La face cachée de la Lune
N.d.a : Cette nouvelle est à mi-chemin entre réalisme et fantastique. Je pense que ce n'est pas la peine d'essayer de vraiment comprendre ;)
(Les 1001 mots commencent maintenant)
— Reste-là, voyons... Ne lâche pas ma main, il y a des voitures !
Avec une moue déçue, le garçon arrêta de remuer et attendit d'avoir passé la route. Puis il se déroba de l'étreinte de la main de sa mère, et partit en courant, entouré des éclats de son rire. Sa mère ne put retenir un sourire, qui s'effaça bien vite en le voyant s'agripper aux briques d'un muret et commencer à l'escalader, se tractant avec ses frêles bras jusqu'au sommet.
— Que fais-tu ? Descends ! Tu m'entends ? Tu vas te blesser, descends de là. Tout de suite.
Mais l'enfant l'ignora et continua son ascension jusqu'à s'asseoir tout en haut, à deux mètres du sol. Deux mètres, c'était vraiment peu. Mais deux mètres, c'était vraiment trop, pour une maman inquiète. Elle balbutia :
— C'est très bien, tu grimpes bien... Mais écoute-moi, la prochaine fois, d'accord ? Et maintenant, approche, ajouta-t-elle en tendant les bras.
Le jeune garçon s'y laissa glisser et sa mère le saisit par les aisselles pour le déposer au sol, puis elle reprit sa main.
— Cette fois-ci, on rentre à la maison, et tu ne me lâches plus.
Mais l'enfant ne pouvait cesser de repasser dans sa tête la sensation de liberté qu'il avait éprouvée et l'image de paysage vu de plus haut que de son mètre à partir duquel il voyait habituellement le monde.
Il se promit silencieusement qu'il recommencerait.
⁂
Le club l'avait accepté sans hésité, il n'y avait nul besoin d'être un expert pour sentir en lui les capacités d'un grimpeur de haut niveau. Il s'était équipé, puis avait glissé le bout d'un chausson sur un rebord naturel de la roche.
Et il avait escaladé.
⁂
Il comptait les jours avant la compétition. Lorsqu'il avait commencé son calendrier, il y en avait soixante-dix neuf. À présent il y en avait un demi.
Douze minuscules heures qui paraissaient une éternité.
Il avait le trac, oui, mais l'envie de voir la voie et d'agripper les prises, de sentir la gravité, et ses muscles l'aider à voir le monde de haut, était bien plus forte.
Plus que onze heures.
⁂
Il observa un instant la roche, son calcaire, ses prises, parfois polies, puis il baissa les yeux sur la corde qu'il tenait entre ses mains, dont l'extrémité était accrochée à son baudrier par un double nœud de huit. Il n'hésita qu'une fraction de seconde, puis il entreprit de la dénouer lentement. Il la lança à ses pieds, retira baudrier, chaussons et casque, et posa le premier de ses pieds nus sur la paroi. Il glissa sa main sur une réglette, une fine prise saillant à peine de la roche, la deuxième dans une fine fissure, et il monta.
Il n'était accroché nul part excepté à la pierre par ses doigts, il n'en ressentait pas le besoin.
Il ne tomberait pas.
Il ne tomberait jamais.
⁂
La Lune était peut-être inatteignable, mais pas moins tentante.
Son rêve était peut-être inatteignable, mais pas moins tentant.
Escalader la Lune.
⁂
Il souffla un instant pour se préparer. Il ferma les yeux, l'espace d'un moment furtif, et lorsqu'il les ouvrit il était prêt. Cette affirmation pulsait en lui, flamme sans cesse amplifiée du brasier des certitudes. Il se grandit, leva les mains à hauteur de son visage. Il les regarda, ces mains fortes et légèrement noueuses, musclées, blessées par les roches qui les avaient vues passer et guéries par les mêmes.
Il les posa sur la pierre, les laissa courir dessus jusqu'à ce qu'elles trouvent les prises, même infimes, et s'emboîtent avec elles, en symbiose parfaite.
Puis il monta un pied, le cala sur une simple vire au début, plaça le deuxième à côté, puis le premier dans un trou des dimensions et de la forme d'une grosse goutte.
Ses mouvements étaient coordonnés, par habitude, par réflexe, et par instinct. Du bout des doigts, du bout des pieds, il recherchait les aspérités de la voie qu'il se créait seul, les trouvait, s'en servait. Il s'appuyait sur la montagne, la montagne s'appuyait sur lui.
Non, il ne s'appuyait pas sur la montagne. Elle était un sol, soit, mais elle était une plateforme de rebond, une voie de décollage. D'envol.
Ses mains était ses ailes, mais ses pieds aussi. Un oiseau à quatre ailes, un oiseau qui cherchait la Lune, et donnait rendez-vous aux étoiles, du haut de son perchoir acéré et vertical. Il salua le ciel, parla de la pluie et du beau temps avec les oiseaux, joua à la course avec les nuages.
Il s'envola.
Il ne semblait pas soumis à la gravité, pour lui il n'en existait qu'une, et c'était celle de cette Voie, à laquelle il offrait à juste titre une majuscule, qui sinuait dans la roche.
Son voyage était de ces moment éphémères conjugués à l'éternel.
Si les artistes peignaient avec leurs pinceaux ou même leurs doigts, et les écrivains avec leurs mots, il peignait, lui, avec ses mouvements, danse incolore, inodore et impalpable qu'il exécutait silencieusement.
Seul ses gestes parlaient.
Ses gestes ? Son geste.
Son escalade se composait d'un seul et unique geste courbe. À quoi servent donc les lignes ? Seuls les sots se fiaient à une vie rectiligne.
L'escalade aurait pu prendre deux petites minutes, deux heures, deux jours, deux semaines, deux mois ou deux ans... Arrivé au sommet, il ressentait toujours la même chose.
Il attrapa la dernière prise du dernier mètre, et se hissa. Il bascula en avant, et se mit debout sur le plat, avant de tourner la tête vers l'horizon.
Qu'il soit composé d'autres montagnes, de forêts, de prairies, d'immeubles de banlieue, de plages de sable, ou d'étoiles à perte de vue, au-dessus d'un mer de nuage, il restait l'horizon, ce fil changeant que jamais personne n'attraperait, ni ne verrait de près.
Il y était, il avait réussit, que ce fut simple ou compliqué. Et il trouverait toujours un autre rêve après celui-ci, il n'en manquait pas.
Celui-ci était enfin fait.
Il avait escaladé la Lune.
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