"Et n'oublie pas Ali, demain on passe aux traitements des poissons, sois à l'heure !

-Comme d'habitude Pat' !"

Je quitte le dôme en vitesse pour ne pas être en retard à mon rendez-vous avec la psychologue. Voilà plus d'un mois maintenant que les résultats du Concours ont été annoncés et que je découvre chaque jour les tâches des agriculteurs. Bientôt, il me faudra choisir un poste pour l'année afin de me spécialiser. De nature curieuse, je sais déjà que je profiterai des roulements annuels pour changer et devenir utile dans toutes les catégories. 

Pour le moment, je vais surtout découvrir les choix qui auront été réalisés par les administrateurs concernant mon logement. Je suis impatiente de quitter papa et maman pour vivre une nouvelle vie, tout comme je regrette de les laisser seuls. Voilà dix-huit ans maintenant que nous vivons tous les trois et j'espère mener la séparation en douceur.

En arrivant devant la porte du bureau, celle-ci est fermée et je suppose que le précédent n'a pas encore fini alors je m'assois sur la chaise du couloir, ma tablette à la main pour patienter. Quelques jours plus tôt, la soirée d'intégration des nouveaux a eu lieu et j'ai fait plusieurs photos que je prends maintenant le temps de retoucher.

"Richard Aliénor."

Je me lève d'un bond alors que la porte vient de s'ouvrir et que le jeune avant moi, garçon qui évolue maintenant dans la section des astronautes, en sort. Il me sourit avant de partir et je me retrouve désormais face à la psychologue qui m'invite à entrer. À l'intérieur, un homme nous attend déjà et je le reconnais comme étant un collègue à mon père et donc, un administrateur.

"Assieds-toi, nous avons beaucoup à nous dire."

Je prends place sur la chaise avec impatience. Actuellement, ma famille vit dans un logement standard, une chute de qualité quand on sait que la famille Richard a longtemps vécu dans les sphères les plus importantes et que ce nom est respecté. Cependant, la politique en vigueur a de nombreux désaccords avec les décisions prises par mes ancêtres. J'ai espoir que mes années de travail pour être première de ma promo auront porté leurs fruits et que, en plus d'avoir accès aux meilleurs postes des agriculteurs, j'aurais un bon logement.

"Comment s'est passé ce premier mois de découverte ? Aucune envie de changer ?

-Pas du tout ! Je suis très bien là où je suis et je compte bien y rester. 

-Tu m'en vois ravie. Nous allons donc passer à d'autres sujets."

Je jubile, impatiente à l'idée de franchir une nouvelle étape dans ma vie d'adulte. Je sais qu'à l'époque de la Terre, il était difficile pour certains jeunes de quitter la maison, les parents et de partir loin. Aujourd'hui, la question ne se pose plus tant notre proximité est forte. Certains enfants vivent de l'autre côté du couloir, étant séparés de leurs familles par une enjambée.

"Concernant ton logement, nous avons pensé à un standard plus. Contrairement à tes parents, tu auras une chambre avec un lit double ainsi que deux petites chambres avec un lit simple. De plus, le canapé est un peu plus grand ainsi que la télévision. Cela t'apportera beaucoup en confort de vie."

Ces informations me semblent peu utiles dans l'optique où je ne vois pas qui pourrait dormir chez moi. Cela arrive que des amis profitent d'une soirée après le couvre-feu et que l'un ne rentre pas chez lui mais dans mon cas, je ne vois pas qui viendrait. J'aurais préféré le confort des appartements supérieurs avec des ordinateurs, des jeux terrestres, des machines à laver personnelles et autres conforts.

"L'accès a été configuré sur ta tablette et tout est prêt pour que tu y ailles dès ce soir. Des rations sont dans les placards et le système de traitement des vêtements et vaisselles est en parfait état de fonctionnement.

-Oh ! Euh... Très bien."

Je m'attendais à pouvoir m'y rendre à partir de demain. D'abord le temps d'une heure avant le couvre-feu puis, petit à petit, y manger seule et y dormir. Un jour après l'autre. Aussi bien pour moi que pour papa et maman. Maintenant que je suis devant le fait accompli, j'ai l'impression que mes plans dérapent.

"Maintenant, il est de notre devoir de discuter de ton avenir, de l'avenir de la Station."

