Prologue
Je n'ai pas toujours été homme sage et placide, loin s'en faut. J'ai été un monstre bien avant que ma vie ne devienne éternité. Un monstre d'arrogance, de cupidité et d'avidité. J'ai été la pourriture dont le nom se retrouvait craché sur le pavé. La peur, engeance d'actes perfides. Et objet de plus de méfiance qu'une épidémie de peste.
J'avais tout et bien trop. L'argent. Le pouvoir. Cette absence d'empathie et de pitié inculquée par une éducation que nul autre n'aurait pu endurer sans souffrir. Le mépris de tous et tout. L'insolence libre. J'étais l'intouchable d'un monde que je prenais pour terre conquise et que je ne connaissais pourtant pas plus qu'un bambin encore accroché aux jupes de sa mère.
Notre société avait fait ses privilégiés. Moi comme d'autres, nous avions tous l'impression d'être le droit et la justice, la parole d'évangile et l'exemple le plus parfait à suivre. Dans mon esprit de jeune stupide, la terreur dans les yeux de mon voisin devenait celle d'un peuple entier et mon nom connu des plus basses raclures de la ville sonnait comme celui de l'homme parmi les hommes. J'étais un roi sur les terres oniriques d'une prétention bornée. Je n'avais pas pris conscience que dans ce monde mon ignominie n'était qu'une risible nuisance dominée par la peur, la faim, le froid et la maladie, et bientôt, j'allais découvrir que mon état d'homme était plus ridicule et insignifiant que la course d'un cloporte sur le parquet d'une mansarde.
Sais-tu ce que l'on fait aux cloportes qui courent avec insouciance ? On les écrase sans état d'âme en oubliant leur existence aussi vite que l'on en a pris conscience. La vie n'allait pas tarder à m'écraser comme un insecte, me renvoyant à ma condition de mortel pathétique. Pire. A ma condition de jeune coq vaniteux dont même les bouseux avaient fini par rire.
A cette époque, notre Roi laissait le protestantisme sectaire pulluler dans le pays. Il gangrenait l'église Anglicane qu'il ne jugeait pas assez pur, et répudiait les catholiques. Une guerre insidieuse était déclarée entre les religions, un air de déjà vu sur une terre suintant encore le sang de nombreux protestants. J'étais de la haute noblesse, élevé dans la plus pure tradition catholique et j'avais appris à haïr ceux qui ne prêchaient pas comme moi.
Il y eut cette nuit, semblable à tant d'autres où je m'imprégnais du rire des filles de joie et de l'odeur d'alcool en compagnie d'un ami des plus dévoué. Gagnés par l'ivresse, nous sommes sortis de l'établissement à une heure tardive où les rues de Londres se faisaient plus vide qu'une taverne un jour de prêche. Et nous l'avons croisé au détour des rues, je l'avais bousculé sans même faire attention à ne serait-ce que son visage. Pas une excuse de sa part comme de la mienne, mais un coup d'œil menaçant à un homme dont j'aurais du fuir l'approche dans un glapissement de terreur. Il n'y avait eu que cette plume, rouge, plus rouge encore que le sang frais.
Un peu plus loin, nous avons croisé la route d'un garçon d'à peine quinze ans, une coupe fort reconnaissable ornée d'un couvre chef tout aussi typique. Il aura été le terrible bouc émissaire d'une frustration furtive mais terriblement désagréable, celle de n'avoir provoqué que de l'indifférence.
« Regarde-moi ce petit puritain esseulé. Tu t'es perdu ? »
C'est en ricanant de sa provoque que mon ami lui découvrit la tête d'un soufflet et le chapeau de feutre noir roula plus loin entre quelques pavés délogés. Le jeune homme garda le silence, les yeux baissés et se contenta d'aller récupérer son couvre chef. Ce fut à mon tour d'imposer ma suprématie factice, inutile mais jouissive sur cet enfant trop silencieux. Mon pied écrasa les bords rigides de l'habit, l'enfonçant un peu plus dans la terre humide à la jointure des pierres.
« Il est plutôt impoli d'ignorer ses aînés, on ne t'apprend pas les bonnes manières dans ton poulailler ?
