20 - Alexandre
Je lève les yeux au ciel face à une énième remarque de Leila. Elle m'énerve vraiment et je n'ai aucune envie de travailler avec elle, mais j'ai d'autres préoccupations en tête.
Je veux parler à Sasha.
Je le vois en train de rigoler avec Ava, au fond de la classe. Il n'a pas l'air d'aller mal, mais il cache bien son jeu.
Je soupire.
– Qu'est-ce qu'il y a encore ? Pourquoi tu souffles ? m'attaque aussitôt Leila.
Je lève une nouvelle fois les yeux au ciel.
– Le monde ne tourne pas autour de toi, chérie. Je pensais à autre chose.
Elle ouvre la bouche sous la surprise. Je ne sais pas ce que j'ai mais en ce moment, quand je m'embrouille avec quelqu'un, j'ai tendance à lâcher des "chéri" à tout va... Quoi qu'il en soit, elle ne trouve rien à répondre et retourne à son cahier. C'est déjà ça de pris.
Enfin, de longues minutes et plusieurs disputes plus tard, la sonnerie me libère enfin de ma prison.
Je ramasse mes affaires et les fourre dans mon sac le plus vite possible, avant de presque courir pour sortir de la salle.
Je me poste à l'entrée, devant la porte, et guette l'arrivée de Sasha. Ce dernier prend bien son temps en évitant soigneusement mon regard. Je sens qu'il regrette ce qu'il m'a demandé samedi soir, mais c'est trop tard.
Je dois essayer de l'aider. Je ne peux pas le laisser comme ça.
Enfin, il ne peut plus reculer. Ava l'entraîne à sa suite vers la porte, un sourire compatissant accroché aux lèvres. Je me demande s'il lui en a parlé.
Peu importe.
Il s'arrête devant moi, les yeux dirigés vers le sol.
– Sasha, ça va ?
Il lève doucement la tête.
– Pas vraiment, répond-il avec un petit sourire triste.
J'en ai marre qu'il souffre. Ca le tue à petit feu, et moi aussi. Je ne supporte plus de le voir comme ça.
– T'as dit que tu voulais m'en parler, samedi. T'en as toujours envie ?
Il acquiesce d'un hochement de tête.
Je lui prends le bras et nous parcourons le lycée pour aller nous asseoir dans un coin isolé. Finalement, nous nous installons sur le muret au fond de la cour.
– Tu ne vas pas bien en ce moment.
Ce n'était pas une question.
Sasha secoue la tête.
– Je ne vais pas bien depuis un moment.
– Je sais.
Sasha et moi nous regardons dans les yeux un moment sans parler.
– Pourquoi ?
Il soupire.
– Plein de choses.
– Mais encore ?
– Est-ce que j'ai vraiment envie de t'en parler ?
– Samedi, tu voulais.
– Mais on n'est plus samedi.
– Mais tu vas toujours aussi mal.
Il baisse la tête et lâche un éclat de rire. Ça fait du bien.
– T'as réponse à tout, toi.
– Toujours.
Un grand sourire étire mes lèvres.
Sasha soupire de nouveau.
– Très bien. Mais, en fait... Il y a plein de choses qui font que bon, la vie c'est pas fou en ce moment. Ce n'est pas un truc en particulier.
Je hoche la tête pour l'encourager à poursuivre.
– Peut-être que c'est un peu de la faute de la musique que j'écoute, aussi.
– Bien sûr que c'est aussi de la faute de ta musique de dépressif, dis-je en riant.
Mais Sasha reste de marbre.
– Si ça continue, y'a des chances que je finisse comme les chanteurs.
– Désolé.
Je m'en veux. Il va vraiment mal.
– A quoi tu penses quand tu écris ces poèmes ? T'es très doué, au fait. Je ne sais pas si je te l'ai déjà dit ?
Il sourit.
– C'est gentil.
Mais il ne répond pas à ma question.
