24 - Alexandre

– J'espère que vous n'avez pas oublié que vous devez passer pour les exposés lundi prochain ! s'exclame la prof de français alors que nous sommes à peine installés.

Et merde...

Je me tourne vers ma voisine.

– Leila ?

Elle soupire longuement avant de répondre :

– Quoi ?

– L'exposé.

Elle se frappe le front de la main.

– Et merde...

Je ne peux m'empêcher de rire. En fait, elle me ressemble plus que je ne le pensais.

– On a trouvé sur quel livre on allait le faire, mais il faut encore, ben, le faire, quoi.

– Oui, j'avais bien compris. T'es disponible mercredi après-midi ? Si on veut avoir le temps de l'apprendre, il faut se dépêcher.

J'acquiesce. Remarque pertinente.

– Oui, je crois que c'est bon. Chez toi ou chez moi ?

– Chez toi, répond-elle aussitôt.

Je hausse les sourcils.

– Et pourquoi ça ?

Elle me fusille du regard.

– Parce que chez moi, c'est... Enfin, je ne peux pas.

Elle paraît moins assurée, tout à coup. Mon regard doit la perturber car elle ajoute précipitamment :

– Désolée. On peut aller chez toi ?

Je hoche la tête.

– Comme tu préfères.

Je note mon adresse dans un coin de son cahier de français. Elle me regarde faire, l'air ahurie.

– Oh, ça va, j'ai écrit au crayon. Tu pourras l'effacer.

– Tu es insupportable, lance-t-elle en levant les yeux au ciel.

– Je n'aurais pas eu à faire ça si on était allés chez toi, répliqué-je aussitôt.

Son regard s'assombrit.

– Arrête de parler de ça, s'il-te-plaît. Ça ne te regarde pas. On ne peut pas aller chez moi, c'est tout. Fin du débat.

Je souris.

– Chacun ses petits secrets, à ce que je vois.

Elle fronce les sourcils.

– Comment ça ?

– Je ne veux pas te parler de la raison pour laquelle je regardais Sasha l'autre jour, tu refuses d'expliquer pourquoi on ne peut pas aller chez toi, dis-je. Chacun ses petits secrets.

Elle hoche la tête.

– Oui, on peut dire ça comme ça. Chacun ses petits secrets.


Deux jours plus tard, nous sommes tous les deux dans ma chambre. Elle est assise sur ma chaise de bureau tandis que je suis dans mon lit, appuyé contre le mur.

– Quand est-ce que tu vas te décider à travailler ? râle-t-elle tandis qu'elle feuillette Sobibor, le livre sur lequel nous devons faire l'exposé.

– Bonne question. Jamais, peut-être.

Elle lève les yeux au ciel. J'ai l'impression qu'elle passe ses journées à faire ça.

– Tu ne veux toujours pas me dire pourquoi on ne pouvait pas aller chez toi ?

Je la vois se figer. Ses yeux deviennent aussi sombres que lundi. Elle fait peur, cette fille.

– Tu veux vraiment savoir ?

J'acquiesce, intrigué.

– Je me suis disputée avec mes parents.

– C'est tout ?

Je m'attendais à quelque chose de plus... grave.

– Donc je suis allée vivre chez mon grand frère, complète-t-elle. Il habite dans un tout petit appart à l'autre bout de Lyon. On n'aurait pas pu travailler, là-bas.

Je hoche la tête. Je comprends pourquoi elle ne voulait pas en parler, en fait.

– Désolé d'avoir insisté.

– C'est bon, c'est pas grave.

Le silence s'installe dans la pièce avant qu'elle ne le rompe :

– Et toi alors, pour Sasha ?

Je soupire.

– Je ne peux pas t'en parler.

Elle hausse les sourcils, surprise.

– Je viens de te faire confiance, et tu n'es pas capable de me rendre la pareille ? demande-t-elle d'un ton particulièrement hautain.

– Ecoute, je ne peux pas t'en parler, d'accord ? C'est comme ça !

Elle lève les yeux au ciel. Encore.

– Tu t'énerves beaucoup, dis-moi, Alexandre Delisle.

Qu'elle m'agace.

– Sasha a déjà du mal à me parler à moi, son meilleur ami, m'emporté-je en me levant du lit. Comment tu crois qu'il réagirait s'il savait que je t'ai parlé de ses problèmes, hein ? Il serait ravi, certainement !

Elle baisse immédiatement les yeux.

– Je ne pensais pas que c'était à propos de ça, désolée.

– Oui, tu peux le dire !

– Non mais, je m'excuse et tu viens encore me reprocher quelque chose ? T'es insupportable, je ne comprends pas comment Sasha peut être ami avec toi !

Ne pas l'insulter, ne pas l'insulter, ne pas l'insulter...

– Parce que tu penses me connaître ? Je ne sais pas si tu as remarqué, mais on ne se parle jamais en dehors des cours. Tu crois vraiment que tu peux me juger uniquement sur ces quelques moments où, en plus, on ne fait que de s'engueuler ?

– Dit celui qui n'arrête pas de faire des remarques sur tout ce que je dis et fais ! Tu as peut-être oublié ton harcèlement sur mon voile, mes origines ou le fait que je sois une femme ? Parce que moi, non !

Je soupire.

– Très bien, hurler comme ça ne nous amènera à rien.

Je la vois devenir de plus en plus rouge. Elle fulmine.

– Je te propose quelque chose, ajouté-je à voix basse.

Elle est bien obligée de se calmer pour m'écouter.

– Et quoi ? demande-t-elle d'une voix narquoise.

– Aujourd'hui, on fait une trêve. On arrête de s'embrouiller, et on essaie de travailler sérieusement. De se connaître un peu mieux. Peut-être qu'en fait, c'est de notre faute à tous les deux si...

Enfin bref, elle a compris l'idée je crois.

Elle sourit.

– Tu n'es pas aussi bête que tu en as l'air, en fait.

Jamais elle ne s'arrête, c'est infernal.

– Très bien, j'accepte. Trêve pour aujourd'hui.

Leila remet son voile en place et se rassoit à mon bureau.

– Bon, tu pourrais venir, s'il-te-plaît ? Je ne compte pas tout faire toute seule, désolée de te décevoir.

Je me lève en soupirant.

– Je te préviens, je suis nul en français.

– Oui, je sais, merci. C'est pas grave, on va se débrouiller, t'inquiète pas. Je suis assez douée pour deux.

Elle se tourne vers moi en souriant. Nous nous regardons un instant avant d'éclater de rire.

– Pourquoi vous riez comme des baleines, les deux ? hurle ma sœur depuis sa chambre.

Cela n'atténue pas notre fou rire, bien au contraire. Nous n'arrivons pas à nous arrêter pendant de longues minutes, avant que Leila ne reprenne mystérieusement son sérieux pour travailler.

Mais un regard de ma part suffit pour la faire rire de nouveau.

Notre exposé ne sera jamais prêt pour lundi, à ce rythme.

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