26 - Alexandre
Pour bien commencer les vacances, Sasha et moi avons décidé de nous voir. Il m'a proposé de venir dormir chez lui un soir, ce que j'ai accepté avec grand plaisir. Louane et Mathieu ont râlé ; ils adorent voir Sasha. Parfois, j'ai l'impression qu'ils le considèrent plus comme leur grand frère que moi. C'est un peu vexant.
Je me dirige donc vers la maison de Sasha. Il n'habite pas très loin de chez moi, à moins d'un quart d'heure à pied.
Quand j'arrive devant le portail, je sonne et attends qu'il vienne m'ouvrir.
Sans surprise, c'est son petit frère, Alexis, qui me fait entrer. Leur chienne, Ellie, gigote à ses pieds et il l'empêche de sortir de la maison en m'invitant à entrer.
– Salut ! lancé-je en lui tendant la main, attendant qu'il me checke en retour.
Il reste là à m'observer un instant.
– Qu'est-ce que tu as fait à mon frère ?
Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il raconte ?
– Comment ça ? Je ne lui ai rien fait du tout.
– Depuis quelques jours, il n'arrête pas de...
– Salut Alex ! s'exclame Sasha en débarquant dans le hall, essoufflé d'avoir couru dans toute la maison.
Il m'adresse un grand sourire, non sans avoir fusillé Alexis du regard. Mais qu'est-ce qui leur prend, tout à coup ?
– Rien, répond Sasha à ma question muette. Tu viens ?
J'acquiesce et le suis dans sa chambre.
Comme d'habitude, la maison de Sasha est encombrée de nombreux objets. Il y a des morceaux de tissus, des mannequins, des robes, des vestes, des boîtes de maquillage un peu partout, de la peinture, et toutes sortes d'autres instruments appartenant à ses parents.
Sa mère est costumière et son père maquilleur pour une troupe de théâtre lyonnaise, mais ils sont artistes de façon plus générale. Quand elle ne coud pas un nouveau vêtement, Nastasia peint des personnages de littérature classique. Son mari, lui, passe son temps à tenter désespérément d'apprendre le Russe. Il n'a jamais réussi à maîtriser complètement la langue maternelle de sa femme, alors que Sasha et Alexis sont tous deux bilingues.
Sasha ouvre la porte de sa chambre et me fait signe d'entrer avec un sourire.
– Après toi, beau gosse.
Je ris et entre.
Sa chambre est radicalement différente du reste de la maison. Il y a le même désordre, mais plutôt que des tissus et des pinceaux, ce sont des cours, des vieux vêtements et des feuilles froissées qui jonchent le sol.
Je remarque alors un grand tas de feuilles de classeur posé dans un coin de son bureau. Je fronce les sourcils et m'approche pour regarder.
Sasha se glisse aussitôt devant moi en faisant « non » de la tête.
Ça doit être ses poèmes. Il en a écrit tant que ça, ces derniers temps ?
Il m'adresse un petit sourire triste. Je n'en peux plus de le voir comme ça.
Quelques heures plus tard, après avoir mangé une quantité assez incroyable de pizza, de glace et de bonbons, nous sommes tous deux assis dans son lit en train de rigoler. La pièce est sombre, uniquement éclairée par sa petite lampe de bureau. Il fait nuit noire depuis un bon moment, maintenant.
– Alors avec Prune ? demande Sasha avec un sourire complice. Comment ça se passe en ce moment ?
Je rougis mais réponds tout de même :
– Très bien, merci de demander. C'est un peu bizarre, j'ai l'impression que je ne suis pas du tout le même avec elle. Je n'ai plus aucun filtre mais je deviens super timide.
Sasha éclate de rire.
– Je le savais ! Maël, j'ai gagné mon pari !
– Comment ça, quel pari ?
Il s'esclaffe à nouveau.
– Une fois, on se demandait comment tu agirais si tu étais amoureux.
– Je ne suis pas amoureux ! protesté-je aussitôt.
– Maël pensait que tu serais dans un mode "gros charo", poursuit Sasha comme si de rien n'était, alors que j'avais plutôt parié sur la phase "timide". J'avais raison !
Je souris.
– Accordé. Tu me connais par cœur.
Il hoche la tête en souriant.
– Moi par contre... ajouté-je en baissant la tête.
Je vois Sasha froncer les sourcils.
– Comment ça ? Tu me connais bien aussi, on est meilleurs amis depuis qu'on a cinq ans !
– C'est vrai, dis-je en riant. Mais ces temps-ci, j'ai l'impression que tu t'éloignes sans que je puisse rien faire pour t'aider.
Il baisse les yeux.
– Je suis désolé.
