18 - Alexandre

Cet après-midi dehors avec Sasha, à faire du skate, était géniale. J'ai l'impression de m'être plus amusé en quelques heures que depuis des semaines. J'aime tellement passer du temps avec lui. Ça faisait un moment que ce n'était pas arrivé. Il faudra qu'on remette ça. Même Leila et ses acolytes étaient supportables.

Je fais défiler les photos qu'il a prises avec mon téléphone. Il adore faire ça. Sûrement parce que ma qualité est bien supérieure à la sienne. Je souris en voyant nos skates baladés dans le caddie. Il a des idées tellement drôles et étranges à la fois...

Mon regard se dirige vers l'heure : minuit et demi. Il commence à être tard. J'ai encore du travail demain, et j'ai cours lundi. En plus, je vais reprendre le handball à partir de la semaine prochaine. Il ne faut pas que je me fatigue inutilement.

Je pose mon téléphone sur mon bureau et me prépare à aller me coucher.

Quelques minutes plus tard, je m'allonge dans mon lit et vérifie une dernière fois mes messages avant de dormir. Je vois un message de Sasha. Il dort toujours super tard, ça ne m'étonne même plus. Je suis sûre qu'il n'est pas couché avant trois heures au moins.

Je clique pour ouvrir son message. C'est un long texte composé de phrases courtes.

Oh non.

Je sais exactement de quoi il s'agit et ce n'est pas pour me plaire.

Je soupire et lis ses vers à contre-cœur.

Encore. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer.

Un peu des deux, sûrement.

Ça fait un moment que Sasha m'envoie des textes de ce style parfois, tard le soir. Il adore écrire. C'est comme si mettre tous ses problèmes et toutes ses souffrances par écrit pouvait l'aider à aller mieux. Il lance une playlist avec tout un tas de titres comportant des paroles atroces, bien trop tristes et pourtant réalistes, pleines de réflexions à briser le cerveau sur le monde et les humains, et il écrit.

Il préfère les poèmes.

Il arrive d'ailleurs très bien à jouer avec les mots, à les manier pour qu'ils forment ce qu'il veut dire, qu'ils aient une sonorité particulière. Ses vers s'agrémentent souvent de nombreuses figures de style qui viennent illustrer ses idées. C'est vraiment du grand art.

Il est talentueux, mais dans ces moments-là, il me fait peur.

La première fois qu'il m'a envoyé un poème de ce style, je crois que j'ai failli avoir une attaque.

J'ai eu tellement peur ; je l'ai tellement lu et relu que je le connais par cœur.

J'en frissonne encore.

Surtout qu'il ne prévient pas, et repart comme si de rien n'était. Même si je lui répondais quelque chose, il m'ignorerait royalement jusqu'à la prochaine fois, lorsqu'il sera bien obligé de me regarder en face.

Parfois, j'ai l'impression que s'il m'envoie tout ça si tard, c'est qu'il n'est plus lucide. Et qu'il regrette aussitôt. Qu'il a honte ou, je ne sais pas... Je ne le comprends pas. Je n'y arrive pas.

Je ne suis pas quelqu'un qui attache beaucoup d'importance à ses problèmes. Je veux dire, oui, parfois, je vais mal, mais je ne m'en formalise jamais. Je vais voir des gens, Mathieu et Louane par exemple, ou Sasha et les autres, et je pense à autre chose jusqu'à oublier. Ça me permet de continuer à avancer sans me retourner.

Sasha, lui, fonctionne différemment. Il garde tout pour lui jusqu'à ne plus en pouvoir ; jusqu'à exploser. Alors il écrit des poèmes qu'il conserve quelque part ou qu'il m'envoie, pour certains en tout cas. Je ne sais pas s'il arrive à aller mieux. Je ne sais pas si je le saurai un jour.

La première fois, je l'ai questionné sur ces quelques morceaux de phrases. Je me suis inquiété. Il a ouvert tous mes messages mais n'a répondu à aucun. Je n'ai pas pu lui tirer quoi que ce soit à ce sujet avant qu'il ne recommence, quelques semaines plus tard. Depuis, j'ai arrêté. Il m'envoie ce qu'il a besoin de m'envoyer ; il partage ce qu'il ne peut garder pour lui. Moi, je le lis, je le comprends, je le conserve. En général, j'essaie de le réconforter le lendemain, mais il ne se laisse pas faire. Il est bien trop gêné, bien trop fier, bien trop solitaire.

Je ne connais pas la source de son mal-être. Je ne sais même pas si lui la connaît réellement. Il écrit sur le monde, sur sa dureté, son injustice. Mais jamais sur les causes de sa souffrance. Quand je lui pose des questions à ce sujet, il les détourne.

Je soupire.

J'aimerais tellement l'aider...

Mais je ne sais pas comment faire.

Et comment aider quelqu'un qui n'en a lui-même pas envie ?

Je secoue la tête ; relis son poème.

Soudain, une nouvelle notification apparaît sur l'écran. Je clique pour l'ouvrir, m'attends à un deuxième poème. Quand ça ne va vraiment pas, ça lui arrive. Je me sens horriblement mal dans ces moments-là.

Mais ça n'a rien à voir. Il me pose une simple question :

« On pourra parler lundi ? »

Je reste bouche bée devant mon téléphone. C'est la première fois qu'il me demande quelque chose comme ça. Il fait un pas vers moi.

Je souris.

« Bien sûr beau gosse »

Même quand il va mal, l'humour arrive à le toucher. Je l'imagine lâcher un bref éclat de rire dans sa chambre. Ça me rassure.

Sa réponse arrive très vite :

« Merci »

Accompagné d'un émoji cœur.

Eh ben.

Il ne doit vraiment pas aller bien.

Un énième soupir s'échappe de mes lèvres. J'espère qu'il ne va pas passer la nuit à penser à ça, ni la journée de demain. J'ai hâte de le revoir au lycée. Je veux vraiment qu'il puisse aller mieux.

Il m'effraie, parfois. J'ai peur qu'un jour, il fasse une bêtise. Il en est capable. Il me l'a déjà dit, plusieurs fois.

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale.

Quelle horreur.

Je prie pour que ça n'arrive jamais.

Jamais.

Jamais.

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