2 - Alexandre

Quand la prof, madame Labrousse, termine enfin ses bien trop longues explications, et après qu'elle nous ait déjà rabâché trois fois que cette année, nous devons passer le bac et que c'est super important, elle nous propose quelque chose d'inédit : discuter quelques minutes avec notre voisin pour faire connaissance.

– Puisque vous devrez passer l'année assis côte à côte, il vaudrait mieux pour vous que vous arriviez à vous entendre, explique-t-elle en souriant.

J'ai envie de lui faire ravaler son sourire. Je suis dans la classe de mon meilleur ami, Sasha, et de mon ex qui fait partie de notre groupe d'amis, mais je me retrouve à côté de la fille coincée du lycée. Qu'est-ce que nous avons à nous dire, Leila et moi ? Rien ! Je ne l'aime pas, elle ne m'aime pas, affaire classée. Mais la prof ne semble pas être du même avis ; alors que tout le monde commence à parler et que la classe s'emplit d'un brouhaha sonore, elle vient vers nous et dit :

– Je ne me souviens plus de vos noms, à tous les deux, rappelez-les moi s'il vous plaît.

– Leila, répond ma voisine.

– Alexandre, dis-je ensuite.

– Bien, Leila et Alexandre. J'ai cru comprendre que vous aviez eu quelques... différends, par le passé. Il est temps que vous oubliiez cela et que vous fassiez la paix. J'ai pour habitude de placer mes élèves par ordre alphabétique. Je trouve que cela développe la camaraderie, et ce monde en a grand besoin.

Elle soupire.

– Mais ne soyez pas trop catégoriques sur le fait que vous ne vous appréciez pas. Les voisins finissent toujours par s'entendre.

Sur ces mots, elle tourne les talons et retourne à son bureau.

Leila et moi nous jetons mutuellement un regard noir. Je sais qu'elle me déteste depuis longtemps, et je ne l'ai jamais beaucoup aimée non plus. Nous n'avons rien en commun. Rien. Mais, constatant qu'il reste encore du temps avant que la prof ne passe à autre chose, je décide d'essayer quand même d'être sympa, au moins pour le premier jour. Je ne vais passer encore cinq minutes à m'ennuyer.

– Alors, Leila, tu as passé de bonnes vacances ? Tu n'as pas trop pris le soleil à l'abri de ton voile, j'espère ? demandé-je, un sourire moqueur au coin des lèvres.

Leila me jauge du regard avant de renchérir :

– Et toi, Alex, tu t'es bien amusé avec ta petite bande de fausses racailles ? Vous avez passé l'été à vous bourrer la gueule pour oublier que vous êtes cons, et à mater des culs sur la plage ?

– Ah. Ah. Ah. Le voile, ça réduit les neurones on dirait, répliqué-je.

Soudain, je vois le visage de Leila virer au rouge tomate. Prépare-toi à la tornade, Alex, ça va exploser dans trois... deux... un...

– Mais qu'est-ce que tu as à la fin, avec mon voile ? s'écrie Leila, se levant presque de sa chaise sous la colère. En quoi je te gêne si je le porte ? Je ne t'embête pas, que je sache ? C'est quoi ton problème exactement ? Tu as peur que je sorte un flingue pour te tuer, c'est ça ? C'est tes parents bourges qui t'ont dit que les voilées étaient terroristes ou tu as appris ça tout seul, comme un grand ?

Sa tirade la laisse pantelante, encore rageuse. Moi, je ne sais pas comment réagir.

En soi, son voile ne me dérange pas, c'est son truc, pas le mien. Mais je sais que c'est un moyen de la faire craquer. Et puis :

– Tu m'énerve à la fin, à traiter des parents de bourges toutes les deux minutes ! Ça te dérange qu'on ne soit pas pauvres ? Tu as un soucis avec les blancs riches ?