– Non, t'as pas à l'être. C'est moi qui suis désolé de ne pas être assez présent, assez compréhensif, assez... de ne pas être un assez bon ami, quoi.
Il relève doucement la tête, un petit sourire au coin des lèvres.
– T'es très bien, t'inquiète pas. Y'a pas grand monde qui arrive à me faire rire pendant que je pleure, je t'assure. Mon frère est vraiment nul pour ça, d'ailleurs.
Je me fige à ses paroles.
– C'est de ça qu'il parlait, tout à l'heure ? Quand je suis arrivé ?
Aussitôt, Sasha se tourne pour me cacher son visage.
– Il voulait savoir si c'était moi qui te faisais pleurer ?
Je le vois hocher la tête, mais il ne se retourne toujours pas.
Je m'approche de lui et pose une main sur son épaule.
– Sasha ? Ça va ?
Cette fois, il secoue la tête.
– Viens là, chuchoté-je avant de l'attraper par les épaules pour le prendre dans mes bras.
Il pleure encore.
Peut-être qu'Alexis a raison, finalement. C'est peut-être moi qui le fais pleurer.
C'est peut-être à cause de moi qu'il va mal.
– Sasha ? demandé-je à voix basse. Je peux te poser une question ?
Il acquiesce.
– Est-ce que c'est de ma faute si tu es triste ?
Il se redresse immédiatement, les larmes dévalant son visage.
– Bien sûr que non, sanglote-t-il. Tu es bien l'une des seules raisons qui me donnent foi en la vie.
Je soupire de soulagement.
– Tant mieux, dis-je en souriant.
Il tente de me répondre en souriant à son tour, mais ça ressemble plutôt à une grimace.
Il essuie ses larmes et s'appuie contre le mur.
– Je n'imaginais pas ça quand je t'ai invité à venir ce soir, plaisante-t-il.
Je ris faiblement.
– Moi non plus.
Un silence passe. J'entends sa respiration précipitée à cause des pleurs.
– Dis, Sasha.
– Oui ?
– Je peux encore faire mon curieux ?
– Si tu veux, rit-il.
– Tu as dit qu'il y avait plein de raison à ton... à ta... enfin bref, t'as compris. Et si je me souviens bien, l'une d'elles, c'était ton corps ?
Il acquiesce après un instant d'hésitation.
– J'ai le droit de demander... pourquoi ?
Il soupire.
– Pour être honnête, je n'en ai aucune idée. Je ne peux juste pas supporter de le voir. Ça me dégoûte.
– Pourtant t'es très beau, tu sais, dis-je d'un ton espiègle.
Il éclate de rire.
– Je sais, je sais.
Il pousse un nouveau soupir.
– Non, sincèrement, je ne sais pas pourquoi. Il est trop... Enfin, pas assez... quelque chose. Y'a un truc qui va pas, et c'est ça qui me répugne. Mais alors quoi ? Aucune idée.
Je me creuse les méninges pour essayer de trouver.
– Peut-être que tu ne te trouves pas assez... comment dire ça ? ... viril ? Je veux dire, t'es moins musclé que la plupart des mecs de notre âge.
Il se tourne brusquement vers moi, les yeux toujours brillants de larmes.
– Mais oui, c'est ça ! Je sais ce que je n'aime pas.
Je le regarde, attentif.
– Mon corps est trop masculin. Trop anguleux, trop carré. J'ai l'impression que ce n'est pas moi dans le miroir.
Alors là, je reste sous le choc.
– Trop masculin ?
Il rit.
– Je sais, j'ai la force musculaire d'une crevette, mais écoute, c'est comme ça que je le ressens.
Je ne peux m'empêcher de rire à mon tour.
– Si tu le ressens comme ça, alors.
Il sourit.
– Et tu préfèrerais que ton corps soit comment, alors ?
– Je ne sais pas. Moins masculin.
– Féminin, donc ?
– Non, répond-il aussitôt. Ni l'un ni l'autre. Neutre.
– Neutre ?
Je ne comprends plus rien.
– Moi non plus, je ne sais pas comment c'est possible, rit Sasha. Je te dis simplement ce que j'en pense.
Je hoche la tête.
– Je vois.
– Non, tu ne vois pas du tout, imbécile.
J'éclate de rire.
– En effet, je ne comprends absolument rien.
Il rit à son tour.
Nous restons silencieux un moment.
– Il faut que j'arrête de me plaindre, y'a tellement pire en ce bas monde, fredonne Sasha d'un air absent.
Il ne peut pas s'empêcher de chanter, c'est super drôle.
Je lui secoue l'épaule doucement.
– Hein, quoi ? Ah mince, pardon. J'avais pas fait gaffe.
Nous éclatons de rire en même temps.
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