Je peine à déglutir alors que l'évidence m'apparaît de plus en plus. Tout ce que je pensais contrôler me file entre les doigts à grande vitesse et je suis impuissante face à tout ce qui se produit.

"Oui... Je... Enfin, en quoi cela me concerne."

Je tente de feindre l'ignorance. Peut-être que cela me permettra de passer à côté de cette discussion parce que je serais jugée trop étrange. Ou au moins parviendrai-je à obtenir des réponses claires. Bien que je ne sois pas certaine de les vouloir.

"Comme tu le sais certainement, l'avenir de l'espèce humaine est contenu dans la Station, un moyen pour nous de nous maintenir en vie jusqu'à ce que l'on puisse rejoindre la Terre. La capacité maximale de la Station est d'un peu moins de mille individus, un chiffre qui varie mais qui ne doit surtout pas être dépassé."

Je sors juste des salles de classe et je connais parfaitement l'Histoire et les données de la Station. Nos problèmes de maths se basent dessus dès notre première classe et ce jusqu'à notre dernière. M'expliquer tout cela, c'est comme enfoncer une porte ouverte.

"Malheureusement, l'épidémie de grippe dont nous avons été victimes récemment, la même que celle que tu as contractée, a réduit de presque moitié la population au sein de notre refuge. L'arche de Noé est actuellement en train de couler. C'est pourquoi, les textes ont été modifiés.

-Et oui, désormais, la réglementation concernant l'enfant unique a été revue à la hausse. Il est désormais possible d'avoir deux enfants, plus en cas de seconde grossesse multiple. Cette nouvelle loi, à court terme, doit permettre de faire retrouver à la Station un population stable tout en conservant un patrimoine génétique varié."

Les actualités énoncées par l'administrateur résonnent étrangement en moi. Je me sens concernée sans l'être réellement. Comme si on me parlait d'une mission sur Terre alors que je suis ici.

"Oui et... En quoi cela me concerne ?

-Comme tes parents avant toi et comme tous les autres membres de la Station, tu auras pour obligation de mettre au monde au moins un nouveau stationaute. Dans le cas contraire, tes crédits seront diminués tous les deux ans jusqu'à ce que cela arrive. Seul un avis médical déclarant une stérilité serait un moyen pour toi de garder tes crédits.

-Mais ?! Enfin je... Je ne peux pas. Tout cela ne me concerne pas !"

C'est officiel, cette conversation ne me plait plus du tout. Je me sens entraînée dans un engrenage dont il va être impossible de se défaire. Comme un alignement de dominos qui chute et qu'il est impossible d'arrêter.

"Cela te concerne tout autant que n'importe qui d'autre. Tu es un membre de la Station et tu fais partie de cette grande famille qu'est l'humanité. Que tu le veuilles ou non, le choix ne t'appartient pas."

J'aime contrôler. C'est un défaut qui me suit depuis des années mais je sens que je vais devoir apprendre à subir, surtout au vu de la conversation à laquelle j'assiste et qui me semble surnaturelle.

"J'aime... Je n'aime personne au sein de cette Station. Enfin si ! Mais... Ce que je veux dire, c'est que je ne suis en couple avec personne alors cela risque d'être difficile d'avoir un enfant seule.

-Ne t'inquiètes pas pour tout cela, il ne s'agit que de logistique."

Je déteste la manière qu'on les administrateurs à tout considérer comme un problème de mathématiques auquel ils doivent répondre. Papa a appris à ne plus réfléchir comme cela sans cesse mais il ne fait pas partie de la majorité. 

"De la logistique ?! Mais est-ce que vous vous entendez parler ? Je ne suis pas une équation, je suis un être humain avec des envies, des sentiments. Et puis, comment pourrais-je avoir un enfant alors que j'aime les femmes ?!

-Il est là le véritable fond du problème Aliénor. Lors de notre rendez-vous, tu nous as avoué sortir avec une fille et je n'ai rien relevé. Cependant, après une discussion avec mon collègue, il faut savoir que cette même personne avait déclaré la même chose mais qu'une conversation sérieuse lui a permis de comprendre les enjeux."

