4 - Alexandre

Je m'installe à ma place, dans la salle de français, en poussant un profond soupir.

C'est aujourd'hui, le jour du grand débat sur le féminisme. Je lève les yeux au ciel. Je n'ai aucune envie d'y assister, encore moins d'y prendre part. Mais je crois que je ne vais pas avoir le choix.

Lundi, la prof nous a demandés de préparer des arguments sur ce thème : "Les femmes méritent-elles d'être égalent en droits aux hommes ?" Je n'ai même pas pris la peine de le faire. De toute façon, je suis persuadé que cette classe est remplie de féministes prétentieuses prêtes à tout pour avoir raison. Et madame Labrousse est de leur côté, alors ça n'arrange rien...

Je vois Leila arriver de là où je suis. Étonnement, elle ne semble pas en colère. Peut-être parce qu'elle s'apprête à me balancer à la figure tous les arguments qu'elle a listés.

En effet, quand elle s'assoit, elle lance, un sourire mauvais aux lèvres :

– Je suis sûre qu'on peut arriver à faire de toi quelqu'un de correct, si tu fais des efforts, mon petit Alex.

Je vois rouge mais m'efforce de ne pas relever. Je sais que la prof m'observe du coin de l'œil, tout comme bon nombre d'élèves de la classe, et je n'ai aucune envie de me faire recaler une nouvelle fois par Leila.

Quand toute la classe, si l'on excepte les habituels absents et retardataires, s'est installée, la prof s'avance devant le tableau et commence :

– Bien. Bonjour à tous ! Le cours d'aujourd'hui, comme je l'ai dit lundi, portera sur le féminisme.

Quelques soupirs se font entendre.

– Je vous avais prévenu ! rétorque madame Labrousse. J'espère que tout le monde a préparé des arguments et contre-arguments, parce que vous allez en avoir bien besoin !

Contre-arguments ? Comment ça ? Elle ne nous avait pas dit, ça !

Je me tourne vers Leila, qui affiche un sourire triomphant. Visiblement, elle avait compris. Je soupire. Je sens que cette heure ne sera pas de tout repos.

La prof nous demande ensuite de bouger les tables pour former quelque chose qui ressemble le plus possible à un cercle.

– L'idée, c'est que tout le monde puisse voir tout le monde durant le débat, dit-elle.

Enfin, nous finissons par nous asseoir. Ceux qui sont pour le féminisme sont d'un côté, les contres, comme moi, de l'autre. Je vois Ava et Sasha se placer au centre. Je crois qu'ils ne savent pas très bien où ils en sont à ce niveau-là...

– Parfait ! s'exclame madame Labrousse. Je vais donc animer le débat aujourd'hui. Nous allons commencer par entendre tous les élèves, chacun à leur tour, puis nous commencerons ensuite les hostilités.

Je me tourne brusquement vers elle. Elle arbore un sourire malicieux.

Elle commence donc par faire le tour de la classe concernant la question posée. Une fois qu'elle a terminé, elle semble contente des réponses données.

– Madame, intervient alors Leila en se redressant, sans prendre la peine de lever la main.

La prof lui donne la parole.

– Pourquoi ne parlons-nous que des femmes ? Il y a d'autres minorités qui méritent tout autant l'égalité, mais qui ne l'ont pas non plus !

Madame Labrousse sourit de plus belle.

– Très bonne question, Leila. Le féminisme se concentre essentiellement sur les femmes mais, tu pourras certainement constater, si tu prends la peine de t'y intéresser d'assez près, que les associations et mouvements féministes défendent aussi les personnes non-binaires, transgenres hommes et femmes, etc. Les féministes sont, en général – pas tout le temps, bien sûr, il y a toujours des exceptions – des personnes ouvertes à tous les niveaux.

Leila hoche la tête puis se renfonce dans sa chaise, satisfaite.

– Je vais maintenant demander à tout le monde, après avoir entendu les arguments de chacun, si vous voulez vous déplacer ? J'entends par là que vous pourriez ne plus être d'accord avec ce que vous pensiez au début et pourriez vouloir vous ranger du côté des féministes, maintenant.

Les élèves se regardent, indécis. Je vois Ava se lever après une seconde d'hésitation, prendre sa chaise et aller se placer derrière Leila. Elle me jette un regard discret. Je peste intérieurement. Mais bon, après tout, elle peut bien penser ce qu'elle veut...

