16 - Alexandre
Je suis assis à mon bureau depuis plusieurs heures. Les profs ont clairement abusé sur la quantité de travail cette semaine. Un DM, trois DS et des exercices. Comme si on n'avait que ça à faire. Je crois que je commence à regretter d'avoir gardé maths et physique comme spécialités.
J'en peux plus. Il faut que je fasse autre chose.
J'attrape mon téléphone, le déverrouille et appelle Sasha.
« Qu'est-ce que tu veux ? demande-t-il après seulement un bip ! »
J'entends un sourire dans sa voix.
« Je déteste les profs, je veux faire autre chose que mes devoirs, me lamenté-je aussitôt.
– T'avais qu'à garder sport au lieu de ces horreurs de maths et physique. Je te l'avais bien dit. Mais comme d'hab, t'écoutes jamais les conseils de tonton Sasha. »
Je ne peux me retenir d'exploser de rire. Sasha a vraiment le don de me remonter le moral à n'importe quel moment.
« Je réitère ma question : qu'est-ce que tu veux ? reprend-il après un instant de silence.
– Tu veux pas aller faire du skate ? »
Avant même qu'il ne me donne sa réponse, je sais déjà ce qu'il va dire.
« Si, carrément mec. »
J'en étais sûr.
Quelques minutes plus tard seulement, j'arrive en skate devant le parking du Carrefour le plus proche de chez nous, juste à côté du lycée. C'est un immense centre commercial, avec un parking encore plus grand. Une partie est en travaux, impossible d'accès pour les voitures. C'est notre nouveau terrain de jeu.
Quand je tourne la tête, j'aperçois Sasha à l'autre bout. Je me baisse pour passer sous la barrière rouge et blanche qui barre le passage et saute sur ma planche pour le rejoindre. Il tend son poing vers moi, que je frappe du mien.
– Aïe ! m'écrié-je aussitôt.
Sasha explose de rire.
– T'as mis ta bague, espèce de salaud ! Je me suis niqué la main !
Il rit de plus belle, m'entraînant à sa suite.
Nos rires se tarissent, nous nous mettons alors à nous entraîner. Je parle à Sasha d'une nouvelle figure que j'ai apprise récemment ; lui me montre sa parfaite maîtrise du manual, que j'ai toujours eu du mal à réaliser. J'ai toujours trouvé que les skateurs avaient du style, mais Sasha est encore au-dessus avec son pull rouge, sa chemise qui dépasse et ses chaussettes McDo. Il est vraiment unique en son genre. Et tellement différent de moi, aussi. Parfois, je me demande comment nous avons pu devenir meilleurs amis.
– Alors, t'en penses quoi ?
Sa voix grave me tire de mes pensées. Il affiche un petit sourire satisfait, qui étire ses joues et réhausse ses lunettes rondes. Je secoue la tête en souriant à mon tour.
– Que t'es trop fort, réponds-je alors qu'il revient vers moi, la vitesse écartant ses cheveux noirs de son visage. Tu m'apprends ?
Il lâche un éclat de rire.
– Si tu m'aides à faire un kickflip, beau gosse.
Je ris à mon tour. Il adore dire ça, c'est devenu un vrai tic de langage. Un jour, ça lui portera préjudice.
Je lui tends ma main en lançant :
– Marché conclu !
Je prends mon sac à dos, en sors mon téléphone et mon enceinte, pose cette dernière sur un trottoir puis lance le premier album de Nekfeu.
Nous roulons un long moment ; le temps passe vite quand on fait un sport que l'on apprécie avec un ami. Quoi qu'il en soit, l'album est presque terminé. Je m'approche de mon téléphone pour changer de musique, Sasha continuant de me montrer son manual avec un petit sourire supérieur.
Soudain, une voiture de police passe à proximité du Carrefour et s'arrête juste devant. Ils doivent surveiller la route peu avant le début des travaux, ou peut-être qu'ils étaient simplement de passage. En tout cas, je vois la voiture se garer sur la partie autorisée du parking. Un policier descend côté passager. Il tourne la tête à gauche et à droite, semble regarder autour de lui, puis il se dirige alors vers nous.
Mon regard capte celui de Sasha. Je ne sais pas si je dois m'inquiéter ou m'amuser de la situation. Je déciderai plus tard. Sasha, en tout cas, affiche une expression tranquille. Mais avec le temps, j'ai appris à ne pas me fier aux apparences. Il ne montre jamais les émotions négatives qui le traversent. Je ne peux connaître son avis qu'à travers ses yeux.
Je le regarde de plus près. La lumière du soleil l'éclaire, comme s'il avait une aura divine. Je laisse transparaître un petit sourire, qui semble lui plaire car il sourit à son tour. Je crois que notre choix est fait.
Le policier se rapproche de plus en plus. Il est passé sous la barrière et marche à grands pas, l'air hostile.
– Que faites-vous ici ? demande-t-il d'une voix aiguë mais autoritaire dès qu'il arrive en face de nous.
Sasha reste silencieux.
– Du skate, réponds-je simplement.
– Du skate ? répète-t-il, visiblement interloqué.
– Du skate, confirme Sasha avec assurance.
Le policier secoue la tête, décontenancé.
