9 - Leila

Dans deux jours, c'est l'anniversaire d'Elena, mais c'est aussi le jour où Abriel est parti de la maison. Cela fait bientôt sept ans que ma famille est brisée.

Depuis le repas silencieux suite à la manifestation, je n'arrête pas de repenser à Abriel. J'ai besoin de lui parler, de le revoir. J'ai réfléchi à ça toute la nuit dernière en fixant le plafond. On est dimanche, il est neuf heures et demi et je suis exceptionnellement levée car aujourd'hui, je vais retrouver mon grand frère. Alors, oui vous imaginez bien que je vais fuguer, car non mes parents n'accepteront pas que je le revoie, déjà que d'après eux ils font un effort colossal en me le passant au téléphone cinq petites minutes le jour de l'Aïd...

Mais j'ai un plan, sur le buffet de l'entrée, il y a un carnet qui appartient à ma mère, je suis sûre qu'il y a son numéro ainsi que son adresse. Mes parents font le ménage tous les dimanches matins. Je n'aurai qu'à le piquer juste avant de m'éclipser.

Il est dix heures quand je suis prête. Sac à dos avec de l'argent de poche et une batterie externe. Veste en cuir par dessus mon sweat à capuche blanc, pantalon noir et adidas lassées. Je peux partir, à un détail près : il me manque le carnet. Je profite d'un moment où mes parents vont tous les deux chercher quelque chose dans une autre pièce que le salon pour voler le carnet blanc de renseignements et sors en vitesse de la maison. Et pour plus de sécurité, je quitte même ma rue avant de me poser sur un banc pour connaître l'adresse.

Sur la page, il y a noté son numéro, que j'enregistre immédiatement sur mon téléphone, et son adresse. Il loge dans une résidence universitaire loin de chez moi. Je calcule le trajet sur Google Maps, il faut une heure environ en marchant et une demi-heure en vélo. Ni une ni deux, je retourne dans mon jardin et avant que quiconque ne puisse me voir, j'enfourche mon vélo et mets en route mon GPS ainsi que la musique dans mes écouteurs, j'ai de la route devant moi.

Je traverse les différents arrondissements, slalome entre les piétons sur les pistes cyclables, sourit en voyant un enfant s'émerveiller de la nature, rigole doucement quand un autre trébuche sur un cailloux. Avec la musique dans les oreilles, tout semble plus simple, plus joyeux, un peu comme dans les séries.

Au bout d'une vingtaine de minutes, je décide de faire une pause. Je regarde les notifications de mon téléphone. Ma boîte vocale s'est faite assaillir d'appels venant de ma mère et certains de mon père. J'ai reçu également quelques messages d'Elena et un de Mao qui me demande de l'aide pour un devoir. J'ignore tout ça. Enfin pas tous, je rassure seulement ma mère en disant que tout va bien et que je rentrerai avant la nuit. Je peux clairement m'attendre à me faire passer un savon en rentrant, mais bon, ça vaut le coup. Finalement, je rebranche mes écouteurs et finis les quelques mètres qui me séparent d'Abriel.

Une fois devant la résidence universitaire, je cherche son numéro de chambre sur l'interphone.

12-DARCHE

13-DABRAINVILLE

14-DALRIEU

15-DASRA

Il est là ! Dasra, c'est ça ! Abriel Dasra, comme moi. Je tape 15 à l'interphone et une voix ensommeillée me répond après un long bip :

« Oui, c'est pour quoi ?

– Salut, c'est Leila... Je peux entrer ?

– Leila ? Qu'est-ce tu fous ? Y'a papa ou maman ?

– Non, je suis seule... Enfin je peux tout t'expliquer si tu me laisses entrer !

– Ah oui oui viens, je t'ouvre la porte, je suis la chambre 15 au premier étage. »

J'attache mon vélo dans le hall de la résidence, heureusement que mes neurones ont pensé à l'antivol. Puis je monte les escaliers au premier étage, traverse le couloir et m'arrête face à la porte 15. Je stresse, j'ai un peu peur aussi. Mais je n'ai plus le temps de me remettre en question puisque Abriel ouvre sa porte pour me laisser entrer chez lui.

Alors déjà lui, il a changé. Son visage s'éclaire quand je traverse l'encadrement de la porte. Ses yeux noisette sourient comme à leur habitude. Je remarque qu'il porte un bracelet à la cheville aux couleurs du drapeau LGBT. Il a vieilli, sa barbe témoigne du temps durant lequel on ne s'est pas vu.

C'est lui qui brise le silence en premier :

– Wooaw, Leila, t'a grandi depuis...

– Oui, toi aussi t'as changé...

Je balaye vite des yeux l'endroit où il vit. C'est si petit comparé à chez moi, fin chez nos parents. Il n'y a seulement deux petites pièces l'une plus grande que l'autre. La plus petite il m'explique que c'est sa chambre, elle possède pour unique meuble un lit. La seconde pièce avec la mini cuisine,un canapé avec une télévision en face et un bureau avec quelques étagères qui se baladent au mur. Il y a aussi une petite cloison qui sépare ce que j'imagine être la salle de bain du reste de la pièce. Au fond, il y a au moins une fenêtre.

– Bienvenue chez moi, dit-il dans un sourire.

– C'est beau, réponds-je par pure politesse.

– Arrête de mytho, c'est moche, ça se voit quand t'as tout jugé du premier coup, mais pour ta défense, j'ai pas fait d'effort de déco non plus.

Je ris.

– C'est vrai qu'un tour chez IKEA ne te ferait pas de mal, lancé-je en rigolant.

Il se marre à son tour

Puis sa mine redevient sérieuse et il me dit :

– Dis-moi, qu'est-ce que tu viens faire ici sans les parents ?

– Disons que c'est assez tendu entre papa et moi en ce moment...

Il me regarde d'un air grave mais j'ajoute :

– J'ai un côté féministe qu'il n'apprécie pas forcément, et j'avais besoin de te parler, tu me manquais un peu aussi.

Sans même m'en apercevoir, quelques larmes coulent sur ma joue, vive le côté super émotif de ma vie... Alors Abriel me sourit tristement et me prend dans ses bras. Il m'avait manqué mon grand frère.

On passe le reste de l'après-midi à manger n'importe quoi, à jouer à la play et à discuter de nos vies respectives. Puis vient l'heure de notre séparation mais cette fois, il me promet qu'on se reverra très vite. De toute manière, maintenant, je sais où il habite.

En partant, j'envoie un texto à ma mère pour la prévenir que je rentre dans environ une demi heure. Elle me répond qu'à mon retour, on aura une petite discussion. Autrement dit, je vais me faire engueuler fort.

Mais je n'y suis pas encore, alors avant la tempête, je branche mes écouteurs pour reprendre ma route et ma playlist démarre avec Mesdames de Grand Corps Malade. Je souris lorsque les premières notes envahissent mes oreilles. Cette musique plairait sûrement à Alexandre.

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