Sasha, lui aussi, hésite, je le vois bien. Il finit par rester au centre, ne prenant pas parti. Je soupire. Je dois dire que je me sens un peu seul.

Quelques autres élèves, qui étaient à l'origine de mon côté, se déplacent pour aller au centre. Il ne reste plus que des garçons avec moi.

Madame Labrousse veut transformer ce débat en un garçons contre filles ? Pas de soucis, je suis prêt. Ce n'est pas parce que je n'ai pas écrit mes arguments sur un vulgaire bout de papier qu'ils ne sont pas là, bien au contraire.

Une fois que tout le monde s'est assis, la prof prend à nouveau la parole :

– Bien. Je vois que certains retrouvent la raison, sans vouloir bien sûr imposer mon avis et mon jugement à tous les autres.

Elle sourit, presque de façon provocante. Je ne perdrai pas ce débat ! Mon père m'a toujours dit que si on se retrouve seul contre une femme, il fallait user de force physique. Je ne vois pas trop comment je pourrais le faire ici, mais je vais me débrouiller. Elles ne gagneront pas.

Leila lève aussitôt la main.

– Leila, tu veux commencer ? demande madame Labrousse.

– Non, j'aimerais que ce soit Alexandre qui démarre, répond Leila avec un sourire mauvais.

La prof rit.

– Alexandre, ça ne te dérange pas ?

Je secoue la tête. Je vais leur montrer.

– Eh bien, je pense que les femmes ont un rôle depuis toujours : celui de rester à la maison pour s'occuper des enfants. La preuve, ce sont elles qui portent les bébés. Bien sûr, elles peuvent travailler, m'empressé-je d'ajouter en entendant des murmures horrifiés. Mais ce sont quand même elles les responsables des enfants. Il est normal qu'elles n'aient pas accès aux postes les plus importants, puisqu'elles ont toujours des enfants à gérer à la maison.

Leila est rouge pivoine. Je sens qu'elle s'apprête à ouvrir la bouche, mais la prof la coupe et m'encourage à poursuivre, un petit sourire aux lèvres. Elle semble simplement amusée par mes propos.

Je continue avec fougue :

– Les hommes sont plus forts que les femmes, c'est prouvé scientifiquement. Si je me bats contre Leila, par exemple, il est évident que je gagne. Les muscles ne se développent pas de la même façon et les hommes sont supérieurs.

Cette fois, la prof ne réussit pas à arrêter Leila qui bondit de sa chaise et s'écrie :

– Ton premier argument est complètement idiot, je ne vais même pas prendre la peine d'y répondre. Quant à celui-là... Mais tu t'entends parler ? Tu dis que les femmes sont inférieures en force aux hommes. Et selon toi, c'est dans tous les cas ! Peut-être que si je me bats contre toi, qui fais du handball, je perds, mais je peux facilement gagner contre Sasha, par exemple !

Sasha se redresse aussitôt, surpris. Je crois qu'il ne s'attendait pas à entendre son nom dans cette discussion.

– Et quand tu dis ça, tu crois que c'est une vérité absolue ? Les hommes, à l'heure actuelle, sont plus forts que les femmes en général, c'est vrai. Mais est-ce que tu t'es déjà demandé pourquoi ?

Elle s'interrompt un instant, pantelante.

Je secoue la tête d'un air incrédule. Où est-ce qu'elle veut en venir ?

– Quand un bébé naît et que c'est une petite fille, à quoi est-ce qu'on va l'encourager à jouer ? Aux poupées, à la dinette, des activités totalement inintéressantes, d'abord, et qui ne développent pas les muscles. Alors que les petits garçons seront encouragés à faire du foot, du rugby, à jouer à la bagarre, et j'en passe. Dès l'enfance, les enfants sont divisés en deux. Et dès l'enfance, les muscles des garçons sont plus sollicités que ceux des filles. Voilà d'où vient la différence !

Elle se rassoit, peinant à reprendre son souffle.

– Quelque chose à dire pour ta défense, Alexandre ? intervient alors madame Labrousse.

Tiens, je l'avais oubliée, celle-là.

Je secoue légèrement la tête.

– Pas pour l'instant.

– Et toi, Leila ?

– Bien sûr, répond-elle en levant la tête, un air de défi dans ses yeux noirs. Toujours.

Mais qu'elle est pénible, cette madame-je-sais-tout !

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