- Que me voulez-vous ?
- C'est vrai ça, que lui veut-on au juste ? demandai-je alors à mon camarade.
- On pourrait lui apprendre qu'il est dangereux de sortir à une heure si tardive...
- Le respect aussi, je crois qu'il a bien besoin qu'on lui apprenne le respect. »
Il y a pour un homme, plus dangereux que les lames et les balles... L'arrogance bafouée servie par la force brute d'un homme ivre. Il me reste quelques réminiscences de cette satisfaction infâme... Celle dont ma poitrine s'était délectée à chaque fois que mes poings et mes bottes frappaient la chair. Je revois encore ses traits crispés par la douleur, ses pupilles viciées par la peur. J'entends encore les coups raisonner dans la rue déserte, ces glapissement étranglés et le bruit qu'a fait son crâne en percutant le pavé humide. Je n'en ai jamais retiré aucun tourment. A cette époque déjà, l'odeur du sang m'était agréable.
Le lendemain, une mère pleurait son enfant sans qu'aucune oreille ne retienne ses demandes de justice. Qui se serait risqué à dénoncer les familles les plus puissantes de la ville ? Non, pas en ce temps. Pas dans une société si discrète et silencieuse. Et pourtant, nous aurions dû entendre le grondement.
Les sociétés changent. Le monde change. En perpétuel mouvement. Toujours. Rien ne saurait rester éternel... hormis l'enfer.
La révolte éclata en plein mois d'Août, dans la chaleur écrasante d'un orage et le grondement d'une guerre civile en émergence. Mes parents m'avait ordonné de rester à la demeure mais aussi entêté que je l'étais, j'avais rapidement passé le pas de la porte pour me rendre au pub de l'Auberge, à deux rues de chez moi. J'avais tout de suite senti l'ambiance étrange et inquiétante qui s'épandait sur la ville. Et encore une fois, je fis de cette appréhension persiflant dans mes entrailles, un ennemi à vaincre, et de ses rues vidées par le danger, un défi absurde.
L'Auberge avait fermé ses portes, je les frappais d'un coup de pied rageur et mes jurons s'éparpillèrent en échos dans les venelles. J'avais le sang chaud à l'époque et en découlait cette envie irrépressible de me défouler par la maltraitance et la fornication. Les femmes ne m'aimaient pas, certaines me haïssaient, d'autre me craignaient tout bonnement. Et après avoir abusé de la naïveté des dernières ignorantes, il ne me restait plus que les putains pour subir. Ce jour là, mon irritation était à son comble, la tension régnant dans Londres m'avait atteinte, mais surtout, la couardise de ma famille face à la menace me paraissait tout bonnement ridicule. La simple idée de devoir me terrer comme un lapin apeuré face à la populace m'était insupportable. Que l'on m'interdise ma distraction favorite ne faisait qu'altérer un peu plus mon humeur et c'est en insultant allégrement le tenancier de l'établissement que je me résignais à faire demi-tour.
Nonobstant, mes pas s'arrêtèrent au bout de la rue... Deux hommes de carrure trapue et solide tenaient l'angle. Je les discernais mal, mais je me souviens du sentiment d'insécurité qui m'avait envahi en constatant qu'ils me fixaient, j'avais eu la désagréable sensation d'être attendu et pas avec les meilleurs intentions du monde, une sensation qui ne tarderait pas à devenir une certitude.
Je fis demi-tour, j'étais colérique, enclin à donner le premier coup, mais je n'étais pas totalement inconscient et connaissait mes limites. M'enfonçant dans le dédale que formaient les rues du quartier, je remarquais très vite que les deux inconnus me suivaient sans pour autant tenter de me rattraper. Au croisement que je voulus emprunter, je me confrontais à une nouvelle personne. Il s'agissait d'un homme osseux, plus petit que moi et j'en aurais volontiers fait un parfait défouloir si sa main n'avait pas enserré une poutrelle de bonne taille. En essayant de le contourner, je bousculais le quatrième inconnu de la soirée qui me repoussa si violemment qu'il me fallut trois pas en arrière pour reprendre mon équilibre. Eux aussi m'attendaient, j'en fus persuadé à l'instant même où mon regard croisa le leur.
