fille timide que j'étais est bel et bien morte pour laisser Aliénor 2.0, une femme sûre d'elle et qui profite autant qu'elle le peut.
"Je suis attendu dans dix minutes pour me préparer à une opération. On se retrouve ce soir.
-Je serais là.
-Tu as quoi de prévu aujourd'hui ?
-Je dois choisir mon affectation annuelle, j'aimerais le traitement des plantes.
-Alors je croiserai les doigts pour toi, même un scalpel entre les mains."
Je souris alors qu'il enfile un t-shirt rapidement. Nul doute maintenant quant à sa musculature, elle est agréable aussi bien à voir qu'à toucher.
"Tâche malgré tout de ne pas tuer le pauvre patient.
-Et toi, tâche de ne pas douter de moi, je suis le meilleur."
Il quitte alors l'appartement et je me décide à me préparer. J'ai quelques minutes de plus pour me rendre à mon poste mais ce n'est pas le jour pour être en retard. Je m'empresse donc de me changer avant de rejoindre le bureau du directeur de section où m'attend aussi mon responsable de formation.
D'ailleurs, celui-ci m'attend dans le couloir, devant la porte où va se jouer mon année.
"Alors Aliénor, en forme ce matin ?
-Très !
-Je vois ça, je ne t'avais jamais vu aussi souriante. Je peux savoir ce qui te fais sourire ?
-Mon futur mari, mais cela ne regarde que moi."
Mon sourire ne quitte pas mon visage alors que j'entre dans le bureau, prête à vivre mon avenir comme dans un film romantique.
>>>🛰️<<<
Malgré les doutes, il n'a pas l'air si méchant que ça ce fameux futur mari. Peut-être l'algorithme avait-il raison !
À la semaine prochaine pour la suite !
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