7 - Leila
Encerclée par le monde, privée de la vision à cause des fumées de couleurs suite au fumigènes.
Je me faufile dans cette foule et tout d'un coup tout le monde s'arrête. Plus aucun cri ne retentit dans la rue. Soudain, un chuchotement brise ce silence :
– Allez, Prune !
Une jeune fille au cheveux mi-longs bruns monte sur une poubelle à l'aide de deux amies. Elle s'éclaircit la voix et commence, la voix tremblante :
– On est toustes pareils ! OK, nous, les femmes, on part avec moins de capacités, mais on n'abandonne pas, et on s'entraîne pour être à leur hauteur ! On est capables de faire autant, voire même plus, que ces mecs !
Je l'applaudis pour l'encourager, je suis bientôt suivi par toute la foule. Elle sourit et reprend :
– On est peut-être plus petites, mais plus persévérantes ! L'Armée a besoin des femmes, les hommes ont besoin de nous. Notre approche n'est pas la même en mission mais les deux sont dépendantes l'une de l'autre. Je suis sûre que certaines d'entre vous veulent rejoindre les rangs de l'armée, n'importe laquelle. Mais à cause de cette foutue loi, votre rêve est tombé en miettes, votre avenir est brisé ! Ne vous inquiétez pas, car nous allons nous battre pour contester cette loi, pour que vous puissiez porter cet uniforme avec fierté !
Je crie et applaudis à nouveau. Elle a raison.
Toute la foule se met alors à scander son nom. Elle rougit de gêne. Puis le mouvement de foule se remet en marche, les cris reprennent de plus belle. La foule se dirige alors vers le Centre de recrutement de l'Armée de Terre. Je laisse passer les gens et rejoins Prune qui descend de la poubelle. Je m'approche d'elle. Autour, ses amies la félicitent, rigolent. Alors je prend mon courage et lance :
– Ton discours était vraiment génial, il était tellement vrai !
Elle me sourit et répond :
– Bah merci...
Une de ses amies se rajoute à la conversation :
– C'est moi qui l'ai poussé, elle sait super bien parler mais sa timidité la freine !
Je souris, je comprends ce problème. Nous passons le reste de la manifestation ensemble. On discute de nos différents points de vue, sur la plupart d'entre eux on est d'accord. A la fin de la marche, je me suis fait une nouvelle amie. Je lui passe mon numéro et on se promet de se recontacter. Je retourne chez moi, là l'ambiance ne va pas être pas la même. Mon père va pas supporter que je sèche des cours pour faire une manifestation, qui plus est, féministe. Je mets mes écouteurs et entre dans ma bulle. Je fredonne les paroles de ma chanson favorite, Balance ton quoi d'Angèle quand quelqu'un me rentre dedans. Ou plutôt quand je rentre dans quelqu'un. Je lève les yeux d'un air désolé, mon sourire empathique s'efface directement quand je vois qui est la personne. Dans toute cette ville, il fallait que je tombe sur Mathis. Lui me dévisage et me sourit d'un air enjôleur. Je soupire en levant les yeux, je réplique :
– Garde ta face de rat pour Amélia.
Ma phrase le refroidit immédiatement, je souris faussement en exagérant exprès et passe mon chemin tout en le poussant. Dans mon dos j'entends qu'il me crie :
– Hé la voilée, ton châle ne t'empêche pas de faire la pétasse, à ce que je vois !
Je l'ignore et ajuste d'une main tremblante mon hijab bleu clair.
Arrivée devant chez moi, je pousse le portillon, traverse le mini chemin de cailloux menant directement à ma porte. Puis je stoppe ma musique, je suis déçu de m'arrêter sur celle-là, c'est Can't hold Us de Macklemore. C'est la chanson préférée d'Elena. Je souris en pensant à elle.
Je baisse la poignée de la porte et lance un "Coucou c'est moi !" général en entrant. Ma mère à la cuisine, s'attelant à faire un Tajine, me lance :
– Coucou ma puce, tu pourras passer un coup de balai dans le salon ?
– Papa ne peut pas le faire ? Je rentre du lycée, je suis claquée moi !
– Oh tu sais bien que ton père ne peut pas faire ce genre de tâches !
– Il peut pas ?! Ah oui, il n'a plus de bras, excuse moi ! dis-je d'un ton sarcastique.