En entendant ça, Leila rit d'un rire aigre, nerveux. Pourtant, son visage n'exprime rien de joyeux. Au contraire, elle ne tarde pas à renchérir :

– Et c'est un mec raciste qui me dit ça ? Non mais je rêve ! Dès que vous me voyez, toi et ta bande, vous me criez d'arrêter de porter le voile. Mais je fais ce que je veux ! Je ne le mets pas au lycée parce que c'est interdit, mais ailleurs, je ne vais pas me gêner. Pourquoi ça t'embête, tu as quelque chose contre les musulmans ? Tu as peur de nous ? A moins que tu ne veuilles pas que des étrangers ne viennent dans ton petit pays propret ! Islamophobe, je crois que c'est le terme pour désigner les petits crétins dans ton genre, crache-t-elle finalement avant de se rassoir.

Ne trouvant rien à répondre, je me rassois à mon tour. En regardant autour de moi, je remarque que toute la classe a arrêté de parler et qu'elle a le regard fixé sur nous, bouche ouverte. On s'est peut-être un peu emportés...

Les rares fois où Leila et moi avons réellement parlé, ça a fini en cris, comme aujourd'hui. Sinon, c'est quand je suis avec mes potes : si on la croise, on lui fait un remarque sur le fait qu'elle porte son voile ou non. Je trouve ça marrant, les autres aussi. C'est pas vraiment méchant, ça sert juste à nous distraire.

– Alexandre, Leila ? lance madame Labrousse.

On dirait qu'elle est sur le point d'éclater de rire, ce qui me fait froncer les sourcils. On vient de crier dans sa classe, et elle rigole ?

– Je vois ce que tu voulais dire, Leila, quand tu disais que tu ne voulais pas être à côté de lui. Je comprends pourquoi. Il va falloir que nous fassions des efforts pour lui faire comprendre ce qu'il doit comprendre, mais je pense que ça finira par bien se passer.

Je vois Leila hocher la tête en souriant. Mais qu'est-ce qu'elles disent ? Qu'est-ce que je ne comprends pas ?

– Je pense que pour notre premier cours de français, mercredi, nous pourrons commencer par un petit débat d'une heure, reprend la prof, s'adressant cette fois à toute la classe. Qu'en dites-vous ?

Je vois certains élèves hocher la tête, d'autres se lancer des regards interrogateurs.

– Un débat sur quoi, madame ? demande Leila sans prendre la peine de lever la main.

– Et bien, je comptais partir sur le féminisme. Ça pourrait être utile d'en parler, tu ne penses pas ? poursuit-elle avec un clin d'œil.

Leila hoche la tête, un grand sourire aux lèvres. Quant à moi, je me renfrogne. Si même la prof s'y met, avec leur féminisme à la noix, l'année va être longue...

Ça y est, la cloche sonne enfin ! Vite, je me lève d'un bond et me précipite hors de la salle. J'attendrai Sasha et Ava dehors.

Quand ils arrivent, nous marchons vers la cantine ensemble. Les deux discutent avec animation, mais je ne prends pas part à la conversation. Je ne sais même pas ce qu'ils peuvent encore se dire : ils sont assis à côté en français. Ils sont eu toute la matinée pour se parler.

Quand nous entrons dans la cantine, accompagnés des autres membres du groupe, nous retrouvons notre table habituelle, au fond à droite. En marchant pour y aller, je remarque Leila et ses deux idiots de meilleurs amis, Mao et Elena.

– Eh, la coincée et les imbéciles, ça va ? lance Mathis dès que nous passons devant eux.

Mao et Elena ne réagissent pas à la pique lancée par Mathis, mais Leila me lance un regard noir que je comprends immédiatement : la leçon de tout à l'heure n'a pas suffi ? Il faut en plus que je ramène mes potes pour une deuxième round ?

Sentant le répondant de Leila arriver, je me dépêche de dire :

– Les gars, regardez, y'a des petits secondes qui s'apprêtent à voler notre table, là-bas. Grouillez-vous !

Voyant en effet qu'un groupe de nouveaux est tout près de la table tant convoitée, le groupe se hâte d'aller s'y asseoir. Leila, elle, est à présent en grande discussion avec ses amis. Elle ne regarde plus du tout dans notre direction. Danger écarté !

J'espère que je ne vais pas devoir faire ça chaque fois que je croise Leila. Ça risque d'être très long. On est le premier jour et je déteste déjà mon année.

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