6 - Alexandre

Mercredi dernier, le président a annoncé que les femmes n'ont plus le droit d'être militaires. Ce n'est que la première d'une longue série d'interdiction pour la gente féminine, je le sais. Et depuis mercredi, tout le monde ne parle plus que de ça. Les filles sont remontées comme jamais, même madame Labrousse, la prof de français, garde les lèvres pincées toute la journée, comme si être normale, comme d'habitude, montrerait qu'elle approuve ce qu'a décidé le président.

Je suis dans la cour du lycée, accompagné de mon groupe de potes. Dans l'univers de Nekfeu s'échappe de mon téléphone.

– Toute façon, on s'en branle, il a raison : c'est pas un métier de gonzesses ! s'exclame Mathis alors que les filles sont encore en train de débattre de ça.

Ava se tourne vers lui et lui lance un regard noir. Il rit.

– Allez, détendez-vous. Personne ne voulait être militaire ici, si ?

– Non, mais ça montre que le gouvernement ne compte pas s'arrêter là. Et je n'ai aucune envie d'être obligée de demander une autorisation à mon mari pour sortir en boîte dans quelques années, crache Chloé, une autre fille du groupe.

C'est la première fois qu'une dispute dure aussi longtemps. Enfin, par dispute, j'entends "désaccord entre Mathis et les filles". Nous, on reste en dehors de ça. Je ne suis déjà pas vraiment en bons termes avec Ava depuis notre rupture, ce n'est pas pour en plus m'attirer ses foudres sur le vaste et controversé sujet du féminisme.

– Mathis, je t'adore, mais tu es vraiment un idiot, lance Amelia, sa petite amie, avec un sourire.

Mathis soupire.

– Le président a raison, vous êtes trop compliquées, vous, les femmes, lâche-t-il avant de se tourner vers nous pour chercher du soutien.

Aussitôt, Sasha se cache derrière moi. Je rigole intérieurement. Il est tellement différent de nous. Je me demande comment on peut être aussi bons amis ; les meilleurs, en fait.

Il y a quelques jours, j'aurais été d'accord avec Mathis mais depuis le débat sur le féminisme en français, j'hésite à répondre avec autant de véhémence. Je me balance d'un pied sur l'autre, gêné.

– Peut-être qu'elles n'ont pas tort Mathis ? Ce n'est pas vraiment une décision juste, dis-je faiblement.

Je vois les filles me sourire de toutes leurs dents, ce qui me rassure un peu.

– Quoi, Alex, t'es d'accord avec elles ? s'écrie Mathis. Elles t'ont retourné le cerveau ou quoi ?

– Non, mais... Qu'est-ce que tu en penserais, toi, si les hommes n'avaient plus le droit de devenir militaires, pompiers ou policiers ? Ce ne serait pas juste.

Laura et Chloé hochent la tête avec frénésie, leurs longs cheveux lissés se balançant sur leurs épaules.

– Mais ça n'arrivera jamais, Alex, répond Mathis en balayant ma question d'un geste de la main. Le sexe fort, c'est les hommes ! On sera toujours à la tête du pays, donc ne t'en fais pas pour ça !

Cette fois, Mathis a dépassé les bornes. Laura, Chloé, Amelia et Ava ont toutes trois un air furieux sur le visage et elles s'approchent de lui à grands pas.

Je remarque que dans la cour, tous les regards sont à présent tournés vers notre groupe. Je m'approche des autres gars, attendant de voir les filles faire sa fête à Mathis.

– T'as pas honte de dire ça ? s'écrie Chloé.

– Tu es vraiment débile, Mathis ! s'exclame Ava.

– Non mais tu t'entends parler ? s'emporte Laura.

– Comment tu peux dire une chose pareille ? s'offusque Amelia. Après tout ce temps passé avec nous, tu penses encore que je suis inférieure à toi ?

Mathis se ratatine d'abord face aux paroles des filles, puis il reprend consistance et rétorque :

– Je suis bien plus fort que vous trois sur le plan physique, c'est sûr et certain ! Voilà pourquoi certains métiers sont réservés aux hommes. On est plus forts, c'est comme ça !

Chloé lève les yeux au ciel, puis les trois autres se reculent pour la laisser déverser toute sa haine sur Mathis :

– Evidemment qu'on est moins fortes que toi, tu fais de la musculation ! Mais si je me bats contre Sasha, il est évident que je vais gagner ! Il ne fait jamais de sport, et il a des bras comme des spaghettis.

J'entends Sasha rire derrière moi. Visiblement, ça ne le dérange pas d'être pris en exemple dans ce genre de débat.

– Et c'est pareil pour Noa ! ajoute Chloé en montrant Noa du doigt. Je suis bien plus musclée que lui, ça se voit ! Ce n'est pas une question de sexe, Mathis, mais d'entraînement...

Elle soupire longuement.

– Tu trouves que les garçons sont plus forts et les filles plus intelligentes, c'est ça ?

Mathis hésite sur la réponse à donner.

– J'ai onze de moyenne. Alex, lui, a quinze, et Sasha seize. Alors, tu te bases toujours sur tes stéréotypes maintenant ?

Chloé n'attend pas la réponse de Mathis et tourne les talons. Pile au même moment, la cloche sonne. Elle a bien choisi son timing.

Je rejoins Sasha et Ava pour aller en français. A cette pensée, je soupire. Je vais de nouveau me retrouver à côté de Leila...

Quand j'entre dans la classe, je me dépêche d'aller m'asseoir à ma place. Quand madame Labrousse finit par arriver à son tour, il reste encore beaucoup de places libres. Je remarque que ces places sont presque toutes censées être occupées par des filles.

La prof jette un rapide coup d'œil dans la salle puis hoche la tête d'un air satisfait. Ne comprenant pas, je demande :

– Madame, où est Leila ?

Elle rit légèrement.

– Je me doutais bien que tu ne serais pas au courant, répond-elle.

Puis elle sort ses affaires sans prendre la peine de m'expliquer.

– Madame ? répété-je en levant la main.

Elle se redresse.

– Tu verras bien, lâche-t-elle.

Et elle commence le cours, me laissant seul dans l'incompréhension.

Seulement quelques minutes plus tard, j'entends des cris provenant de la fenêtre. Madame Labrousse y jette un coup d'œil discret puis sourit d'un air satisfait.

A mon tour, je regarde dehors. J'écarquille alors les yeux, sous le rire de madame Labrousse.

Dans la cour, une bonne centaine de lycéens sont agglutinés et tiennent à bout de bras des pancartes en cartons sur lesquels on peut notamment lire "L'ARMÉE POUR TOUSTES !", "LES FEMMES COMBATTENT AUSSI" ou "WOMEN DEMAND EQUALITY". Il y a également des images Rosie la riveteuse accompagnées du message "We can do it !", et des poings levés dans le symbole de la femme, le tout sur fond violet.

C'est donc là qu'elles sont toutes passées aujourd'hui...

Elles avancent dans la cour et sortent du lycée dans un chant que je reconnais, l'ayant déjà entendue quand j'étais passé près d'une manifestation féministe l'année dernière alors que je me rendais à un entraînement de handball.

Soudain, alors que je regarde attentivement les militantes, j'aperçois le visage de Leila en tête du mouvement de révolte.

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