Puis un braillement venant du salon répond :
– Ecoute ta mère et ne la ramène pas, Leila !
– Toi, tu n'as rien à dire ! Ta seule excuse pour ne rien faire, c'est que tu es un homme !
– Leila ! reprend le braillement de mon père.
Je souffle fort, et sous le regard suppliant de ma mère, je ne réponds pas et me dirige dans ma chambre. Je largue mon sac et regarde les messages, parmi eux j'en ai un d'un numéro inconnu. Mais je décroche très vite les yeux de mon écran puisque mon père toque tout en criant sur ma porte :
– Leila, c'est quoi ce message du lycée que je viens de recevoir ?
Je pose calmement mon téléphone sur mon bureau et me retourne lentement vers ma porte. Mon père reprend de plus belle :
– Leila, ouvre-moi !!
J'avance vers ma porte, tourne lentement ma clé dans la serrure en silence tout en regardant le poster d'Angele qui m'observe des ses yeux bleus impeccables. Je lui souris pour me donner du courage et m'écarte du pas de ma porte. Sans plus attendre, mon père déboule dans mon entre en criant :
– Tu vas m'expliquer ces absences de la journée !
Je repense à Angele, inspire et me lance :
– Je suis allée manifester.
– Manifester ! Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! Et en quel honneur ?
– Pour le féminisme... dis-je d'une petite voix.
– En plus de ça pour le féminisme ! Haha, quelle blague ! Ma fille rate des cours pour manifester avec des féministes.
Il contient sa colère, je le vois. Mais quand je croise son regard, j'ai des frissons dans le dos. Si je n'avais pas été sa fille, il m'aurait tuée, tellement il y a de la haine, du dégoût dans ses yeux. Heureusement, la douce voix de ma mère met un terme à ce conflit puisqu'elle nous demande de venir à table.
Ce repas silencieux fait surgir des souvenirs douloureux. Seul le bruit des fourchettes raclant les assiettes emplit le vide du salon. La dernière fois que silence s'est abattu dans notre famille, c'était à la suite du coming out d'Abriel, le plus grand de mes trois frères. Après avoir lancé sa bombe dans notre vie paisible, il est parti. Je ne l'ai jamais revu, depuis.
Je regarde Baptiste finir son Tajine et se lever de table. Il débarrasse son assiette, embrasse ma mère sur la joue et disparaît dans sa chambre. Je ne tarde pas à l'imiter mais avant que je m'en aille, mon père me fixe et s'éclaircit la gorge, avant de lâcher :
– Leila, je suis déçu.
Je l'ignore, tourne mes talons et m'enferme à mon tour dans ma chambre. Les larmes coulent silencieusement sur mes joues, mais pour me consoler je me dis que de toute manière, il n'a jamais été fier de moi. Alors j'essuie cette tristesse d'un revers de main et attrape mon téléphone. Je vois le message du numéro inconnu qui dit :
« Hello, c'est Prune ! Je voulais te remercier pour ce que tu m'as dit à la manif', et je suis super contente de t'avoir rencontrée ! »
Je sourie à la vue de son message et répond sans tarder. Mais très vite, l'énervement et la tristesse m'abandonnent pour laisser place à la fatigue. Je troque mon pull et mon jeans contre un t-shirt large, défais mon hijab et attache mes cheveux en un chignon. Ensuite, je me dirige vers la salle de bain, me démaquille (enfin c'est un bien grand mot : j'enlève le peu de mascara posé sur mes cils) et me brosse les dents.
En traversant le couloir, j'entends ma mère prononcer mon nom avec en bruit de fond les infos qui passent à la télé. J'ignore complètement la discussion car, quasiment tous les soirs, je suis leur sujet préféré.
Au loin, je vois la porte de la chambre de Baptiste à moitié ouverte. Je m'approche, passe ma tête dans l'entrebâillement et lance d'une voix bienveillante :
– Bonne nuit Bapt'.
Mon petit frère me sourit avec lassitude avant de répondre :
– Bonne nuit Lélé.
Je lui sourit à mon tour puis sort et m'enferme de nouveau dans ma chambre. Je me glisse sous ma couette, le moral à zéro. Les larmes refont surface mais avant que la tristesse ne reprenne possession de mon corps, je m'abandonne dans les bras de Morphée.
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