28 - Alexandre

Je salue rapidement mes amis en sortant du gymnase. Cet entraînement de handball s'est relativement bien passé ; j'ai déjà été meilleur mais j'aurais aussi pu faire pire. Le match à venir s'annonce gagnant. On doit jouer contre une équipe qu'on a déjà rencontrée et, pour être honnête, ils ne sont pas vraiment doués.

Je m'assois sur un poteau pour attendre que ma mère me chercher et regarde mon téléphone en attendant.

J'ai reçu un message.

« Je ne peux pas venir te récupérer en voiture avec tout ce qui se passe aujourd'hui, prends le métro »

Bon, eh bien je crois que je n'ai pas le choix. Comme si je n'avais pas assez sué pour la journée, je vais maintenant devoir affronter les transports en commun puants de Lyon. Merveilleux.

Alors que je marche en direction de la station de métro la plus proche, j'entends des cris de plus en plus proches. Surpris, je tourne à l'angle d'une rue pour comprendre la cause de tout ce bruit.

Je n'en reviens pas.

Les rues sont investies de dizaines, non, de centaines de gens. Certains portent des pancartes, d'autres des enceintes qui diffusent de la musique que je reconnais comme étant du Angele, d'autres encore tiennent des mégaphones à bout de bras. Ils sont vraiment nombreux. Il y a principalement des femmes, mais elles sont loin d'être seules.

Je devine immédiatement la raison de leurs protestations.

Je m'apprête à faire demi-tour pour prendre un autre chemin quand un petit groupe qui semble légèrement alcoolisé me prend par le bras en riant. La femme lance :

– Allez viens mon petit, on est là pour nos droits, tu dois nous aider !

Et elle et ses deux amis me poussent dans la foule.

Il y a définitivement beaucoup trop de gens.

Une fois au milieu des manifestants, je suis entraîné avec eux ; à chaque fois que je tente de m'échapper, quelqu'un me barre la route en me hurlant dans les oreilles des slogans du type « L'armée pour tous ! » et autres inventions féministes.

Des pétards volent en tous sens et éclatent autour de la foule qui pousse des cris ravis, d'après ce que j'entends.

Je ne vais donc jamais m'en sortir ? En plus, je commence à avoir vraiment chaud, collé par tous ces gens.

Soudain, j'aperçois une tête connue.

Leila. Elle pourra sûrement m'aider à partir.

Je m'approche d'elle tant bien que mal, esquivant un coup de coude et des postillons sur le chemin. Quand j'arrive près d'elle, je lui secoue l'épaule mais elle ne réagit pas. Je dois la tourner vers moi pour qu'elle daigne enfin m'accorder son attention.

C'est vrai qu'elle n'est pas moche comme fille, même avec son voile.

– Qu'est-ce que tu fous là ? demande-t-elle de but en blanc.

– Je ne sais pas vraiment, avoué-je. Vous êtes encore là pour l'armée ? Vous n'en avez pas marre de râler ?

Leila soupire en levant les yeux au ciel.

– Et toi, tu devrais prendre une douche au lieu de critiquer. Je te signale que tu ne sens pas la rose, assène-t-elle en fronçant le nez avec un regard dégoûté pour mes vêtements.

Il faut dire que même moi, j'arrive à sentir mon odeur. Et elle n'est pas franchement agréable. J'espère que personne d'autre ne me verra dans cet état.

– Évidemment, je reviens d'un entraînement, rétorqué-je. Je n'étais absolument pas censé débarquer dans une manif de folles qui veulent lutter contre des décision irréversibles prises par le président en personne.

Je me retiens de rire devant l'air désespéré de Leila. Ça pourrait presque devenir drôle de la taquiner.

– En attendant, la folle a autre chose à faire que d'écouter parler un imbécile qui n'est pas censé être là, comme il dit. Si tu n'as rien à faire pour le mouvement, tu peux partir, Alexandre.

Je soupire.

– Qu'est-ce que tu crois que j'essaie de faire depuis tout à l'heure, nounouille ? J'y arrive pas, personne ne me laisse m'échapper !

J'ai l'impression que Leila s'apprête à rire avant de se raviser.

– Déjà, ce genre de surnom n'est pas nécessaire, débilos. On n'est pas amis, et ça n'arrivera sûrement jamais. Tu es un trop gros con pour ça.

J'ouvre la bouche pour rétorquer mais elle ne m'en laisse pas le temps :

– Ensuite, qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Ce n'est quand même pas de ma faute si tu as tellement peu de charisme que tu ne sais pas t'imposer.

– Moi, peu de charisme ? répété-je d'un air faussement outré. N'importe quoi, madame la féministe. J'ai des amis, moi, déjà.

Leila ricane avant de répliquer :

– Ah oui, une bande de babouins tous aussi bêtes les uns que les autres qui ne sont pas capables de respecter autrui, pas même leurs propres amis. Tu les considères vraiment comme des gens biens ? Je préfère largement Elena et Mao.