J'étais seul, en pleine nuit, et la rancœur de la population londonienne faisait trembler les miens depuis peu. Pire. J'étais une ordure dont la moitié de la ville voulait la peau. Comprends-tu à quel point j'ai été stupide ? Cette nuit-là, je me suis conduit à l'échafaud et j'aurais pu siffloter en montant les marches que ça n'aurait pas paru plus absurde.
Je me suis rapidement écarté des deux hommes pour m'enfoncer à nouveau un peu plus dans les boyaux de la ville basse. Les échos des pas derrière-moi galopaient sur les murs pour me rattraper, me cerner de toutes parts. Je ne voyais plus une échappatoire, chaque ruelle, chaque allée me semblait occupée par un des regards hostiles, des silhouettes menaçantes et sans même m'en rendre compte je me retrouvais à fuir au fond d'une impasse, guidé comme un mouton par les chiens qui ne tarderaient pas à me sauter à la gorge.
Le haut mur de pierre érigé devant moi était sûrement fier d'entraver ma route. Il ne lui manquait qu'un regard narquois. Pourtant, même devant cet aveugle, je préférais me confronter à ce qui m'attendait de l'autre côté et me retournais enfin vers mes poursuivants.
Ce fut face à une vingtaine d'hommes et de femmes que je me trouvais alors. Peu importe où se portait mon attention, elle ne tombait que sur des yeux aux lueurs belliqueuses, des rictus malveillants et ces être menaçants.
« Je n'ai pas d'argent sur moi.
- Ta dette, gamin, elle ne se paiera pas en pièces, soit en sûr. »
Je n'avais jamais vu ce type de ma vie, et pourtant, j'avais ruiné son existence au point de lui devoir la mienne.
« Je ne comprends rien à vos élucubrations, laissez-moi passer. »
De la maigre foule jaillit un couvre chef qui s'échoua à mes pieds. Un chapeau de feutre comme tout protestant en portait. Pourtant, celui -ci était différent et je su en quoi à l'instant même où son état rapiécé s'identifia à ma conscience. Et la voix de cette femme raisonne encore dans ma tête.
« C'est tout ce que l'on m'a permis de garder de mon garçon. C'est tout ce qu'il me reste de lui juste parce que tu as décidé qu'il en serait ainsi. »
Et celle de cette homme...
« Ma fille ne m'a laissé qu'une lettre. Elle a préféré rejoindre l'enfer plutôt que de vivre sur la même terre que toi. »
Et encore une :
« Tu es pire que le diable Sasuke, pourtant tu te prends pour Dieu. Et je vais te dire une bonne chose... Dieu n'aime pas les usurpateurs. »
Sais-tu qui déteste plus les usurpateurs que Dieu ? L'Homme. Et il n'est point miséricordieux.
Une pierre m'a démis l'épaule gauche. Une autre la jambe droite, puis la deuxième. Les poutres se sont chargées de mon dos, les pieds de mon ventre, de mon visage. Il me semble qu'il y a eu quelques lames aussi. Il y a en a eu au moins une...
« Et tu me dois un oeil... »
Le fer ne tranche pas que la chair, il découpe tout, les muqueuses, les veines, les nerfs, tout. Il arrache, fouille, sectionne...En un instant, un instant de pur douleur, j'étais borgne. En quelques autres, j'agonisais. Pour une de plus, je mourrai.
Quelques jours plus tôt, je laissais un jeune homme crever sur les pavés de Londres sans le moindre remords, sans me douter le moins du monde de la douleur, de l'atrocité d'une telle agonie. Maintenant je sais, et je saurais encore pour une éternité.
C'est alors que je crevais seul dans cette impasse que je l'ais revu. Alors que tout mon corps hurlait de souffrance, que ma gorge s'imprégnait du goût du sang et de la pierre. Il est venu me trouver, chercher ma dépouille ou pire...
« Je peux t'offrir ce que tu désires. »
...ma haine.
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