– Vous savez que c'est interdit ? Cette zone du parking est strictement réservée au chantier. Ordre de la municipalité.
– Mais on ne fait rien de mal. Il n'y a pas de travaux aujourd'hui, il ne doivent commencer que la semaine prochaine, non ?
Un petit sourire joueur étire les lèvres de Sasha.
– Certes, mais il n'empêche que cette partie est interdite d'accès pour quiconque ne possède pas les accréditations nécessaires.
– On n'a pas vu de panneau, lancé-je à mon tour d'une voix forte. Sinon, on ne serait pas là.
Le policier soupire longuement.
– Vous me faites perdre mon temps. Je vous dis que vous n'avez pas le droit d'être là. Maintenant, arrêtez de discuter et appliquez les ordres.
– Oui, monsieur, dis-je en souriant.
– Bien, monsieur, répond Sasha au même moment.
Surpris, nous nous regardons avant d'éclater de rire.
Le policier secoue la tête de gauche à droite, l'air désespéré, avant de nous faire signe d'évacuer le parking. Nous obtempérons docilement, le suivant à travers les places vides.
Enfin, nous passons la barrière dans le sens contraire. Il nous adresse un dernier signe de tête avant de remonter dans la voiture et de dire à sa collègue de repartir. La voiture s'éloigne doucement puis passe le portail et disparaît de notre champ de vision.
Je me tourne de nouveau vers Sasha. Ce dernier en fait de même. Nous restons là à nous observer un moment. Ses yeux sont rieurs, ses joues étirées. Nous explosons de rire au même moment, nous pliant en deux tant l'hilarité qui nous anime est puissante. Ça faisait longtemps que je n'avais pas autant ri.
Quand nous parvenons à nous calmer un peu, je tente vainement de reprendre mon souffle. Sasha lance :
– Il a vraiment cru qu'on allait partir aussi...
– Et sa tête d'ahuri quand tu lui as répondu...
Nous ne pouvons finir nos phrases respectives et repartons de plus belle dans un nouvel éclat de rire.
Enfin, nos joues retrouvent une position normale et nos respirations se calment. Sasha me regarde, les sourcils froncés. J'ouvre la bouche pour lui demander ce qu'il me veut quand il tourne brusquement la tête derrière lui. Il reste bloqué là encore quelques instants avant d'alterner entre ce point et moi. Je comprends de moins en moins.
Je m'apprête à lui poser la question quand il s'exclame :
– Je crois que j'ai une idée !
Quelques minutes plus tard, nous repassons sous la barrière, Sasha poussant un caddie de métal, nos skates et mon sac à l'intérieur. Il a toujours des idées de génie.
Quand il arrive sur le parking vide, il s'élance et court à toute allure avec le caddie. Ce dernier tressaute, rebondit ; les roues butent, se retournent. Il manque d'échapper à Sasha, mais ce dernier finit par le contrôler. Mon sac fait des bonds à l'intérieur.
– Eh, ralentis ! Y'a mon enceinte et mon téléphone dedans ! m'écrié-je depuis l'autre bout de parking, mi-amusé, mi-inquiet.
Pour toute réponse, Sasha éclate de rire une nouvelle fois.
Il poursuit sa course à travers le parking désert, ses cheveux noirs volant, éclairés par le soleil. Son rire s'élève dans l'air, me parvenant alors que je marche aussi vite que possible pour le rejoindre.
– Est-ce que j'ai besoin de te rappeler qui a le plus de force, ici ? renchéris-je en constatant qu'il ne s'arrête pas.
– Mais qui court le plus vite ? réplique-t-il en tournant son visage souriant vers moi, s'arrêtant dans un dérapage de caddie. Comment tu peux utiliser ta force si tu n'arrives pas à me rattraper ?
Je secoue la tête en souriant, vaincu.
– Accordé, lâché-je en me postant devant lui. Tu pourrais me rendre mon téléphone, maintenant, s'il te plaît, ô Sasha, meilleur ami de mon cœur que j'adore et dont je ne veux que le bonheur ?
Il sourit d'un air satisfait, se penche et fouille un instant dans mon sac avant de me tendre ce que je lui demande.
– Oh, tiens, dit-il en fixant l'écran. T'as un message de Prune.
Interloqué, je fronce les sourcils. Comment ça, un message de Prune ? Je n'ai pas son numéro...
Je récupère mon portable et regarde à mon tour le fameux message.
La notification vient d'Instagram. Apparemment, @prumendes m'a envoyé un message privé.
« Salut Alex, c'est Prune. J'ai trouvé ton compte dans mes suggestions, donc... Coucou ? Ah, et désolée si je te dérange, j'espère que ce n'est pas le cas ? »
Un large sourire étire immédiatement mes lèvres, mon regard fixé sur les mots de Prune. Je répondrai plus tard, mais je ne l'oublie pas.
– Qu'est-ce qu'elle dit ? demande Sasha avec un regard en coin et un sourire plus qu'explicite.
Je soupire en riant.
– Rien de particulier.
– Pourquoi tu souris comme ça, alors ?
Il a toujours son petit sourire moqueur et ses yeux joueurs. Il m'énerve autant que je l'adore.
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