– Sasha ?
Je ne sais pas que dire ni que faire. Cette situation est vraiment délicate. J'ai l'impression qu'à tout moment, il peut me crier de le laisser tranquille et partir en courant.
– Je ne sais pas. Disons que... c'est un tout. La société pourrie jusqu'à la moelle, notre groupe d'amis si intolérant, mon corps qui me dégoûte, les milliards de questions que je me pose, Lune qui me manque affreusement, mon frère qui n'arrête pas de me critiquer, mes parents qui ne sont jamais à la maison, mon chien qui s'est cassé la patte, les cours que je n'arrive plus à apprendre, l'impression que ma vie m'échappe, le gouvernement qui fait n'importe quoi, la planète qui se meurt, mon chanteur préféré qui s'est suicidé... Je crois que c'est à peu près tout.
Je laisse passer un instant de silence, sous le choc.
– C'est déjà énorme, murmuré-je en baissant les yeux.
Sasha acquiesce sans rien dire.
– Et... il y a quelque chose que je peux faire ?
Ses yeux alternent entre mon visage, ses pieds, le fond de la cour et le ciel.
– Je ne sais pas. Peut-être. J'aimerais bien.
Je souris.
On ne peut pas aider quelqu'un qui ne veut pas être aidé, mais Sasha me montre aujourd'hui qu'il est prêt à demander de l'aide.
C'est bon signe.
– Je peux te poser une autre question ?
– Si tu veux.
– Est-ce que tu penses toujours à... Enfin, est-ce que tu...
– Est-ce que j'ai encore envie de me suicider ?
J'acquiesce d'un hochement de tête.
J'ai peur de sa réponse.
– Oui.
Mon cœur s'arrête un instant.
– Mais pas dans l'immédiat, ajoute-t-il après une seconde de réflexion. Disons que pour l'instant, c'est encore supportable.
– Mais un jour... ?
– Oui, si ça continue, un jour, j'y réfléchirai sérieusement.
Les larmes embuent mes yeux. Je tente vainement de les empêcher de couler, mais c'est peine perdue. Je n'ai aucune envie de le voir mourir. Et encore moins si je peux faire quelque chose pour l'éviter.
Je vois que Sasha a remarqué mes larmes. Il cligne des yeux et se met à pleurer à son tour.
– Ce que tu peux être bête, dit-il en riant. Tu me fais pleurer, imbécile.
Je lâche un bref éclat de rire.
– C'est toi qui me fais pleurer, andouille. Je veux pas que tu meure, moi. Ça va pas de dire des trucs comme ça ?
Son visage se ferme.
– Tu me poses une question, je te réponds. Si ça ne te plaît pas, j'arrête et je vais crever seul dans un coin hein.
A présent, les larmes dévalent mes joues à toute vitesse.
– Non, excuse-moi. C'est pas ce que je voulais dire.
– Je sais, dit-il en souriant entre ses larmes.
Je m'approche de lui pour le prendre dans mes bras. Il m'étreint en retour.
Nous restons comme ça jusqu'à la fin de la récréation, lui pleurant sur mon épaule pour tenter d'évacuer sa tristesse, et moi passant ma main dans son dos pour tenter de le réconforter.
– Reste encore, s'il te plaît, chuchoté-je.
Je le sens hocher la tête doucement.
– Tu voudras en reparler plus tard ?
Nouveau hochement de tête.
– Alors on en reparlera plus tard.
Soudain, la sonnerie retentit, nous faisant tous les deux sursauter.
Il se dégage de mon étreinte à contrecœur. J'ai l'impression qu'il va un peu mieux, ne serait-ce qu'un tout petit peu.
C'est déjà bien.
Je passe ma manche sur mes yeux pour camoufler mes larmes.
Je vois Sasha sourire ; il se moque clairement de moi. Lui ne tente pas d'effacer sa peine.
Il a bien plus de courage que moi.
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