Nous nous faisons bousculer par la foule tandis qu'elle continue à nous porter à travers les rues de Lyon. Les gens crient autour de nous ; d'autres se rajoutent à la marche petit à petit.

J'ai l'impression d'avoir été engrené dans une organisation très importante dont les causes me sont pourtant totalement étrangères. C'est une sensation très bizarre.

Je remarque alors que beaucoup des lyonnais présents ici arborent le drapeau gay, que ce soit un pin's sur le sac, un tatouage sur la cheville ou des boucles d'oreilles. Je savais bien que les deux causes étaient liées.

– Tu n'as plus rien à répondre, à ce que je vois, me nargue Leila.

– Bien sûr que si ! dis-je avec fougue. J'observais le paysage, c'est tout.

– Alors tu vois bien que tu t'y plais, à cette manif, finalement.

– Pas du tout ! Je m'aperçois juste que les gens ici sont tous les mêmes : des pédales ou des filles qui gueulent un peu fort parce qu'elles ont leurs règles. Mais c'est sympa, on voit d'où ça vient.

Alors que j'achève ma tirade, un sourire satisfait aux lèvres, je vois le visage de Leila se décomposer. Elle secoue légèrement la tête dans ma direction avant qu'un sourire maladroit ne se forme sur son visage. Je ne sais pas ce qu'elle regarde, mais elle n'est pas confiante, visiblement.

Je me retourne pour voir la cause de son inquiétude ; j'ai envie de disparaître de la surface de la Terre.

C'est Prune. Et si j'en crois sa tête, elle a tout entendu.

Elle m'adresse un regard plus froid que l'Antarctique avant de se tourner vers Leila.

– Je ne savais pas que tu venais, dit-elle d'un ton qui se veut désinvolte.

Mais ça ne trompe pas : on peut entendre le tremblement de sa voix.

– Je ne pensais pas non plus te voir ici, répond Leila avec sincérité.

– Enfin, je suis surtout surprise par sa présence, reprend Prune en jetant un regard dégoûté dans ma direction.

Leila regarde de tous côtés, ne sachant plus où se mettre. J'ai presque l'impression qu'elle a de l'empathie pour moi. Serait-ce son premier signe de gentillesse à mon égard ?

– Je ne le pensais pas, murmuré-je sans oser regarder Prune.

– Ah oui ? rétorque-t-elle d'une voix glaciale. Ça avait pourtant l'air très honnête, d'après ce que j'ai entendu.

Je lève la tête vers Leila, espérant capter son regard. Il faut qu'elle me sorte de cette situation. Après tout, c'est à cause d'elle si j'en suis là !

– Je... Tu devrais le croire, bredouille-t-elle en guise d'explication. Il a simplement dit ça pour me provoquer. Je crois.

Dieu merci, elle prend ma défense. Je pourrais presque l'apprécier, là.

– T'es de son côté maintenant ? lâche Prune.

Eh merde.

– Pas du tout ! rétorque Leila. Je le déteste, et ça m'étonnerait fort que ça change un jour. Mais je suis bien obligée d'avouer que l'on ne sait pas se parler sans se provoquer. Et c'était de la pure provocation de sa part. Il ne pense pas la totalité de ce qu'il dit.

Traduction : une partie de ma tirade vient droit du cœur...

– Je suis désolé, je n'aurais pas dû dire ça, vous ne le méritez pas.

Je suis vraiment prêt à tout pour cette fille, même à m'excuser auprès de ma pire ennemie.

– Je ne suis pas certaine que tu le sois réellement, mais soit, soupire Prune.

Je vois Leila souffler discrètement. Même elle est soulagée pour moi. Elle a dû remarquer notre rapprochement ces dernières semaines. Et il faut croire qu'elle n'est pas sadique au point de vouloir que Prune me fasse la gueule pendant des semaines.

Prune m'adresse alors son premier sourire de la journée. Je l'ai sûrement déjà dit mais elle est magnifique. Et elle sent tellement bon. Alors que moi...

Je sors de l'entraînement, coiffé n'importe comment, en t-shirt trempé de sueur, le tout accompagné d'une odeur que je qualifierais de passablement horrible.

– Bon, je... il faut que... enfin, ma mère m'attend, je dois rentrer, dis-je avec hésitation sous le regard inquisiteur des filles.

Les deux se regardent, sourient puis m'adressent un rapide « au revoir » avant de se retourner pour plonger dans la foule.

Je m'extrais difficilement de la masse et retrouve avec bonheur le calme des rues. D'autres personnes tentent de me ramener dans la manifestation mais il en est hors de question. Je rentre.

Tout en marchant vers le métro, je soupire. J'espère que Prune ne me fera pas la tête pour ce que j'ai dit. Je voulais juste énerver Leila.

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