Les éléments s'assemblent dans mon esprit. Percée est ressortie bouleversée de son rendez-vous pour la constitution de son dossier. Elle était hésitante, mal à l'aise. Sur le coup, j'ai mis ça sur le compte du stress qui devait monter en elle mais finalement, peut-être était-ce déjà la peur de ce qui allait se passer maintenant. Bien que je comprenne son geste, je lui en veux de m'avoir laissé tomber sans même avoir cherché à se battre. D'avoir continué avec moi, de s'offrir entièrement pour faire demi-tour si peu de temps après.

"Ce qu'il faut que tu saches mademoiselle, c'est que, statistiquement parlant, les relations homosexuelles sont peu intéressantes. Je te parle en tant qu'administrateur, pas comme un médecin mais... Il faudrait que nous fassions de nouvelles recherches scientifiques pour que deux femmes puissent voir leurs patrimoines génétiques s'associer ou qu'un enfant puisse grandir dans un bocal pour que deux hommes puissent être père. Il s'agit là d'une pure fiction, nous n'avons pas les moyens de tout cela.

-La fiction n'existe que quand elle vous arrange. Vivre dans l'espace était un simple rêve d'enfants ou de riches jusque dans les années 2000. Pourtant, en y mettant les moyens, nous nous retrouvons aujourd'hui à vivre dans la boîte de conserve dont ils rêvaient, coincés comme des rats."

La colère monte en moi, un cocktail explosif qui a pris son temps pour monter avant de faire surface. Le monde nous a longtemps vanté de vivre tels que nous sommes, d'accepter les différences pour devenir meilleurs. La Station a oublié ces principes.

"Mademoiselle, cette question n'est pas à évoquer aujourd'hui. Si cela vous tient réellement à cœur, alors lancez-vous dans une carrière politique, on verra si d'autres pensent comme vous.

-Sûrement plus que vous ne l'imaginez.

-Stop !"

La psychologue se lance à son tour dans cette arène improvisée, tentant de mettre fin à la petite guerre qui se prépare entre nous deux. Quand je le vois, je suis bien heureuse de ne pas avoir choisi de rejoindre ce rôle, leurs manières m'auraient dégoutée. Tout comme je n'aurais pas pu être psychologue et expliquer à des enfants que leurs rêves sont tous justes bons à être écoutés.

"Aliénor, il va falloir que tu sois forte pour ce qui va suivre. Le conseil a pris en compte qui tu es, aussi bien génétiquement, psychologiquement et socialement. Ton cas a été abordé avec autant d'attention que tous les autres de ta promotion pour parvenir au meilleur résultat. Il a été constaté que ton intégration avec les gens de ton âge était complexe et qu'il te fallait quelqu'un de différent."

L'analyse qu'elle me donne est juste mais me fait froid dans le dos. Dans quel traquenard vais-je encore tomber ?

"Je te présente Liam Jones."

Devant moi, sur sa tablette, un homme d'une vingtaine d'années, les cheveux bruns et une barbe courte et bien taillée regarde l'objectif. Ses yeux d'un gris acier semblent me transpercer alors même que cela a lieu par le biais d'un écran.

"Il a 22 ans et est médecin. Il s'agit du meilleur de sa promotion, tout comme toi, et excelle dans le rôle qu'il a choisi. Durant l'épidémie, il a sauvé plusieurs vies. Malheureusement, le destin a voulu qu'il perde la femme qui lui avait été désignée, sans qu'ils n'aient eu d'enfant. Il a été suivi psychologiquement et il est désormais apte à reprendre une vie de couple. C'est donc avec lui que tu partageras ton quotidien désormais. Il t'attendra dans votre nouvel appartement."

Je tombe des nues alors que mon regard reste ancré dans celui pixelisé de l'homme qui m'a été choisi. L'administrateur me sourit, fier de lui, alors que la jeune femme m'adresse un sourire désolé tout en récupérant sa tablette.

"Il doit t'attendre actuellement et, bien que tu sois excusée en cas d'infraction au couvre-feu, je ne voudrais pas te faire prendre de risques. Passe une bonne soirée, Aliénor."

Je quitte le bureau, mes jambes tremblant sous mon propre poids. Une fois la porte claquée dans mon dos, je fonds en larmes.

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Et voilà un nouveau chapitre pour commencer cette partie 2 !

Pour le moment, tout se passe à peu près bien pour Ali pour le moment mais rassurez-vous, cela va bien finir par s'améliorer !

À la semaine prochaine !